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11 décembre 2024

Calling Marian, la tête dans les étoiles | INTERVIEW

par Lisa Giroldini

En quelques années, Calling Marian s’est imposée dans le paysage français des musiques électroniques. Des scènes underground aux grands festivals, elle se distingue par une énergie brute et des ambiances spatiales, de l’acid à la trance. Après un album l’année dernière, son dernier EP Tales of a Supernova, mélange de synthés planants et de techno progressive, est sorti en novembre. Rencontre avec une artiste à la solitude choisie, toujours la tête dans les étoiles.

 

Que signifie ton nom de scène, Calling Marian ? 

Je l’ai choisi il y a très longtemps, quand j’avais une page MySpace, donc vers 16 ou 17 ans. Je ne faisais pas d’electro du tout à cette époque, et à la maison on a beaucoup écouté le premier album de Nouvelle Vague, qui fait des reprises bossa-nova de standards des années 80, un peu cold wave. Un morceau s’appelle « Marian », à la base du groupe Sisters of Mercy. J’ai connu d’abord la reprise, puis j’ai écouté l’original, et j’ai halluciné de l’écart stylistique entre les deux morceaux. À cette époque, le seul format de reprise qui existait, c’était à la guitare toute douce genre Julien Doré, Nouvelle Star. Ou alors un remix, mais juste pour rendre un morceau « club ». Quand j’ai entendu ces deux morceaux, tous deux dans des styles assez ‘niche’, j’ai trouvé ça incroyable. Le refrain fait « I hear you calling Marian », et comme je m’appelle Marianne, j’ai trouvé ça cool.

© Marie Rouge

Quelle est la différence entre la Calling Marian d’aujourd’hui et celle de tes débuts ?

Quand mon premier EP The Parade est sorti en 2017, ça ne faisait pas longtemps que j’avais découvert l’univers des musiques électroniques. J’ai seulement commencé à mixer vers 2013. J’avais un désir précis : faire des sons que je pourrais mixer en DJ set. Au début je n’y arrivais pas vraiment, parce que je n’étais pas assez cultivée en musiques électroniques. Chez moi, mon père écoutait de la musique indienne et éthiopienne, ma mère plutôt des standards français, de la musique classique. Et mon frère c’était rock, metal, Nirvana, System Of A Down, Radiohead. Et moi, j’étais plutôt rock et folk au départ. 

Quand j’ai commencé à faire cette musique-là, je faisais avec ce que je connaissais déjà : c’est-à-dire plutôt enregistrer des trucs réels et les re-sampler. Le temps avançant, j’ai vraiment beaucoup pratiqué les clubs, les fêtes, les concerts. Ça a pas mal changé ma méthode : à un moment, j’ai arrêté d’être snob et j’ai commencé à vraiment kiffer les trucs de mon enfance, que je n’écoutais pas à l’époque. Je me suis remise à écouter Nâdiya par exemple, en décortiquant de manière plus intellectuelle les musiques mainstream et pop. Ça m’a donné plein d’idées et de ressources pour écrire de la musique purement instrumentale et électronique. En allant un peu plus vers ce qu’attendrait un public et en sortant d’un travail trop ‘niche’.

 

Tu as sorti ton nouvel EP, Tales of a Supernova, en novembre. Comment l’as-tu travaillé ? 

J’ai voulu vraiment qu’il soit très rapide et techno, même trance. J’ai aussi énormément poussé sur l’écriture harmonique. J’ai presque fait un travail d’écriture de chanson : c’est-à-dire que j’ai d’abord cherché une grille d’accords, ensuite la mélodie, et enfin le rythme. Donc il y avait une démarche moins dans l’exploration sonore et logicielle, et un peu plus recentrée sur l’essentiel, pour une certaine efficacité musicale harmonique. 

EP Tales of a Supernova Calling Marian

 

Que veux-tu raconter avec tes productions ?

Dans mes morceaux d’avant, je parlais beaucoup d’enjeux politiques, de féminisme notamment. Quand tu es artiste en développement, si tu n’as rien à dire, on n’écoute pas ta musique. Il faut justifier son propos. Pour moi c’est paradoxal, parce que j’en ai des choses à dire dans la vie : j’ai des opinions fortes, je suis engagée politiquement, je suis indignée tous les jours par l’actualité, par des combats menés qui sont aberrants. Le monde est tellement triste politiquement à plein d’endroits. Mais je n’ai pas l’impression que la musique soit le mode d’expression qui me convient pour l’exprimer. 

