© Marie Rouge // Julie Trannoy // Alexia Cayre

Comment on crée la BO d’une série ? Réponses avec trois compositrices

Com­ment com­pos­er la bande-son d’une série ? Qu’est-ce qui fait une bonne BO ? Com­ment faire pour retran­scrire au mieux, la couleur d’une image et les sen­ti­ments des per­son­nages ? Voilà des élé­ments de réponse avec trois pro­duc­tri­ces de musiques élec­tron­iques, toutes en com­péti­tion pour le Prix Sacem au Fes­ti­val Séries Mania (Lille) : Rebe­ka War­rior et Maud Gef­fray pour leur tra­vail sur la série Split, puis Olivia Mer­i­lahti pour Asper­girl

 

 

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Rebeka Warrior (Sexy Suhi, Mansfield.TYA, Kompromat) et Maud Geffray, nommées à Séries Mania pour leur travail sur la série Split d’Iris Brey

 

Com­ment avez-vous été con­viées sur le pro­jet de série ?

Rebe­ka War­rior : Iris Brey, la réal, m’a con­tac­tée. C’é­tait il y a quelques mois, elle était déjà un peu à la bourre (rires). Elle voulait que je fasse la musique. J’avais plein d’autres pro­jets sur le feu, mais comme j’ai beau­coup aimé ce qu’elle pro­po­sait j’ai ditOK, mais je ne pour­rai pas y arriv­er seule”. Et il se trou­ve que Maud Gef­fray a sor­ti des tracks sur mon label, on s’en­tend très bien, j’adore sa musique… C’est Iris qui a choisi, mais j’ai trou­vé ça très bien comme choix.

Maud Gef­fray : Rebe­ka avait déjà fait le générique quand ils m’ont appelée, pour com­pos­er ? la musique à l’image de la série. Ça a été très vite. On s’est vues trois, qua­tre fois avec la réal’ et on avait ce qu’il fal­lait. C’est sou­vent ça en musique à l’image : si tu es dans le bon ton tout de suite, ça va rouler. Ce qui était très pra­tique, c’est que le mon­tage était quasi-terminé. J’avais les 5 épisodes, avec des musiques d’attente mis­es un peu partout. Je n’avais qu’à les rem­plac­er, rem­plir les cas­es, tout était calibré.

 

Vous avez déjà com­posé pour des BO, courts-métrages, musiques de spec­ta­cle… Tu retrou­ves cer­tains réflex­es, y a‑t-il une méth­ode qui revient ou au con­traire c’est dif­férent à chaque fois ?

Maud Gef­fray : C’est très instinc­tif. J’adore habiller l’image, depuis tou­jours. Je ne galère pas sur les inten­tions, le but c’est de rap­procher les spec­ta­teurs de l’émotion qui passe à l’écran. Alors oui, je com­mence à avoir mes ’tricks’, mais ça change selon les inten­tions. En par­al­lèle, je fais une série doc­u­men­taire pour Net­flix, sur une his­toire sor­dide, donc ma musique est beau­coup plus dark que ce que j’ai fait sur Split, où l’histoire est plus légère.

Rebe­ka War­rior : J’en ai fait pas mal ces derniers temps. Je m’y suis mise avec le Covid, comme beau­coup de musi­ciens. Comme je n’avais plus de tournée et que j’é­tais hyper­ac­tive (rires), j’ai dit oui à des trucs que j’au­rais refusés avant. L’ex­er­ci­ce était un peu bal­aise au début : il faut vrai­ment bien s’en­ten­dre avec la réal’, parce que c’est ton binôme. C’est la règle numéro 1. J’ai pas mal bossé avec Alex­is Lan­glois, j’ai fait un court-métrage pour lui et là on est en train de faire un long, qui s’ap­pelle Les reines du drame : c’est une comédie et Yelle com­pose aus­si. C’est l’his­toire de deux meufs qui se ren­con­trent à la Star Ac’, j’écris les chan­sons de l’une et Yelle fait les chan­sons de l’autre. Evidem­ment, elles tombent amoureuses.

