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5 décembre 2016

Islande : torrent de lave hip-hop

par Tsugi

Oubliés Björk et Sigur Rós, place au hip-hop qui a envahi les cafés de Reykjavik. Rappés la plupart du temps en islandais, les textes sont a priori incompréhensibles, mais on est emporté par ce flow inimitable. Plongée dans cette nouvelle scène musicale.

En 2001, XXX Rottweiler furent les premiers à enregistrer un album de rap exclusivement en islandais. Ces pionniers du genre ouvrirent une brèche. Comme eux, la nouvelle génération s’est inspirée de la poésie dégagée par le langage islandais. Rendant hommage au rímur, poème chanté où la première ligne rime avec la troisième, le rap est surtout devenu la solution la plus frontale pour dépeindre la réalité d’une jeunesse islandaise. « On ne ne pourrait pas sonner si convaincant sans utiliser notre langue maternelle », indique le duo Úlfur Úlfur, à la grande renommée locale. Cependant, cette langue brute comme les montagnes et en perpétuelle évolution comme un volcan semi-endormi, reste très ardue à chanter. L’agilité verbale est de rigueur quand il n’existe souvent qu’un seul mot pour exprimer une idée entière. Les synonymes ne sont pas légion et rendent les rimes limitées. Mais avec le rude climat où ils sont souvent contraints de rester enfermés, les héros du rap islandais ont ainsi plus de temps pour pratiquer leur musique et surtout leur langue. Galerie de portraits des plus importants représentants d’un genre à découvrir aussi en vidéo.

REYKJAVÍKURDÆTUR

Les “sœurs de Reykjavik” sont un collectif de 17 rappeuses féministes. L’histoire commence il y a trois ans, quand l’une d’elle, organisatrice de soirées rap, enregistre sa propre chanson pour promouvoir sa prochaine soirée. Les médias partagent cette pépite brute, et de bouche-à- oreille, les 17 femmes deviennent les Reykjavíkurdætur afin de contrer un rap encore trop dominé par la gent masculine. Elles chantent haut et fort leur féminisme engagé mais, comme elles aiment le dire, “la politique ou notre quotidien, faire la fête… Notre présence sur scène suffit parfois à peser face au rap masculin”. Même si l’Islande trône fièrement à la première place au classement de l’égalité des sexes, le groupe casse cette image idyllique. Moins d’inégalités ne signifie pas pour autant une parfaite égalité, ce à quoi elles aspirent. Toutes leurs chansons sont en islandais, hormis “F.E.M.I.N.I.S.M.” Mais elles sont conscientes que “si on veut se produire aux USA, ils voudront que l’on rappe en anglais. Seulement j’ai un peu peur car je m’exprime mieux en islandais. Après ça peut-être fun de relever le challenge”, confesse une des membres. Pourtant peu soutenues par le public local, elles rencontrent un écho positif à l’étranger. Elles se sont produites aux Trans Musicales le samedi 3 décembre et ont été l’une des curiosités de cette édition. “On a tellement hâte de jouer à Rennes pour notre tout premier show chez vous, et on aimerait également tourner dans toute la France”, ont-elles confié quelques semaines auparavant. Le message est passé.

Meilleur clip : « Tista »

Leur chanson la plus personnelle est révolutionnaire. Face aux détracteurs, elles répondent “Fuck It” en buvant des bières dans un entrepôt désaffecté. Une bravoure à toute épreuve pour des téméraires qui ne baisseront pas les bras, mais ont plutôt levé le poing dans un hangar à Rennes ce week-end.

ÚLFUR ÚLFUR

Perdu au bord d’une route caillouteuse du nord de l’Islande, c’est au milieu de cette carte postale qu’a grandi le chanteur Arnar. Luttant contre la solitude hivernale, il s’investit d’abord dans le punk avant de préférer une parole plus libre et directe avec le rap. À onze ans, l’enfant déverse déjà son trop-plein en chansons sur la police, l’alcool et la violence. Depuis apaisé et accompagné d’un acolyte, il sort en 2015 un premier album sous le nom de Úlfur Úlfur, bientôt suivi d’une éruption de critiques dithyrambiques et couronné des prix de “chanson de l’année” et “nouveau groupe de l’année”. Aujourd’hui, Arnar se réfugie toujours dans son moi intérieur pour livrer des uppercuts sonores, au flow aussi fluide et brûlant que de la lave. Son récent succès étonne le duo qui a “récemment joué en Pologne devant un public réceptif de 100 personnes scandant les paroles en islandais, alors qu’on s’était préparé mentalement à ne jouer que devant 20 personnes”.

