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24 octobre 2014

Cerrone : “je n’ai pas inventé grand chose mais la french touch, ça oui !”

par rédaction Tsugi

À 62 ans, Marc Cerrone, roi d’une disco autant inspirée par Santana que par Barry White connaît une seconde jeunesse. La réédition de ces trois premiers albums et de ses B.O. cultes nous plonge au cœur des années 70 quand “Love in C Minor” ou “Supernature” dominent le dancefloor des “night-clubs” -le raccourci vers le “club” attendra une bonne vingtaine d’années- en s’étirant sensuellement sur des formats de plus de sept minutes, inédits à l’époque.

Thé glacé à la main, chevelure blanche, et parole alerte, il nous raconte ses années folles, mais pas que…

Marc Cerrone : Je n’ai voulu être ni branché, ni populaire, j’ai toujours voulu faire ce que j’avais envie de faire. Ce n’est pas l’argent ni quoique ce soit d’autre qui m’ont motivé. Quand on regarde la longévité de ma carrière, il n’y a pas tant de tubes que ça. J’ai dû en faire une quinzaine, ce n’est pas énorme mais il faut dire que quand j’en fais un, c’est du gros ! Pourtant, je n’ai jamais eu l’intention de travailler pour les radios, d’entrer dans un format pour que ça marche. A partir de 1979, quand il y a eu une grosse vague, où chaque pays avait sa star locale qui se transformait “disco” comme ici Dalida ou Claude François, je ne suis jamais allé là-dedans. Même si je vendais moins, mais juste assez pour tenir le coup.

Est ce que tu penses que les pochettes de ces trois premiers albums ont largement contribué à ton succès ?

A l’époque quand j’écoutais du Santana, du Deep Purple, ou du Pink Floyd, la pochette de leurs albums me parlait. Ça me racontait en image ce que j’entendais, donc j’ai été formé à cette école, je ne sais pas faire autrement. Il y a très peu d’albums de moi où j’ai ma tronche en gros plan à la Joe Dassin. Et pourquoi on m’a donné la casquette branchée ? C’était par rapport au style unique mais c’est surtout grâce à ces pochettes. J’ai mis une fille à poil sur celle de Love in C Minor, ce qu’on ne faisait jamais à l’époque. Mais comme les deux premières minutes et demie de l’album, il n’y a pas de musique mais des nanas qui parlent d’un mec qu’elles vont se faire, ce n’est pas incohérent de voir une fille nue sur la pochette. Quand par la suite, vous vendez trois millions et demi d’albums et que vous gagnez un Grammy Award, vous pensez à la suite. Je travaille tout seul, je n’ai pas de créatif autour de moi et j’ai trouvé pour Paradise, mon second album, un photographe qui me propose l’idée d’une nana à poil sur un frigidaire. Je dis : ok mais il faut que je sois aussi sur la photo. Quand il shoote, la position de la nana est tellement difficile que la porte du frigo s’ouvre, et qu’un pot de yaourt tombe. Il y a eu beaucoup d’interprétation sur cette traînée blanche, certains disaient c’était de la coke. C’est vrai que j’étais complètement dedans à l’époque. Mais on était tous dedans !

Tu as connu les excès en tout genre de la décennie, comment tu as fait pour ne pas sombrer ?

Les enfants, la famille, ça permet de garder les pieds au sol, même si parfois ils décollent. Parce qu’évidemment les conneries, j’en ai fait. En plus en deux ans, j’ai dû vendre une quinzaine de millions d’albums donc entre l’argent, les gens qui vous disent que vous êtes un génie…J’ai dû avoir la tête qui a explosé, j’ai dû être pas bien avec certains, c’est sûr. Mais jamais avec des excès irréparables parce que sinon cela m’aurait laissé des séquelles.

Quel est ton souvenir le plus extravagant de cette époque ?

Toutes ces soirées avec Andy Warhol au Studio 54, mais il n’y a rien à raconter, ce n’est pas racontable…

Est ce que tu connaissais Daniel Vangarde, le père de Thomas Bangalter des Daft Punk qui produisait également du disco?