J’ai raconté quelque chose de très sérieux et de engagé politiquement dans Hyper Opus (son album sorti en 2023). Et ça m’a fait me dire « c’est bien de l’avoir fait, mais on n’est pas forcément obligés que notre musique soit engagée ». Là, le dernier EP est plus léger, genre « j’aime bien les vaisseaux spatiaux youhou, alors je parle de ça » (rires).

 

Est-ce que des œuvres t’ont particulièrement inspirée pendant la création ? 

J’aime beaucoup ce qui est science-fiction, geek culture. C’était une autre façade de ma personnalité, et je n’avais jamais vraiment fait se rencontrer ces deux univers. Quand je vais en concert, je suis la cool kid en boîte qui fait des DJ-sets de techno, et puis quand je rentre chez moi, je joue à la Switch toute seule dans mon coin. J’ai appris à comprendre et à accepter que c’était une personnalité légitime, qui faisait partie de moi. Je suis plus allée explorer ce qui est feel good pour moi, donc mes inspirations ont un côté ludique. Ça a été les jeux vidéo auxquels j’ai joué, dont un jeu indé d’exploration spatiale, « Outer Wilds », avec une trame de fond hyper philosophique.

Dans ce jeu, tu es sur une planète et tu dois enquêter sur une civilisation disparue. Au bout de 22 minutes de jeu, il y a toujours une supernova : le soleil qui explose et engloutit tout le système solaire. Donc tu ne peux jouer que par phases de 22 minutes, tu redémarres toujours à ton point de départ. Au bout de ces 22 minutes, une musique retentit pour te prévenir que c‘est bientôt la fin. Cette musique-là, elle est vraiment folle, elle m’a trop plu et inspirée. J’ai aussi vu un film d’animation français incroyable, Mars Express, une enquête thriller sur Mars. Il y a aussi un morceau qui m’a obsessed cet été, « Messages from the Stars » de The Rah Band. C’est plutôt un son début années 80, fin années 70, disco mais avec des éléments de synthé. Donc des oeuvres vraiment spatiales.

 

Est-ce que tu as des éléments musicaux ‘signature’ ? 

Parmi mes signatures, j’ai toujours aimé et j’aime encore toujours vraiment l’acid. Cette utilisation de synthé là, qui est selon moi le synthé le plus expressif, le plus parlant. J’utilise toujours l’écriture des lignes acid comme si j’étais dans un groupe et que c’était la voix du chanteur, le lead. Aussi, j’aime bien avoir des aspects un peu organiques. Je fais moi-même mes mix, donc ça veut dire que le son ne va pas être forcément le mieux mixé du monde (rires). Mais au moins il y aura une authenticité, une chaleur. Par défaut, ça crée des choix que ne feraient pas un mixeur professionnel, parce que pour lui ce seraient des défauts. Pour moi c’est des happy accidents que je garde. Ma patte, c’est un peu mon son. 

 

Une partie du grand public t’a connue pendant les JO, quand Simone Biles a utilisé ta musique pour une de ses performances. Comment tu l’as vécu ?

C’était vraiment choquant et bizarre (rires). J’ai eu plein d’émotions mitigées un peu complexes, parce qu’à la fois c’est une chance incroyable, et en même temps personne ne m’a demandé les autorisations. C’est mon métier quand même, donc c’est une question qui se pose. Mais j’en garde quand même un aspect très positif : mon projet existe en dehors des musiques électroniques. Il parle à des gens qui n’écoutent pas forcément ce genre de musique, des auditeurs peut-être plus âgés que la moyenne. Ça perpétue ce genre d’aventure où la musique techno est entendue par des milliers de gens, dans un contexte qui n’a absolument rien à voir avec la culture de la musique électronique.

L’autre aspect très positif est que j’ai quasiment doublé mon nombre de followers sur Instagram. Ça paraît superficiel de parler des abonnés, mais c’est devenu un thermomètre de repère important à plein d’endroits. Ça permet d’avoir une crédibilité, notamment pour se faire programmer. C’est vraiment triste, mais ces chiffres ont de l’importance aujourd’hui.

 

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Comment se déroulent tes lives ? 

