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Le Bunker Palace avec, tout là-bas dans le fond, The Black Madonna. Crédit : David Boschet aka Souenellen.
3 juillet 2017

Astropolis, la rade du futur

par Mathias Riquier

À force, on pourrait finir par se lasser. Parce qu’après 23 ans de vie commune, ça ne serait pas totalement illégitime. Astropolis est l’un des plus vieux festivals en France, et l’un des pionniers de l’institutionalisation des festivals électro (avant qu’ils ne pullulent partout en France). Quand bien même, si une idylle pouvait garder sa magie sur la seule bonne foi du passé, ça se saurait. Pour la première fois, on s’est un peu traînés à Astropolis, sûrement parce qu’on prend du bide, nous aussi. Mais il fallait qu’on vérifie.

Déjà, la pluie qui tombe davantage à l’horizontale qu’à la verticale dès l’arrivée en gare de Brest : check. Ensuite, il va falloir se lancer dans une programmation toujours aussi solide et intelligente, mais… Quoi, à la fin ? Bon, on trouvera bien l’emplacement du caillou dans les engrenages plus tard. Sans plan bateau cette année, le festival a en revanche multiplié ses befores du vendredi, à commencer par un live d’Electric Rescue à la Passerelle, centre d’art brestois qui accueille aussi un marché aux vinyles tout le week-end. Sauf qu’à la différence du Pitchork, il y a un back « hardtek mental ». Signaux au vert, on est entre nous, les organisateurs se baladent au milieu de la foule, Manu le Malin vapote tranquille en discutant avec tout le monde, on serait pas loin de vouloir se taper une belote. Deux crêpes plus tard, c’est devant Motor City Drum Ensemble que ça se passe, à la Carène. Ce bloc de tôle rouillée qui cache en fait l’une des meilleures salles de musiques actuelles de France ne semble pas totalement complet ce soir, la prog’ étant à l’image d’Astro cette année : qualitative, à défaut d’être totalement fédératrice. Il faut savoir ce qu’on veut. MCDE est toujours un peu borderline sur ses enchaînements mais semble hyper content d’être là, sa playlist très house old-school, limite disco par moments, parle pour lui. The Black Madonna, que tout le monde s’arrache en ce moment, finira elle aussi sur une ambiance hyper « amour et bras levés » après un set variable, avec quelques moments de grâce techno. Le temps d’aller se faxer à la Suite (le club d’en face, second centre névralgique de la teuf pour ce soir) pour tâter le niveau de Surgeon (au poil) et le niveau d’humidité (nickel), et c’est plié pour nous. A-t-on notre réponse ? Que dalle.

Les musiques douces du vinyl market.

Avant la fosse au lions du samedi soir, un max de choix s’offre à nous : le quasi-séculaire Mix’n’Boules place Guérin où s’affrontent teufeurs et boulistes chevronnés avec un tapis sonore à 125 BPM, la scène « Beau Rivage » qui rassemble de plus en plus de monde sur la seule foi du spot et d’une prog qui fait le boulot, et un troisième spot près de la gare, géré cette année par le collectif rennais Midi Deux. Musicalement, c’est eux qui gagnent. Il va falloir s’y habituer : Astropolis prend de plus en plus d’importance lorsqu’il fait jour, et ça nous réjouit.

La nuit, à Brest, commence à 22h dans des navettes surblindés de festivaliers remontés comme des pendules, et finit un peu après 8h du matin. Ou même plus tard, on vous tient au jus pour ça. Jacques, pour la plupart des gens, sert d’ouverture aux hostilités, l’homme à la crête inversée tentant de mettre un peu de pression dans un chapiteau un peu grand pour ses bidouillages. Après, les promesses de cet homme étant somme toute assez humbles, force est de reconnaître qu’il les respecte totalement : c’est une session de bricolage, exécutée live, les couches s’empilent, les bruits de colliers de bonbons s’en viennent et s’en vont, on s’en amuse et c’est déjà pas mal. C’est Ben Frost qui va finir par nous faire basculer dans l’irréparable débauche : le type est en marcel (on est à Brest, pas à Calvi) et joue un ambient-drone-noise avec projections de nébuleuses flippantes sur un écran dans son dos. Le truc qui te donne un peu envie de manger tes mains, mais d’une intensité telle qu’elle nous embarque forcément. Un bonjour à Floating Points, qui honore d’une section de set hyper funky et discoïde (ils ont bouffé quoi, ce week-end?) avant de constater que la Cour, scène habituellement sur-blindée jusqu’à en devenir désagréable, est ici remplie mais praticable pour Objekt.

Ben Frost et son marcel. Crédit : Souenellen.

En 23 ans, il les a toutes faites : Manu le Malin attaque sa routine annuelle sous les « Manu, Manu, Manu » de la foule, preuve que ce type a totalement retrouvé son assise de DJ incontournable. Musicalement, c’est la lessiveuse de l’enfer, ce qui fait passer les Casual Gabberz pour une bande de rigolos, même si leur sélec’ est judicieuse. Sûrement le truc qui nous faisait le plus plaisir dans la prog’ : pouvoir se caler devant un DJ-set de The Herbaliser après 2h à 220 BPM. De la soul, du funk et du reggae 70’s sélectionnés avec soin : bonsoir, la scène chill d’Astropolis est encore et toujours le trésor caché de ce festival. Un coup de Jeff Mills, impeccable tête d’affiche du festival, du duo Joy O – Barnt qu’on pouvait espérer plus anglais, et… Bah c’est l’heure du petit-dej, quoi.

L’immense espace de diffraction temporelle qui s’offre entre la fin de cette grande fête de famille les pieds dans la pelouse et la dernière danse du dimanche soir, en petit comité dans la mythique salle du Vauban qui a connu des tonnes de grands noms du rock, du jazz et de la chanson, permet au moins de nous rendre compte d’un truc : ailleurs, Astropolis aurait été obligé de muter pour tenir le coup. De faire péter les smoothies. De programmer Feu! Chatterton. Pire, de sortir les bracelets cashless. Et c’est peut-être à la fois l’avantage et le seul reproche que l’on peut faire à ce festival qui connaît sa partition par cœur depuis le temps qu’il existe. Face à l’unanimisme techno, certes vecteur d’une stimulation créative dont il serait dommage de se priver, la formule d’Astro marche, parce qu’elle est bonne et surtout qu’elle s’adresse à une famille avec laquelle cet événement entretient une relation longue. Très longue. Alors oui, on aime quand on retrouve nos moments et nos spots préférés, notre place à la crêperie, les auto-tamponneuses en pleine nuit. On aime aussi quand, notamment dans sa version hiver, l’orga ouvre le spectre. L’un de nos meilleurs moments à Brest reste… un concert de La Femme sur le toit de la Carène, justement parce qu’il était disruptif. Un peu comme une croisière en Norvège pour fêter 23 ans de mariage, en somme. Bref, on vous laisse, on va voir The Driver jouer cinq étages en dessous de notre chambre.

Manu Le Malin / The Driver. Crédit : Maxime Chermat.

Meilleur moment : parler coiffure et gynéco avec une inconnue dans la navette retour. Tout. Est. Normal.
Pire moment : ne jamais garder du travail en rab un dimanche aprem d’Astro. Jamais.

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