Ayahuasca et world-music : Nicola Cruz ouvre superbement les frontières avec « Bruxo »
En puisant son inspiration au coeur même des musiques traditionnelles sud-américaines, Nicola Cruz, la vingtaine, s’est déjà trouvé une sacrée identité artistique… Et ça marche : entre une Boiler Room largement plébiscitée sur Youtube, un premier album superbe (Prender El Alma, sorti en 2015) et un EP sur le label Multi Culti, le producteur équatorien s’est fait un nom auprès des amateurs de musiques venues d’ailleurs. Il s’apprête à sortir un nouvel EP, toujours sur Multi Culti. On en a dégoté un extrait, le sombre et envoûtant « Bruxo », à partager en exclusivité. Si Cantos de Vision enchante par son atmosphère « clubbing sur le toit des Andes », il pique aussi la curiosité : hypnotique, psychédélique par moment, il a été inspiré par ces trips sous ayahuasca, un breuvage hallucinogène traditionnellement consommé par les shamans des tribus d’Amazonie. Explications.
Tsugi : Peux-tu nous parler de ton prochain EP Cantos de Vision ?
Nicola Cruz : J’ai travaillé toute l’année dernière dessus, et il montre un côté un peu plus sombre et un son peut-être plus sale comparé à ce que je fais d’habitude. Il a été inspiré par ces voyages spirituels à base de plantes médicinales, encadrés par un brujo (on pourrait traduire par shaman, mais un brujo représente plus que ça). Chaque titre est inspiré d’une étape de l’expérience, comme « Danza De Vision » qui évoque le moment où la plante fait effet et emmène dans une nouvelle dimension. Aussi, l’EP se termine par « Rio Branco », plus rapide, plus coloré, pour parler de la fin du voyage, de la résolution.
J’aime conceptualiser ma musique. A mon avis un EP ou un album doit raconter une histoire, avec une vraie idée derrière, c’est important pour moi. Ce maxi est mon interprétation toute personnelle de ce voyage spirituel. Mais en même temps je ne voulais pas être redondant ni littéral avec ce thème, car pour moi c’est quelque chose de précieux. Par exemple ce n’est pas parce que j’ai fait l’expérience de l’ayahuasca que j’allais appeler un morceau comme ça : mon enjeu sur cet EP a été de trouver un moyen digne et subtile de représenter cette expérience sacrée.
Le morceau « Bruxo », que nous offrons en exclusivité, parle ainsi du shaman qui accompagne la prise d’ayahuasca ?
Le brujo (bruxo en portugais) est un peu comme un shaman, mais pour moi pas forcément bienveillant : ce n’est pas obligatoirement quelqu’un qui va te conduire sur le bon chemin. C’est pour ça que le morceau est assez sombre, puissant, comme un mantra. Je suis parti d’un sample de musique africaine, mais récemment tout ce que je compose se fait loin des ordinateurs, je réfléchis pendant plusieurs heures à un morceau puis j’enregistre live.
Tu as fais des recherches pour préparer cet EP ?
Evidemment, tout ça est basé sur des expériences personnelles, j’espère avoir la crédibilité d’en parler. Par contre j’étudie la musique en général depuis pas mal d’années, et notamment la musique folklorique d’un peu partout dans le monde, surtout les rythmes et les percussions.
Cet EP annonce-t-il un nouvel album ?
Non, pas vraiment. Ce que je fais avec Multi Culti est tellement différent de ce que je peux développer sur un long-format. C’est ce qui est génial avec le fait de bosser avec plusieurs labels, je peux aller dans plein de directions différentes sans perdre l’essentiel. Sur un album je peux peut-être explorer un peu plus mes capacités de producteurs, et m’ouvrir sur d’autres sons, d’un peu partout dans le monde. Mais je ne peux pas en dire plus pour le moment !
Donc la « patte Nicola Cruz » ce n’est pas forcément de la musique des Andes mélangée à de l’électro ?
C’est ça ! En fait je déteste être mis dans une boîte, et je t’avoue que je n’aime pas trop le terme « Andestep » qu’on peut voir ici et là. Évidemment j’aime le mysticisme des montagnes, les sons et instruments des Andes. Mais j’aime aussi essayer de nouvelles choses. C’est comme tout musicien, ça dépend des moments : parfois tu as envie de jouer de la samba, parfois du rock. Je sens que mes goûts se font de plus en plus éclectiques, et ça me plaît. Dans la musique électronique, il y a plein de producteurs qui aiment dire « je fais ce style et pas autre chose ». Par exemple j’étais à Paris il y a pas longtemps et j’entendais des mecs dire « nous on fait de la micro-house ». Je ne sais pas trop ce que c’est que la micro-house mais ils ne sortaient de leur petite boîte, je trouve ça dommage.
Le terme « world music » est connoté assez négativement aujourd’hui, comme si le genre était devenu ringard. Pourquoi selon toi ?
En effet, ça a assez mauvaise réputation. Ces derniers temps j’utilise plutôt le terme « global music », mais au final c’est exactement la même chose, et je pense qu’en effet ma musique est inspirée de sons et de traditions d’un peu partout dans le monde. Donc oui, je fais de la « global music » ou de la « world music ». Mais pourquoi c’est devenu un terme connoté si négativement ? Peut-être parce qu’il y a beaucoup de groupes de world music assez horribles… Aujourd’hui dans les gros festivals, il y a souvent une scène world music qui parfois est très intéressante, ou vraiment pourrie. Hier, j’écoutais ce vieux groupe, Deep Forest. C’était intéressant ce qu’ils faisaient, mais je pense qu’à un moment donné il y en a eu un peu trop. C’est comme tout : à un moment il y a eu trop de Deep Forest, puis trop de rock, et aujourd’hui… Trop de techno.
Cantos de Vision sortira le 23 janvier sur Multi Culti. En attendant, on se (re)regarde le beau clip de « Colibria » :