Je le connaissais, mais je ne le fréquentais pas. Il était trop pop, il produisait la Compagnie Creole. Tout ce que vers quoi je ne voulais pas aller.  Au début de ma carrière, j’ai fait partie d’un groupe qui s’appelait Kongas qui était très branché. Mais Barclay, notre label, voulait qu’on fasse plus de tubes à la Martin Circus, j’ai dit non, je n’ai pas envie donc j’ai quitté le groupe. Au bout d’un an, je fais  “Love in C minor” sans aucune concession et je le fais écouter à Eddy Barclay qui me dit : “mais qu’est ce que tu m’amènes là ? Tu quittes le groupe pour faire une merde pareille !”

Est ce qu’il avait une rivalité entre toi et Giorgio Moroder ?

On était sur les mêmes labels, à la même période avec des trucs très novateurs, sauf que moi j’étais sur le devant de la scène, et lui était derrière avec Donna Summer et l’on me racontait qu’il ne le vivait pas très bien. Mais il ne faut pas oublier que le mec a douze ans de plus que moi, à nos âges, ça tape. Pendant trente ans, j’ai toujours été plus ou moins dans l’actu, alors que lui était oublié, en plus la voix de Donna Summer a beaucoup vieilli, c’est de la chanson. D’ailleurs, il n’a pas été samplé  Moroder. Il n’y a que Chic et moi avec mes basses et ma drums qui ont été le plus samplé. En plus il a sorti deux albums où il chantait et il en a vendu douze. Mais c’est une belle revanche aujourd’hui pour Giorgio que les Daft Punk l’aient remis dans la lumière.Donna Summer et Cerrone 

Est ce que tu es nostalgique des années soixante-dix ?

Non, moi j’adore notre époque. En plus Emmanuel de Buretel (le PDG de Because la maison de disques qui sort ces rééditions) m’a poussé à faire des DJ’s sets où je m’éclate en faisant un megamix de mes tubes. Maintenant je prends autant de plaisir que faire des concerts. Quand vous avez la chance que ça vous arrive devant 50 000 personnes, c’est un bonheur, je peux en plus jouer mon répertoire dans des endroits qui ne sont pas adaptés à mon live. Et faire ça à 60 ans, comment voulez vous que je ne sois pas heureux ?

Tu te souviens de la première fois où tu es allé dans un club ?

A l’époque, on disait “night-club”. On passait une demi-heure de slow et une demi heure de “rapide”. Le côté branché de la disco, c’est qu’on faisait la fête dans des sous-sols, dans des lofts avec Warhol. Les clubs voyant que cela marchait beaucoup ont transformé des lieux atypiques comme le Palace à Paris ou le Studio 54 à New York. Je ne vais pas dire que j’ai créé tout ça mais j’étais un maillon d’une chaîne qui a balayé l’ancienne manière de faire des soirées. Au point que des mecs, ce sont dits, on va en faire un film, La Fièvre du Samedi Soir, mais c’était trois ans plus tard. 

Quel est ton premier souvenir attaché à la musique ?

Quand on m’a présenté mon meilleur copain et qui le reste toujours : ma batterie. C’est ma mère qui a trouvé l’idée de me récompenser en m’achetant une batterie si je travaillais bien à l’école, enfin si au moins je ne me faisais pas virer. On ne pouvait pas arrêter l’école à douze ans ! Comme j’ai réussi le pari, au mois de juin, on va chez Paul Beuscher à Bastille et elle m’achète cet instrument à crédit, elle s’était saignée. J’avais bien écouté la batterie des disques et quand je me suis assis sur le siège et que j’ai commencé à jouer, le vendeur a dit à ma mère :  “Mais il sait déjà jouer ! ” J’avais un don, ça m’a donc motivé. Et puis je n’ai pas été mauvais, à 14 ans j’ai eu mes premiers articles dans la presse et à 17 ans je monte Kongas.Kongas

Comment en est tu arrivé à composer de la musique de films ?