 

Dans Split, la série racon­te le par­cours d’An­na, une dou­blure cas­cade qui tombe amoureuse de la star qu’elle double…

Rebe­ka War­rior : …Je tra­vaille tou­jours sur des his­toires d’amour entre femmes (rires). J’ai com­posé une autre BO pour un film qui sort bien­tôt, ça s’ap­pelle À mon seul désir de Lucie Bor­leteau et pareil, c’est encore une his­toire de goudous !

 

Dans quelles direc­tions êtes-vous allées chercher ?

Rebe­ka War­rior : J’ai tra­vail­lé en amont de la réal’. J’ai com­posé avec le syn­op­sis, Iris Brey voulait une grande chan­son. C’est pas une comédie musi­cale mais pour le début, elle voulait que les per­son­nages chantent ‑parce qu’il y a aus­si Jehn­ny Beth qui joue dedans. Finale­ment c’est ce qui a servi de générique. J’ai com­posé le générique de fin et de début, Maud a fait le reste ‑et j’ai trou­vé ça génial.

Maud Gef­fray : J’ai com­mencé par tout regarder, puis j’ai fait dif­férents thèmes. Il y avait les génériques de Rebe­ka, de début et de fin, qui sont en réal­ité une chan­son un peu dark. J’ai voulu con­traster. J’avais envie d’amener les sen­ti­ments et les émo­tions des per­son­nages de la série, qui sont en train d’éclore. Racon­ter une his­toire d’amour qui démarre entre deux femmes, et la sur­prise que ça crée chez l’héroïne. L’idée, c’était de con­vi­er la nais­sance dans la musique. Pren­dre l’open­ing et en faire un thème, que j’ai remis à dif­férents endroits en faisant des dévi­a­tions. Il est à la fois léger et très ‘ques­tion­nant’… J’ai essayé de suiv­re les émo­tions qui se dessinent.

 

Qu’est-ce qui fait une bonne BO, une bonne com­po­si­tion de musique à l’image ? 

Rebe­ka War­rior : Être en phase avec la/le réal’, on est là pour les servir, pour racon­ter ce qu’ils ont en tête. C’est ce qui fait la sin­gu­lar­ité de com­pos­er de la musique de série/film. Alors que dans mes pro­jets je m’auto-sers, j’ai mes choses à dire.

Maud Gef­fray : L’essentiel c’est d’avoir une osmose entre la musique, ce que veut racon­ter le/la réal et le mon­tage. Jusqu’à par­fois le sur­pren­dre, tout en restant sur le bon reg­istre ! Ça amène une espèce de 3e dimen­sion, une autre lec­ture, une loupe.

 

À quoi ressem­ble le ren­du final de ton générique Rebeka ? 

Rebe­ka War­rior : C’est une chan­son un peu éro­tique, mais aus­si un peu drôle. Pour desta­bilis­er, pour installer du sec­ond degré, pour y voir aus­si un switch quelque part. La musique est très mignonne et les paroles sont bien “ghet­to”. Les pro­duc­teurs ne voulaient pas for­cé­ment la met­tre, mais on a fait le forc­ing ! (rires)

 

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Olivia Merilahti (Prudence, The Dø), nommée à Séries Mania pour son travail sur Aspergirl

 

 

Com­ment as-tu été con­viée sur le pro­jet Asper­girl ?

C’est la réal­isatrice, Lola Roque­p­lo qui m’a contactée.

 

Tu as déjà fait des BO de films, c’est un exer­ci­ce que tu affec­tionnes ? As-tu retrou­vé des réflexes ?

C’était d’autant plus dif­férent car c’était une série. Ce n’est pas la même tem­po­ral­ité, ni la même exi­gence de rendez-vous à l’image. J’accepte les pro­jets qui me lais­sent beau­coup de lib­erté : c’était génial de tra­vailler avec Lola. Elle m’a don­né une ambiance, pas mal de références pour la série ‑et heureuse­ment, parce que c’est indis­pens­able. On était sur une BO punk, années 1980–1990, fémin­iste, Riot grrrl. Dans les BO et la musiques à l’image, on se met au ser­vice d’un pro­jet mais c’est aus­si très cathar­tique. Sans ce pro­jet je n’au­rais pas fait ces chan­sons qui brail­lent, désinhibées.
Pour la par­tie ‘score’ qui est plus déli­cate ‑parce que plus travaillée- on est oblig­és de ren­tr­er dans le détail de l’action, de l’émotion des per­son­nages. Con­traire­ment à une chan­son où on se met dans une énergie émo­tion­nelle plus globale.

