Vinii Revlon : « Le voguing vient des clubs, il a été créé sur de la house » | INTERVIEW

par | 5 08 2025 | interview

Father international de l’une des houses les plus prestigieuses au monde et première « légende » du voguing en Europe, Vinii Revlon ne cesse d’accumuler les superlatifs. À l’occasion de la sortie de la série Ballroom : danser pour exister, dans laquelle il nous fait découvrir son univers, nous l’avons rencontré pour causer voguing.

Rentrons dans le vif du sujet : c’est quoi le voguing?

Le voguing est une danse née à New York dans les années 1960. Il y a trois façons de danser le voguing : il y a le premier modèle qui s’appelle le Old Way, le New Way et le Vogue Fem

Le Old Way, qui est le premier jet, c’est inspiré des revues Vogue, des arts martiaux, des top models et des poses militaires. C’est très droit et linéaire. 

Le New Way, c’est une danse basée sur la souplesse et les contorsions. Tout en dansant, il faut être hyper souple. Donc faire des grands écarts, passer ta jambe derrière ton cou, faire des clics de bras… Tout ça en dansant. 

Et ensuite vient le Vogue Fem, né dans les années 1970 et créé par les Fem Queens (les femmes transgenres). C’est la version un peu accélérée du Old Way, mais avec des mouvements plus arrondis, une féminité beaucoup plus assumée. Il y a cinq éléments dans le Vogue Fem : les hands performances, (les mains) le catwalk, le duckwalk, le floor performance et le Spin and Dip. Pour pouvoir voguer, il faut maîtriser les cinq éléments. Un peu comme Avatar !

Tu peux nous décrire ces mouvements, en quelques mots?

Si tu parles anglais, tu comprends (rires) ! Hands performance, c’est à propos des mains. Tu dois être capable de raconter une histoire avec tes mains ; Catwalk, c’est la marche du chat : tu es sur les pointes des pieds et tu te pavanes en rythme, en accentuant les hanches. Une démarche très, très gracieuse ; ensuite, le duckwalk, ça se passe à genoux. Tu es en bas et tu te balances de jambe en jambe, toujours en rythme ; le floor performance ce sont des figures au sol, tu prends des poses au sol. 

Et enfin nous y venons, le Spin and Dip : Spin (le ‘tour sur soi’), c’est vraiment la transition pour arriver au Dip. Le Dip, c’est la chute un peu spectaculaire. Quand tu penses à voguing, tu penses directement à cette fameuse chute. Tu te dis « oh mon Dieu, ils ne vont pas se tourner la cheville, ils ne vont pas se casser la cheville ? ». Eh non, c’est maîtrisé. Quand tu vogues, tu es censé raconter une histoire : le Dip, c’est le point final de la phrase.

© Benoît Rousseau
© Benoît Rousseau
Toi tu es officiellement désigné comme « légende » du voguing, qu’est-ce que ça signifie ?

Dans la ballroom scene, tu battles dans les balls et tu participes à des catégories. Ma catégorie, avant d’avoir eu le titre de « légende », c’est Vogue Fem. Et plus tu gagnes, plus tu commences à avoir de la renommée et tu montes en grade. Il faut un certain nombre d’années d’expérience et un certain nombre de trophées, pour être éligible au titre « légende ». La particularité avec moi, c’est que je suis le premier Européen à avoir gagné dans ma catégorie aux Etats-Unis.

Il y en a d’autres, des « légendes »

Bien sûr qu’il y en a d’autres. En France, en Europe aussi. Mais je suis le premier. Ça reste à jamais (rires)

On parle voguing mais tu as aussi évoqué la ballroom. Quels sont les liens entre les deux?

La ballroom, c’est l’univers dans lequel les houses se rencontrent et se battent dans les balls. Dans les balls, il y a des battles de voguing mais aussi plein d’autres catégories. La première n’est pas le Vogue Fem, ni le Old Way, ni le New Way. La première catégorie, c’est Face. C’est une beauty category. Il faut mettre son visage en valeur et faire en sorte que le jury vote pour toi. Ils achètent ce que tu vends, en gros. 

Le voguing est venu après, parce que les personnes racisées et les personnes LGBT aiment la fête. Elles aiment danser et surtout, elles dansaient en club en reproduisant les mouvements des revues. C’est né dans les clubs, puis c’est parti dans des salles de danse et après, les vogueurs ont loué des salles de fête pour pouvoir danser librement. 

Le voguing, c’est la pointe de l’iceberg : il y a tellement de catégories. Moi, quand je fais mes balls à la Gaîté Lyrique, il y a pu avoir une trentaine de catégories, voire un peu plus. 

Vinii Revlon au ball organisé aux Jeux Olympiques de Paris  © Benoît Rousseau
Vinii Revlon lors du ball organisé aux Jeux Olympiques de Paris © Benoît Rousseau
Peux-tu expliquer ce qu’est la House of Revlon?

Dans chaque ball, il y a des houses : ce sont des maisons avec des noms de familles. Mon nom de famille, c’est Revlon. Et dans ma famille, il y a un père, une mère, une marraine, un parrain et des kids… Je suis le père de la maison à l’international. Je ne gère pas seulement Paris, mais aussi le Brésil, le Japon, la Grande-Bretagne… Et toutes ces personnes-là, c’est moi qui les ai recrutées. 