Meilleur clip : « Brennum Allt »

Dans ses vidéos, Úlfur Úlfur joue avec “l’absurdité d’être un groupe de rap venu d’Islande, pays lointain et inintéressant pour les non-islandais”. Il y montre “des parties de l’île inhabituelles mais réelles, loin des images idylliques touristiques”. C’est d’ailleurs le cas ici avec cette chanson évoquant les fondations islandaises qui devraient être brûlées pour recommencer sur une autre base. Visuellement, le clip est une pépite originale. Au galop sur un cheval ou roulant en Cadillac accompagné d’un Saint-bernard, le périple est long et fastidieux pour assister à un concours canin. On comprend d’autant plus l’omniprésence d’animaux quand on s’appelle soi-même “loup”, un nom choisi par passion pour ces derniers, notamment pour leur comportement.

GKR

Avec une mère photographe, ancienne punk qui plus est, GKR se devait d’être l’original de la bande. Cancre à l’école durant une période sombre de sa vie, à 16 ans il entend pour la première fois Kid Cudi. Électrochoc, il se met à son tour à produire une première chanson, “dans ma chambre quand j’ai enfin cru en moi”. Autodidacte, il monte ses vidéos et tel un magicien nous envoûte de son univers coloré. GKR est l’énergie positive à consommer trois fois par jour (minimum).

Meilleur clip : « Morganmatur »

Signifiant petit-déjeuner, c’est une ode à la vie. Quel sentiment plaisant d’engloutir un repas matinal, et de sentir que la journée sera grande. Comme une majeure partie de ses chansons, les paroles essayent d’insuffler “la motivation de faire vraiment ce qu’on veut et de ne pas se soucier du jugement d’autrui”.

STURLA ATLAS 

Le seul groupe à chanter en anglais. Son entrée dans le monde de la musique est une jolie histoire surprenante. Ce trio d’amis décide un jour d’enregistrer une mixtape pour l’offrir à un ami lors de son anniversaire. Devant les retours positifs des invités, ils se lancent dans l’aventure et rencontrent le succès. Bien entouré par un manager, photographe, vidéaste, attachée de presse, Sturla Atlas est le chouchou des Islandais, et ne compte pas en rester là. Les trois albums n’ont d’ailleurs pas démenti l’immense engouement entourant la clique de potes. Ils ont par ailleurs gagné le prix du “meilleur artiste émergent de l’année” aux Iceland Music Awards, et ont également assuré la première partie du concert de… Justin Bieber en septembre dernier. Le compte à rebours est lancé avant l’invasion française.

Meilleur clip : « Snowin' »

Un clip divisé en deux, une Islande de jour et de nuit comme deux images d’Épinal, dépeignant le quotidien d’un jeune islandais. Les cours, l’ennui, et la sortie à la piscine d’un côté et puis un tour en 4×4 pour une soirée alcoolisée de l’autre, avec en toile de fond un amour déchu.

EMMSJÉ GAUTI

Skate à la main, rasé de près, et yeux bleu glacier, ce jeune papa s’amuse musicalement depuis 2010. Le plus pop de la bande rappe à la première personne sur ses expériences de vie. Son troisième album Vagg&Velta signifie rock’n’roll, l’occasion d’y exprimer un grand champ des possibles, du hip-hop à la pop avec des collaborateurs locaux.

Meilleur clip : « Djammaeli »

Structures gonflables et toboggans, les enfants célèbrent en allé- gresse un anniversaire dans un parc d’attractions. Du côté des adultes, les festivités semblent plus insipides.

LES LIEUX 

Reykjavik, ou littéralement la baie des fumées, jadis nommée ainsi à cause des colonnes de vapeurs de sources chaudes, frémit encore d’une frénétique vie nocturne. Petite liste non exhaustive.

Prikið. Situé sur l’artère des bars, ce café, le plus vieux de la capitale, se transforme en club à la nuit tombée. Chaque groupe s’y est déjà produit, et locaux et touristes s’y mêlent pour trinquer au rap islandais. En somme, “the place to be”.
Bravó. Toujours située dans la fameuse rue des bars de Laugavegur. Ce bâtiment ocre aux contours de fenêtres colorées attire le regard. La décoration y est cosy, les prix attractifs, la musique d’un excellent goût. Quoi d’autre ? Les locaux s’y retrouvent pour boire des bières dans une atmosphère sympathique. Le lieu idéal pour observer les passants, et le lieu choisi par les Reykjavíkurdætur pour l’interview.
Lebowski Bar. Halte obligatoire pour tout fan de cette célèbre œuvre cinématographique. Un endroit délicieusement rétro, spécialisé dans les “White Russian”. Des soirées stand-up et film quizz y sont organisées toutes les semaines. Un endroit atypique où on ne vous refoulera pas si vous venez en pyjama.
Harpa. Ce centre culturel et salle de musique est immanquable. Cette merveille architecturale de l’artiste Olafur Eliasson brille de mille feux. Entièrement recouvert de miroirs, l’édifice scintille dans l’eau et se prête au jeu de regards par toute météo.

Solenn Cordroc’h

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