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© Mae Ferron
23 mars 2023

Maelstrom & Louisahhh : Hors cadre

par Nicolas Bresson

Ils se sont rencontrés il y a dix ans au sein de Bromance, queue de comète de la french touch 2.0. En solo ou ensemble sur leur label RAAR, ils ont depuis pris la tangente et rejoint des sphères moins exposées, « techno-punk » selon leur propre définition. Avec Sustained Resistance, leur premier album commun, Maelstrom et Louisahhh en profitent même pour livrer leur oeuvre la plus radicale à ce jour.

Article issu du Tsugi 157, Flavien Berger et Agar Agar : Bande à part, disponible à la commande en ligne 

Même si le monde s’est arrêté presque deux années durant, placé sous cloche pour raisons médicales, les diverses mutations musicales n’ont pas décéléré pour autant. Qu’il semble loin aujourd’hui le début des années 2010, quand la musique électronique française était encore dominée par une poignée de labels comme Ed Banger, Sound Pellegrino ou encore Bromance. C’est au sein de ce dernier, alors sous le feu des projecteurs, que se croisent le Nantais Maelstrom et l’Américaine fraîchement débarquée à Paris Louisahhh. Une rencontre organisée par Brodinski, le boss du label, dont la techno affable fait alors de lui l’un des DJs les plus populaires – il s’est depuis tourné vers une carrière plus discrète de producteur trap/hip-hop du côté d’Atlanta.

Chez Bromance, la paire nouvellement formée fait déjà figure de poil à gratter avec une musique plus criarde et sombre que celle de la plupart de ses camarades. « J’ai réécouté récemment notre premier EP. Il y avait notamment un remix d’un morceau de Kanye West. On avait eu les pistes séparées via Brodinski et Gesaffelstein qui avaient bossé dessus. C’était une autre époque. Mais je trouve que nos productions n’étaient pas si éloignées de ce qu’on fait maintenant », estime Maelstrom.

Alors que Bromance se dirige de plus en plus vers le hip-hop – et finit par péricliter – le duo prend ses distances et son indépendance en montant sa propre structure RAAR en 2015. « De la techno pour les punks et du punk pour les raveurs » en est le nouveau credo alors à mille lieues de l’esthétique colorée et bon enfant des fluokids et de la french touch 2.0 agonisante. « Avant, nous n’étions pas seuls, on devait rendre des comptes à un directeur artistique. J’ai toujours eu des influences venues du rock alternatif et RAAR m’a permis de reprendre le contrôle total sur ma musique », revendique Louisahhh.

Avant d’embrasser la culture club et de devenir elle-même DJ à New York dès l’âge de 17 ans au son de LCD Soundsystem ou de Tiga, la jeune femme s’était en effet nourrie de groupes rock aventureux comme Garbage ou Nine Inch Nails. Quant à Maelstrom, c’est au sein de la scène free party nantaise qu’il a fait ses premières armes. Des influences grinçantes, aussi éloignées que complémentaires, qui devaient fatalement ressurgir un jour et consolider leur complicité.

 

Figure libre

Publiant fréquemment des EPs ensemble, Maelstrom et Louisahhh font toutefois au départ l’expérience du long format chacun de leur côté. Leur volonté de s’affranchir de toutes règles commerciales les voit même sortir leurs albums – Rhizome pour lui, The Practice Of Freedom pour elle – un même jour de mars 2021. Si lors de leur DJ-sets, ils déploient généralement une techno percutante avec quelques incursions électro ou rock, leurs projets discographiques respectifs voient Louisahhh aborder les thèmes de la mort et de la sexualité dans des motifs électropunk, voire dark wave, quand Maelstrom se montre de plus en plus cérébral avec une IDM rythmique et onirique.

« Quand il s’agit de mon projet solo j’ai tendance à intellectualiser les choses, reconnaît-il. J’ai une sorte de structure mentale sur le genre de musique que j’ai envie de faire. Mais quand je travaille avec Louisahhh, c’est davantage un dialogue et les choses coulent de source de manière naturelle. » C’est donc après dix ans de collaborations régulières que sort Sustained Resistance, un disque qui s’avère être l’une des plus belles surprises électroniques françaises de ce début d’année. « Si on n’a pas fait d’album avant c’est que nous n’étions pas prêts, tout simplement, poursuit Maelstrom. On fait de la musique quand on a quelque chose à dire et non parce que nous avons un plan de carrière ou une stratégie. »

Les deux artistes mettent surtout en avant la confiance qui règne entre eux et qui s’est renforcée avec le temps. « Notre manière de travailler n’est pas fixée. Pour nous c’est très important de ne pas avoir une formule prédéfinie. Cela permet de mieux nous connaître. Et nous n’avons pas autant la pression que sur nos projets solos. Cela donne des morceaux plus spontanés je trouve », renchérit Louisahhh. Si le disque a été enregistré après la période la plus sombre de la pandémie et ses confinements successifs, il s’en dégage toutefois une noirceur et des sensations claustrophobes comme jamais entendues dans leurs précédents travaux. « Je crois qu’en termes de songwriting ça m’a enlevé beaucoup de pression, poursuit Louisahhh. On sortait tous d’un trauma collectif. Cela m’a permis de m’exprimer très frontalement sur des thèmes comme la souffrance, la dépression, des choses très sombres. »