C’est une famille de choix, dans laquelle je vous apprends à exceller dans vos catégories pour que vous puissiez gagner les balls et rapporter des trophées à la maison. Mais surtout, on parle de choses de la vie de tous les jours : « est-ce que tu as un travail ? Est-ce que tu vas à l’école ? Tu vas chez le médecin ? Est-ce que tu as besoin de parler à un psy ? ».

On parle aussi de santé sexuelle, parce qu’on le sait très bien : quand tu fais partie de la communauté LGBT et que tu es racisé, tu peux rarement avoir ces conversations avec tes parents biologiques. Donc nous, en tant que parents de house, on sert aussi à ça.

© Benoît Rousseau
© Benoît Rousseau
Tu as fait du voguing en France, puis Etats-Unis avant de revenir à Paris. Y a-t-il des particularités dans le voguing français, qui n’existent pas outre-Atlantique?

En termes de danse, je dirais qu’aux Etats-Unis, c’est un peu plus raw, un peu plus real. Parce que les histoires de vie ne sont pas les mêmes. Mais aujourd’hui avec les réseaux sociaux, les gens n’ont qu’à regarder YouTube pour s’inspirer. Du coup la créativité n’est pas comme avant : c’est mondial.

À titre personnel, je dirais que ceux qui sont le plus créatifs aujourd’hui, ce sont les Brésiliens. Parce qu’ils tapent dans leur culture et mélangent le voguing avec le passinho, avec la samba, avec la capoeira… Et ça crée un voguing tout nouveau, qui est leur est propre. Et c’est aussi ça qui donne un sa richesse au voguing. Faire en sorte que ton voguing soit personnel et identitaire. En France, on a moins ça.

Depuis que tu pratiques le voguing, as-tu vu une évolution dans la discipline ou le public?

Il y a eu beaucoup d’évolutions parce qu’entre-temps, des séries sont sorties. Paris is Burning, c’est la base des bases mais il y a aussi Pose, Legendary et maintenant, Ballroom : danser pour exister. Beaucoup de gens ont découvert le voguing sur les écrans et veulent venir assister à des balls « en vrai ». Les séries c’est super, mais ll faut vivre l’ expérience pour comprendre l’énergie. 

© Benoît Rousseau
© Benoît Rousseau
Quel est le rôle du DJ dans le voguing?

Il n’y a pas de ball sans DJ, il n’y a pas de ball sans MC et il n’y a pas de bon ball sans les deux. Quand les deux sont bons et sont en synergie, ça fonctionne parfaitement. On peut dire que le DJ et le MC sont les poumons et le coeur du ball. Mais le public est aussi très important.

Quels sont les liens entre voguing et musiques électroniques?

Les liens sont très simples : c’est une danse qui vient des clubs et elle a été créée sur de la House music. Le tempo de la House a été sauvegardé et transposé dans des musiques actuelles, sur lesquelles on performe aujourd’hui. On n’oublie pas la source. 

Pourrais-tu présenter la série Ballroom : danser pour exister, sortie le 30 juillet sur la plateforme France TV?

C’est une série de cinq épisodes qui durent trente minutes chacun. Avec la série, vous êtes au coeur de la House of Revlon, vous avez accès aux conversations privées et au mode de fonctionnement de ma house. Vous avez aussi le point de vue d’un jeune qui intègre la ballroom, ceux qui ne connaissent pas cet univers peuvent donc totalement s’identifier à lui.

En plus d’en apprendre sur la ballroom, vous allez voir nos vies, nos combats, ce qu’on traverse au quotidien. Vous allez aussi voir certains parents biologiques supporter leurs kids et c’est important parce que les films et les documentaires LGBT ont souvent des fins tristes, un peu misérabilistes. C’est un truc à ne pas mettre de côté parce que c’est réel, mais il y a aussi des Happy Endings et c’est important de les mettre en avant.

Certains jeunes seront plus à l’aise pour parler de ça avec leurs parents. Parce qu’avec la série, ils auront les outils où ils auront pris du courage. Et peut- être que leurs parents, en regardant la série, vont se dire que leur fils est différent mais qu’il faut le célébrer et pas le rejeter.

Comme j’aime le dire à tous, pour moi le voguing est une grande disquette pour avoir de grandes discussions.

Tu es protagoniste de la série mais aussi un de ses producteurs. Pourquoi était-ce important pour toi de prendre activement part au projet?

On m’a d’abord proposé d’avoir un droit de regard sur la série. J’ai apprécié le geste, car je trouve ça important que quelqu’un de la communauté puisse avoir un regard bienveillant sur le tournage en cours.

Il y a déjà eu plusieurs documentaires qui stigmatisaient les gens de la scène ballroom en mettant en avant le fait qu’ils étaient soit escorts, soit travaillaient à H&M. C’est très réducteur. Avant d’être vogueur, j’étais opticien. On est divers et variés.

Savoir que la série n’est pas produite uniquement par des personnes complètement extérieures au milieu de la ballroom est rassurant à la fois pour le public et pour ma house.

Le mot de la fin?

On a tous et toutes des leçons à tirer de cette série. La plus grande leçon, c’est qu’il faut être dans l’amour et tendre l’oreille. Parfois, les gens ont besoin d’une oreille tendue et c’est important d’être là pour écouter. Voilà. Et suivez-moi sur Instagram (rires) !


Si après la lecture de cette interview, l’envie d’assister à un ball vous titille, on vous recommande chaudement de prendre vos places pour la quatrième édition du Ball d’Halloween de Vinii Revlon à la Gaité Lyrique. Et en attendant, vous pouvez binge-watcher la série de Ballroom : danser pour exister sur France TV.