Comment l’Elysée Montmartre renaît de ses cendres

Il aura fal­lu près de deux ans de travaux pour que l’Élysée Mont­martre retrou­ve de sa superbe grâce à une équipe déter­minée à faire revivre l’âme de cette mythique salle de con­cert parisi­enne. Explications. 

Depuis le 22 mars 2011, l’Élysée Mont­martre délabré fai­sait bien pâle fig­ure sur le boule­vard de Roche­chouart à Paris, coincé entre la devan­ture rouge pétant d’une friperie et un vendeur de pani­nis mont­martrois. Ce jour-là, un incendie causé par un ter­mi­nal de carte ban­caire défectueux avait rav­agé le lieu du sol au pla­fond, empor­tant avec lui les sou­venirs musi­caux de mil­liers d’artistes et de spec­ta­teurs. Depuis, on s’était presque habitué à voir ces filets de pro­tec­tion qui empêchaient les quelques dernières pier­res de l’édifice de dégringol­er, n’attendant hélas plus grand-chose du lieu. Ouverte en 1807, celle qui dans un pre­mier temps est une salle de bal accueille le gratin de la société parisi­enne. On y invente le french can­can, on y refait le monde lors d’assemblées révo­lu­tion­naires au moment de la Com­mune de Paris et, dès 1949, on s’y affronte à la boxe ou au catch et on se rince l’oeil devant des effeuilleuses. Vingt ans plus tard, les derniers utopistes sont enter­rés, les gants sont rac­crochés et l’Élysée est trans­for­mé en salle de con­cert où se côtoient grands noms de la scène française (Noir Désir lors de sa pre­mière tournée, Bashung, Sou­chon) et inter­na­tionale (les Ramones, Dinosaur Jr. et Bowie y ont tous livré des con­certs mémorables). Le culte est tel qu’en 2013, l’artiste André monte une mas­ca­rade de toutes pièces à grand ren­fort d’affiches col­lées sur les murs de la Cap­i­tale, fan­tas­mant une ultime soirée french touch à l’Élysée Mont­martre avec Daft Punk, Air, Jus­tice, Cas­sius et consorts.

Illus­tra­tion : Ecartfixe

Pour Abel Nah­mias et Julien Labrousse, les nou­veaux pro­prié­taires, la ques­tion s’est vite posée de savoir com­ment rester fidèle à l’esprit d’un tel lieu, plus de deux cent ans après son ouver­ture. “L’Élysée Mont­martre a for­mé cul­turelle­ment une généra­tion qui décou­vrait pour la pre­mière fois le rap, l’électro…”, con­fie Abel. “Cette salle a une place un peu par­ti­c­ulière dans le coeur des gens et c’est pour cela qu’on a essayé d’être fidèle à son héritage très riche aus­si bien his­torique­ment que cul­turelle­ment.” Les deux asso­ciés ne sont pas des novices sur le marché du spec­ta­cle parisien. C’est égale­ment à eux que l’on doit la remise sur pied d’une autre adresse de la nuit parisi­enne, à quelques mètres seule­ment de l’Élysée Mont­martre : le Tri­anon. “On a acheté l’Élysée Mont­martre au même marc­hand de biens que le Tri­anon, il pos­sé­dait le pâté de maisons. À cause de l’incendie, la boîte de pro­duc­tion Garance qui déte­nait jusqu’alors le bail l’a per­du, et comme le vendeur nous con­nais­sait et nous fai­sait con­fi­ance, nous avons récupéré la salle. Bizarrement, repar­tir de zéro n’est pas for­cé­ment plus dif­fi­cile qu’une réno­va­tion, où tu dois com­pos­er avec ce que tu as déjà. Cela a été très vite, seule­ment un an et demi de travaux, on avait une super équipe”, explique fière­ment l’heureux copropriétaire.


Illus­tra­tion : Ecartfixe

RESTAURER, HARMONISER, PROGRAMMER 

À l’intérieur, tout est d’un blanc cassé très chic. Le grand escalier un peu “casse-gueule” fait désor­mais place à de belles march­es aux tons clairs, éblouis­sant sous la lumière de la ver­rière. Dans la salle — qui pour­ra accueil­lir jusqu’à 1 380 per­son­nes — la dis­po­si­tion n’a pas changé : la scène — amovi­ble sur vérins, sous laque­lle se cacheront des fau­teuils pour les con­certs en con­fig­u­ra­tion assise — se trou­ve tou­jours sur la gauche en entrant. Mais un nou­v­el espace ‘chill’ don­nant sur le boule­vard de Roche­chouart a été ouvert grâce au rachat de la par­tie supérieure du mag­a­sin attenant (voir illus­tra­tion ci-dessus). Aidé par des cro­quis orig­in­aux, le scéno­graphe Antoine Fontaine — à qui l’on doit égale­ment des mer­veilles au Théâtre de Ver­sailles et à la Scala de Milan — a su redonner au lieu son charme d’antan, et même plus encore : “Au fil du temps et des incendies — il y en avait déjà eu un en 1900 — les gen­res se sont mélangés jusqu’à don­ner un éclec­tisme peu har­monieux. Il a donc fal­lu har­monis­er la salle en faisant des recherch­es sur les travaux de l’architecte orig­inel, Édouard Nier­mans. Son style cor­re­spond à une péri­ode entre le Sec­ond Empire et l’Art nou­veau, autour de 1900. L’incendie a fait vriller la struc­ture métallique, lui faisant per­dre son élas­tic­ité, il a fal­lu tout chang­er. Cette char­p­ente appar­ente n’est donc pas celle d’origine — qui sor­tait des ate­liers de Gus­tave Eif­fel -, mais une repro­duc­tion fidèle. Quant à la façade qui est classée aux mon­u­ments his­toriques, elle n’a pas trop souf­fert de l’incendie, on l’a seule­ment rénovée.” Au total, les travaux de réamé­nage­ment auront coûté autour de huit mil­lions d’euros : “On s’en était plutôt bien sor­ti avec l’ouverture du Tri­anon, donc on avait la con­fi­ance de nos parte­naires et des ban­ques qui nous ont suiv­is sur l’acquisition de l’Élysée Mont­martre”, avoue Abel.


L’Elysée Mont­martre et le Tri­anon. Illus­tra­tion : Ecartfixe

Quant à la pro­gram­ma­tion, plutôt mod­erne, elle a de quoi plaire. C’est à ‑M- que revien­dra l’honneur d’ouvrir les fes­tiv­ités le 15 sep­tem­bre prochain. Est égale­ment atten­due tout au long des mois de sep­tem­bre et d’octobre une flopée de jeunes (Petit Bis­cuit, Odezenne, A‑Wa, Jeanne Added, Super­poze…) et de moins jeunes artistes (Dinosaur Jr., Killing Joke). “On va essay­er d’avoir une qual­ité générale dans l’éclectisme. En gros, le Tri­anon est plutôt ori­en­té rock/pop/folk et l’Élysée un peu plus indé, électro-rock-rap-métal.” Mal­heureuse­ment, ne vous atten­dez pas à y revoir les Daft Punk ou Lau­rent Gar­nier comme à la belle époque, il n’y aura pas de club­bing : “Nous ne voulons pas faire de nuit. En revanche, on fera de l’évènementiel. On pour­rait très bien imag­in­er des fes­ti­vals partagés entre le Tri­anon et l’Élysée, même si pour l’instant ce n’est pas à l’ordre du jour pour des ques­tions d’isolation phonique.” Et Abel Nah­mias de con­clure : “L’histoire, main­tenant, il faut l’écrire.”

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