 

Le côté obscur de la rave

Ces paroles, portées par une musique puissante et acérée, ont aussi une fonction de catharsis pour les deux artistes qui réfutent avoir perdu tout espoir en l’avenir, ne s’inscrivant pas tout à fait dans le « No Future » cher aux punks originaux. « Je crois que nous avons tous de l’espérance en nous malgré tout. J’ai écouté beaucoup de musiques dark et je pense aussi que c’est ce qui m’a sauvé la vie. Tu te dis que d’autres personnes ressentent la même chose, tu te sens moins seul et cela te donne envie de changer », analyse Louisahhh.

Un avis partagé par Maelstrom. « On n’a pas à mentir sur nos sentiments, ce n’est facile pour personne. On ne va pas prétendre, contrairement à d’autres comme on le voit sur Instagram, que nos vies sont incroyables. Mais notre pratique artistique nous permet de traverser ces moments douloureux, j’espère que cela s’entend. Pour plein de gens, ce type de musique fait plus de bien qu’une musique qui serait très solaire. Il y a une sorte de réassurance à travers l’écoute qui permet d’aborder des périodes pas très réjouissantes. » Musicalement, Sustained Resistance explore le versant noir de la rave sur des rythmiques breakbeat, EBM voire hardcore. Surtout, les saturations sont omniprésentes, que ce soit sur la partie électronique ou sur le traitement des vocaux, ce qui le rapproche aussi de certains travaux de la musique industrielle.

« J’ai écouté beaucoup de musiques dark et je pense aussi que c’est ce qui m’a sauvé la vie. » Louisahhh

« Je trouve que les thèmes abordés sont très raccord avec les tonalités, les sons utilisés. J’ai beaucoup écouté le groupe de rock Low et son dernier album Hey What. Pas mal d’idées à propos de la distorsion viennent de là et pas seulement de la techno industrielle qu’on a beaucoup entendue ces dernières années », poursuit Louisahhh. « L’idée était d’utiliser la distorsion comme un instrument, précise encore Maelstrom. Dans la scène techno, la distorsion est plus appréhendée comme un vernis sur la musique, quelque chose que tu rajoutes après. Là, on a fait l’inverse. En termes d’influences, Bertrand James, le batteur du groupe avec qui on a tourné pour l’album de Louisahhh, m’a fait écouter des artistes que je ne connaissais pas, comme les Canadiens Preoccupations. Ce qui a forcément eu un impact. »

 

Le combat continue

Se revendiquant autant de la techno que du punk, le duo ne fuit pas non plus la question politique. Son idée, depuis la mise en route du label RAAR, étant de diffuser, que ce soit sur disque ou sur scène, une musique s’adressant aux marges, à tous ceux ne se reconnaissant pas dans des propositions plus mainstream. « La techno est devenue très grand public et le phénomène a été amplifié par les réseaux sociaux, analyse Maelstrom.

Maelstrom et Louisahhh

© Mae Ferron

Si tu veux toucher le plus de gens possible, tu vas utiliser les rythmiques, les motifs les moins offensants. Ce n’est pas ce qu’on a envie de faire. Mais en même temps les jeunes d’aujourd’hui ont une plus grande culture musicale. Il y a d’un côté des festivals avec des dizaines de milliers de personnes avec des artistes qui ne prennent plus aucun risque. Mais de l’autre il y a des clubs et des soirées underground avec un public demandeur de découverte. C’est là que nous avons choisi de nous diriger même si d’un point de vue financier, ce n’était peut-être pas la meilleure idée. »

Ils pointent aussi du doigt les problématiques de rémunérations des artistes sur les plateformes de streaming. « La façon dont sont répartis les droits sur Spotify et les autres plateformes est aberrante, se désole Louisahhh. Si tu zappes un titre au bout de trente secondes, ça ne compte pas. Du coup les artistes sont obligés d’aller directement à l’essentiel. Cela influence la manière de créer de la musique, ce n’est pas normal. »

Avec l’idée en tête de mieux rémunérer les artistes, Maelstrom s’est par exemple lancé dans une série de mixes accolés à des NFT, où chaque producteur dont un morceau est utilisé perçoit un petit pourcentage. Un principe équitable, mais qui pour l’instant est loin d’avoir été généralisé. Il se montre toutefois compréhensif avec les jeunes générations « Avant on pouvait vivre en sortant seulement trois ou quatre vinyles par an. Cela suffisait à payer ton loyer.

Aujourd’hui c’est impossible, tu dois obligatoirement te produire devant un public pour espérer gagner ta vie. C’est beaucoup plus compliqué de se lancer dans des musiques aventureuses. On a la chance d’avoir démarré nos carrières à la fin des années 1990, ce qui nous offre une certaine liberté. Mais je me garderais bien de juger la position de quelqu’un qui a 20 ans aujourd’hui. » À l’heure de TikTok, emprunter des chemins de traverse serait-il devenu le privilège des aînés ?

 

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