 

La série se cen­tre sur une mère, son enfant et le spec­tre de l’autisme entre les deux ? Com­ment retranscrit-on ça en musique ?

Je divise mon tra­vail en deux. Il y a le côté vocal/chanson. Loui­son, l’héroïne jouée par Nicole Fer­roni, écoute quasi-exclusivement du speed met­al. Ça donne déjà une ambiance, des élé­ments sur le per­son­nage. Il y avait une envie de ne pas se vic­timiser et donc l’idée de par­tir sur des morceaux très spon­tanés, lim­ite mal joués, mais avec une énergie très punk. Cela mar­chait bien car ça per­me­t­tait d’aller tou­jours de l’avant, et c’est ce que font tous les per­son­nages, même s’il y a des moments plus sen­si­bles. Je me recon­nais pas mal dans cet état d’esprit : on n’est pas là pour s’appitoyer sur soi-même. Et il y a une vraie recherche de solu­tions sur com­ment faire pour paraitre “nor­male”, ce qui est évidem­ment impos­si­ble. Au niveau des paroles, j’ai été inspirée par le côté out­sider. Il y a cette dif­férence qu’il faut réus­sir à exprimer. Une chan­son s’appelle “Weirdo”, où elle se sent tou­jours bizarre et son fils aus­si… Mais où est la nor­mal­ité ? Est-ce qu’on n’est pas tous bizarres ? Il y avait quelque chose de philosophique. La façon d’aborder le texte était assez fluide.

 

Tu dis­ais qu’il y a une dif­férence entre com­pos­er pour un long-métrage ou une série. Qu’est-ce qu’il y a de car­ac­téris­tique à com­pos­er pour une série ?

C’était la pre­mière série que je fai­sais. Je crois qu’il y a quelque chose de désacral­isé, car il y a beau­coup de musiques. Les séries sont quand même con­di­tion­nées par une ambiance sonore, sou­vent assez per­ma­nente et qui donne de l’élan. C’est peut-être au niveau du mood de la série. Cer­taines sont très deep… Là, sur dix épisodes de 26 min­utes, il faut réus­sir à avoir une vision glob­ale et se projeter.

 

C’est quoi une bonne BO ?

C’est celle qu’on a envie de réé­couter chez soi après avoir vu le film. La BO d’Inter­stel­lar m’a boulever­sée, j’y reviens tou­jours. J’écoute beau­coup de BO. En tant que chanteuse, ça me fait du bien d’écouter des morceaux sans voix. C’est cette vie à part, en dehors du film, ou la BO qui te fait aimer le film. C’est vrai­ment essen­tiel pour moi : la musique et le son sont de toute façon essen­tielle à n’importe quelle œuvre.

 

Tu dis­ais que cette BO était un exem­ple de sol­i­dar­ité fémi­nine, peux-tu nous expli­quer pourquoi ?

Oui ! Dans le sens où Lola a pen­sé à moi à la suite d’un post Insta­gram que j’avais fait, au sujet de l’équipe fémi­nine qui m’avait accom­pa­g­née sur scène en 2021 pour mon pro­jet solo. Ça lui a don­né l’idée de me deman­der, plutôt que d’entrer dans le sys­tème des jeunes réal­isa­teurs et réal­isatri­ces où on va leur pro­pos­er à 90 % des hommes. Elle a voulu chang­er quelque chose et à cet endroit-là, il y a un élé­ment sociale­ment intéres­sant. C’est un exem­ple de sol­i­dar­ité et d’envie de con­stituer des équipes féminines. Je suis recon­nais­sante. C’était un vrai plaisir pour moi de le faire.

 

 

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