J’ai rencontré l’écrivain Gérard de Villiers, on a sympathisé, il me parle de l’adaptation au cinéma de ses livres “Brigade Mondaine”, mais il fallait six livrer six mois après. Moi, j’étais de passage en France, je l’ai fait en trois jours, l’album devient disque d’or. Un an après il me demande la suite, puis un troisième, après j’ai arrêté. J’avais demandé à ma maison de disques de ne pas vendre ce disque aux States parce que je trouvais que c’était de la merde. Alors quand Because m’a dit : on ressort Brigade Mondaine. J’ai d’abord dit  non, je n’ai pas les masters. Pour moi c’était des trucs qui devaient rester cachés. Mais les Dj’s branchés le joue plus des artistes comme Massive Attack qui ont samplé ces disques, ça m’a convaincu.

Comment as tu réagi la première fois où tu as été samplé ?

Tout ce qui était branché, quand on me pompait une boucle comme Massive Attack, j’ai toujours laissé faire. Par contre, quand c’était Lionel Richie, Pink, ou Daft Punk, ça devenait du blé parce que c’était de la pop. Alors je prenais le téléphone et  il n’y avait pas à discuter. C’est comme ça que pendant dix ans, on m’appelait Mister 50%. Chaque fois ils prenaient une rythmique et un gimmick de basse. Comme Paul Mac Cartney, un jour j’ai reçu une lettre de Sir Paul Mc Cartney qui m’avait samplé sur “Goodbye Tonight” des Wings.

Comment as tu rencontré Bob Sinclar ?

J’étais à Los Angeles en train de produire un show pour le changement de millénaire, un gros taf, je me retrouve à gérer cent personnes et mon fils qui connaissait cette génération me dit qu’il y avait un mec qui s’appelait Bob Lascar, c’est le nom que j’avais compris, qui voulait me contacter. Un matin tôt, j’arrive à mon bureau, il n’y avait personne, le téléphone sonne, je décroche et un mec me dit : “bonjour je m’appelle Bob Sinclar” Je réponds : “ah mais c’est Sinclar ou Lascar ?” Non c’est Sinclar. Et il me fait entendre “I Feel For You”. C’était tellement du Cerrone de l’époque, que je lui dis ok, on  fera du 50/50 mais tu viens dans mon studio à Los Angeles, tu auras mes voix, mon arrangeur, tu auras du vrai Cerrone. Il est arrivé tout timide, et on a fait ça en une après-midi et c’est devenu un gros tube. Un peu plus tard, j’étais à Paris, Pascal Nègre voulait que je sorte un best of. Je n’étais pas fan, mais je déjeune avec Chris (Bob Sinclar) et je lui demande : “combien tu prends pour faire un DJ set ?” Il me dit 20 000 francs, je lui dis “ok, je te les file et tu me fais un DJ set avec que du Cerrone que tu édites.” Il me l’envoie, et je trouve ça super et je lui dis : ok ça s’appelle Cerrone by Bob Sinclar. On a dépassé le million de ventes. J’étais tellement gêné que je lui ai donné 2 points sur les ventes. Ça l’a “artistisé”. On est toujours copains.

Est ce que tu te sens proche de certains producteurs actuels ?

Moi qui n’aime pas la musique française je trouve qu’en ce moment, on est servi entre Stromae, Justice, Christine & The Queens, Breakbot qui sera en featuring sur mon prochain album, on y est enfin ! À mon époque Atlantic ne voulait pas dire que j’étais Français, ils préféraient que je dise que j’étais italien. Souvent on me disait : “mais c’est quoi votre différence ? vous employez des musiciens américains, vous enregistrez en Angleterre.” Alors moi je répondais : c’est une french touch. C’est de là qu’est venu le truc. Il y a des preuves de cela, si quelqu’un qui a lancé ça c’est moi. Je n’ai pas inventé grand chose, mais la french touch oui c’est moi. 

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Intégrale B.O. Brigade Mondaine coffret deluxe (Malligator/Because)

 

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