Comment une école de commerce gère un label techno

Pour faire ses pre­miers pas dans l’industrie cul­turelle, rien ne vaut un pre­mier test grandeur nature. C’est la pos­si­bil­ité qu’offre Nympho­ny Records, label de musique élec­tron­ique étu­di­ant fondé à Grenoble. 

Lorsqu’il intè­gre GEM, l’école de Man­age­ment de Greno­ble, Vin­cent Locanet­to con­state que sur les 7780 étu­di­ants que compte l’école, beau­coup ont des pro­jets ou des expéri­ences cul­turelles. D’un côté “cer­tains ont déjà signé un album en indépen­dant, mais ont tout lais­sé tomber pour aller en fac ou en pré­pa”, de l’autre “beau­coup de gens, comme moi à l’époque, ont envie d’apprendre à boss­er dans le man­age­ment cul­turel”. Avec d’autres étu­di­ants, il a l’idée de créer un label pour des musi­ciens étu­di­ants, géré par des étu­di­ants, réal­isant ain­si un “petit lab­o­ra­toire pour ceux qui veu­lent se frot­ter au man­age­ment cul­turel”. Son nom : Nympho­ny Records, aux débuts très éclec­tiques, les organ­isa­teurs recru­tant surtout dans leur vivi­er de base, les étu­di­ants de l’école. Si la plu­part des artistes sont élec­tro, on trou­ve aus­si deux rappeurs, une chanteuse entre jazz et soul, et un groupe de pop-rock. “Un pari risqué parce qu’on ne man­age pas de la même façon un artiste de rock et un artiste élec­tro”, reprend Vin­cent. Deux ans plus tard, l’organisation se recen­tre sur la musique élec­tron­ique. Une muta­tion logique qui per­met à Nympho­ny de s’imposer et de devenir l’un des qua­tre piliers du milieu tech­no de la ville, avec Carton-Pâtes Records, MicroP­op et Retour de scène. “C’est devenu un label com­plet”, s’occupant égale­ment du man­age­ment d’artistes, des activ­ités de book­ing, ain­si que du mas­ter­ing et du pres­sage d’albums physique en CD et vinyles.

FAIRE PARTIE DE LA FAMILLE

Si tous les étu­di­ants de l’école peu­vent can­di­dater pour tra­vailler dans l’association, des pro­fes­sion­nels vien­nent les for­mer sur des enjeux économiques et musi­caux pré­cis. “Ce qui m’intéressait le plus c’était la ges­tion des car­rières des artistes”, con­fie Vin­cent Locanet­to. Pour Mila Diet­rich, DJ et pro­duc­trice mar­seil­laise fière­ment estampil­lée Nympho­ny, c’est aus­si l’intérêt : “Être signée sur un label fixe me per­met de me sen­tir encour­agée, j’ai l’impression de faire par­tie de la famille.” Pour son dernier EP récem­ment sor­ti, “on a eu une grosse dis­cus­sion artis­tique, ils ont pris le temps d’écouter et de me faire des retours. C’est impor­tant cet aller-retour sur mon tra­vail”. Comme la plu­part des artistes de l’écurie, Mila Diet­rich a été repérée à l’occasion d’un con­cours de pro­duc­tion, le pro­jet phare du label qui se déroule chaque année entre avril et mai. Les artistes issus de ce con­cours sont ensuite choi­sis pour appa­raître aux côtés des sig­na­tures mai­son sur une com­pi­la­tion annuelle de dix à douze morceaux pressée à plus de 10 000 exemplaires.

Au sein de l’école, le label est large­ment cité par les can­di­dats lors de l’épreuve des oraux de moti­va­tion d’entrée à l’école, et jouit d’une forte demande d’adhésion, et ce depuis sa créa­tion. Mais l’an dernier, ils n’étaient que 45 étu­di­ants à être sélec­tion­nés. Un écré­mage néces­saire puisque les nou­veaux adhérents sont for­més pen­dant l’année afin de devenir les respon­s­ables de labels de demain, Nympho­ny se voulant comme une start-up, une sorte d’incubateur à artistes, mais aus­si à man­agers culturels.

UN MOT D’ORDRE : LA DEBROUILLE 

Le label est égale­ment par­faite­ment inté­gré au niveau péd­a­gogique via le par­cours asso­ci­atif, un cur­sus per­me­t­tant à des étu­di­ants de béné­fici­er d’un emploi du temps amé­nagé, des cours le matin et leurs activ­ités asso­cia­tives l’après-midi. Béa­trice Ner­son, direc­trice adjointe de l’ESC Greno­ble (une des écoles de GEM), assure qu’ils sont 160 par an dans ce cas. De plus, le label col­la­bore dans le cadre d’un cours de ges­tion de pro­jet. Soix­ante groupes de dix étu­di­ants peu­vent réalis­er des travaux en rap­port avec l’école et ses asso­ci­a­tions. “Le cours donne les out­ils et la méthodolo­gie pour gér­er des pro­jets de toutes sortes.” Et juste­ment, l’année dernière, l’un d’eux était dédié à Nympho­ny. Lau­reen Tou­s­saint, nou­velle prési­dente de la Zone Art, l’association qui régit Nympho­ny, en poste pour un an, a juste­ment par­ticipé à cette expéri­ence, qui lui a don­né envie de s’investir d’autant plus l’année suiv­ante. “Mon but, quand je suis arrivée à GEM, était d’entrer dans Nympho­ny parce que je veux tra­vailler dans l’événementiel, dans la musique. Et là, tra­vailler dans le pre­mier label étu­di­ant de France… C’est quand même fou !”

Le plus dur reste la recherche de finance­ments. Si l’école sou­tient le pro­jet depuis sa créa­tion, elle se refuse à financer à perte. “On est très fiers de toutes nos asso­ci­a­tions. Nous sommes prêts à vers­er des sub­ven­tions de l’école pour les aider à se dévelop­per, mais on attend aus­si un retour”, prévient Béa­trice Ner­son. Dans le cadre du cours de ges­tion de pro­jet, l’équipe de Lau­reen Tou­s­saint a ain­si dû trou­ver les 3000 euros néces­saires via des parte­nar­i­ats, des appels d’offres ou encore du crowd­fund­ing. De la débrouille… Une pra­tique courante chez Nympho­ny qui dis­pose d’un bureau dédié. Dernier fait d’armes : la négo­ci­a­tion d’un parte­nar­i­at d’une valeur de 1000 euros avec l’assureur MAE et une demande de sub­ven­tion auprès de l’école pour financer le con­cours de pro­duc­tion de l’année per­me­t­tant de recruter les nou­velles sig­na­tures du label.

Lil­ian Roux, tré­sori­er de l’association l’an passé, estime que son bud­get total varie “entre 30 000 et 40 000 euros, dont 3000 dédiés au mas­ter­ing”. Une évo­lu­tion rapi­de en cinq ans. Mais les dirigeants imag­i­nent déjà l’avenir et cherchent à dévelop­per la “DJ Acad­e­my” per­me­t­tant aux étu­di­ants de se for­mer gra­tu­ite­ment aux logi­ciels exis­tants. Pour l’instant déployées en interne, dix séances ont déjà eu lieu. Autre idée, “l’externalisation du label” prévoit Lil­ian. Après avoir organ­isé des soirées à Greno­ble ou Paris, il envis­age d’organiser des événe­ments à Bor­deaux ou Mar­seille. Et demain, Nympho­ny sera au Bato­far. Aujourd’hui l’Isère, demain le monde ?

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