Pour mes lives, j’ai arrangé ma musique afin de ne pas avoir trop d’accidents. La musique déroule, et par-dessus je rajoute des fioritures au synthé, je travaille le mixage en direct. J’improvise des parties, je les fais durer plus longtemps… Ça se rapproche de ce que pourrait faire un DJ. Avec le temps, j’ai essayé d’alléger les choses que je fais vraiment en live, pour être confortable. Et pour pouvoir être davantage avec le public. Parce que si tu fais un live de musique électronique et que tu fais tout, tu ne peux rien faire d’autre, tu ne peux pas relever les yeux une seconde. J’ai envie que ce soit fun pour les gens, qu’ils puissent me voir notamment.

 

Comment ça se traduit sur scène ? 

J’ai mes tables et instruments sur les côtés. Raison numéro 1 et majeure : quand tu joues sur un pratos (les grandes tables où mettre le matériel des DJ), que tu es une fille et que tu fais 1m60, le pratos est trop haut. Car c’est un standard basé sur un corps masculin, c’est insupportable. Il y a aussi le fait que la table cachait mes mains, les gens ne comprenaient pas que je faisais un travail de concert en live et non pas un travail de DJ. Et ça me frustrait. Le DJ-set est une pratique absolument honorable et respectable, je la pratique moi-même, mais j’avais envie de montrer que c’était autre chose que je proposais.

 

Qu’est-ce qui fait un bon live selon toi ? 

Il faut que ce soit bien écrit, ou alors être un très bon musicien. Pour proposer une heure de musique qui tient la route sans qu’on s’ennuie et qui soit cohérente, c’est un travail d’écriture très important.

Autre chose d’essentiel dans les musiques électroniques : la scénographie. Parce que comme on ne chante pas, on n’est pas en train d’incarner ce qu’on est en train de faire façon pop star mais en train de l’incarner techniquement, c’est important de pouvoir raconter nos histoires autrement, avec un enrichissement visuel. De partager une émotion forte avec la scénographie qui peut permettre de défendre l’univers de l’artiste.

 

On y était avec Tsugi : tu as rempli le Trabendo mi-novembre. Quelle est ton histoire avec la salle ? 

L’histoire est très cool ! J’étais au lycée à Montpellier, j’avais fait mon coming out, j’avais envie de vivre la ‘fiesta loca lesbiana’ (rires). Mon père était parti en voyage pendant trois semaines, je ne suis pas allée en cours, j’ai séché le bac blanc de français et avec une amie on est allées à Paris voir ce groupe qu’on adorait à l’époque, Robots in Disguise, en concert au Trabendo dans le cadre du festival Les femmes s’en mêlent. Dix ans plus tard, j’y ai rejoué pour les auditions des INOUÏS du Printemps de Bourges : j’ai été sélectionnée et j’ai eu le prix ! Ensuite, j’y ai fait la première partie de Jeanne Added, j’étais trop contente parce que son album cette année-là, Radiate, est un de ceux que j’ai le plus écoutés.

Et enfin la date en novembre dernier, c’était super impressionnant pour moi parce que c’était mon concert headliner de l’année, j’en fais un par an à Paris depuis trois ans. Et chaque année, j’augmente ma jauge de billets vendus. Ça a commencé on était 100 à Petit Bain, puis 400 au Badaboum l’année dernière et cette année 800, sold out au Trabendo. Moi j’ai vraiment le syndrome de l’imposteur, quand 100 ou 200 personnes venaient me voir je me disais « oui c’est normal, ça fait longtemps que je n’ai pas joué à Paris, et puis il y a toute ma famille aussi ».

Mais quand il y a 800 personnes, tu ne peux plus faire semblant et croire que les gens veulent juste te faire plaisir en venant à ton concert. J’étais obligée d’admettre que je proposais un objet artistique que les gens apprécient, c’était la grosse prise de conscience de ce concert là. J’étais très reconnaissante. J’avais même préparé un texte que j’ai pas du tout lu au final, mais du coup je le dis ici : je suis hyper reconnaissante et très heureuse parce que ça s’est super bien passé alors que je stressais pas mal. Et je suis fière, parce que j’ai réussi à ce que ma date headliner, soit l’un de mes meilleurs concerts de l’année ! 

 

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C’est quoi la suite pour toi ? 

Il y a des trucs très, très chouettes qui arrivent en 2025. Ça va pas du tout être une année sabbatique pour moi…

 

À lire aussi sur Tsugi.fr : Exclu Tsugi : le bouillant « Inferno » de Calling Marian, entre acid et trance 90’s

 

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