Crédit : Angela Lewis

Ecoute et interview : découvrez la folk ambient et bizarroïde d’ANAMAI

Un pro­duc­teur, une chanteuse. La recette est bien con­nue, et le Cana­di­en Egyp­trixx y a déjà goûté. Mais quand David Psut­ka de son vrai nom s’as­so­cie avec Anna May­ber­ry, chanteuse et danseuse de son état, ça y est, on touche du doigt le résul­tat ultime : une musique où la voix n’est pas sim­ple­ment posée sur les pro­duc­tions, mais où elle se mêle sub­tile­ment aux beats. Objet musi­cal non iden­ti­fié, leur col­lab­o­ra­tion, nom­mée ANAMAI, a sor­ti il y a quelques jours son deux­ième album, What Moun­tain, sorte de voy­age folk sans fleurs dans les cheveux  ni gui­tare sèche, mais où la voix est trem­pée dans une ambi­ent froide, spa­tiale et sub­tile. Bref, une immense réus­site impos­si­ble à met­tre dans une case bien définie. Du coup, on en a dis­cuté avec Anna May­ber­ry, qui partage sa vie au Cana­da entre un groupe punk, une car­rière de danseuse con­tem­po­raine, et un job ali­men­taire pour lequel elle con­duit des bateaux dans la baie de Toronto.

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Com­ment est-ce que le pro­jet est né ?

Nous nous sommes ren­con­trés via un ami com­mun qui m’a pro­posé devenir à une soirée où jouait David en tant qu’­E­gyp­trixx. Finale­ment, j’ai loupé son con­cert, mais on a tout de même dis­cuté, notam­ment avec notre copine Emi­ly, qui aujour­d’hui chante par­fois dans Ana­mai. A l’époque, j’é­tais en école de danse, j’écrivais des chan­sons dans mon coin et je jouais déjà dans HSY, un groupe de punk-noise. On a par­lé musique et il m’a demandé de lui envoy­er mes morceaux. On les a enreg­istrés chez lui quand je suis rev­enue à Toron­to, et ça a don­né un court EP. On n’a pas les mêmes goûts musi­caux mais ils sont com­plé­men­taires, et on est assez d’ac­cord sur les ques­tions de pro­duc­tion, avec cha­cun l’en­vie d’ex­péri­menter. Des con­certs ont suivi, un pre­mier album, et nous voilà déjà avec le sec­ond ! Aujour­d’hui, Ana­mai est vrai­ment un duo, on partage toutes les tâch­es, ce n’est pas seule­ment moi qui écrit et lui qui pro­duit. On tra­vaille beau­coup ensem­ble, sur des pro­jets de danse notam­ment – je l’ai d’ailleurs accom­pa­g­né sur une tournée d’E­gyp­trixx en tant que danseuse.

Votre pre­mier album, Sal­lows, a été très bien accueil­li par la presse musi­cale à sa sor­tie il y a deux ans. As-tu ressen­ti l’an­goisse du deux­ième album, une pres­sion particulière ?

Non, pas vrai­ment. Sur le pre­mier album, cer­taines chan­sons étaient écrites depuis huit ans – c’est assez évi­dent de tout met­tre sur un pre­mier album, pour présen­ter le pro­jet dans son ensem­ble. Sur le sec­ond, cer­taines étaient écrites entre deux con­certs, d’autres sont arrivées naturelle­ment en stu­dio, tout était plus naturel… Et donc moins effrayant !

Tu as déclaré que ta chan­son préférée sur Sal­lows était “Otolith”. Ce serait laque­lle sur What Moun­tain ?

Je ne sais pas encore ! Je ne me suis pas encore lassée de ces morceaux (il faut bien penser que c’est très long de faire un album, et au moment de sa sor­tie cela fait déjà un ou deux ans que l’on entend ces titres), ce qui est plutôt une bonne chose… Mais générale­ment, je déteste tout ce que je fais une fois que c’est fini (rires). Ça doit être un mécan­isme pour m’aider à aller de l’a­vant j’imag­ine. Et puis de toute façon, c’est fait, c’est fait : avec David, nous faisons exprès de laiss­er les choses telles qu’elles sont, on ne cor­rige pas cer­taines erreurs volon­taire­ment, pour que tout notre proces­sus créatif reste le plus instinc­tif et naturel pos­si­ble. Mais sinon, je me rends bien compte que le dernier morceau de l’al­bum est le plus bizarre, le plus dif­fi­cile à décrire – donc je peux dire c’est celui qui me plaît le plus. Et cette chan­son, “Sun Saw”, racon­te une his­toire très per­son­nelle, avec une atmo­sphère pleine d’e­spoir, un sen­ti­ment que je n’avais pas encore exploré avec Anamai.

Qu’est-ce qu’elle raconte ?

La majorité de l’al­bum est auto­bi­ographique, j’y évoque des moments spé­ci­fiques. La plu­part des paroles sont assez directes et claires. Par exem­ple, au tout début de “Sun Saw”, je par­le d’un moment que j’ai vécu au tra­vail – je con­duis un bateau dans la baie de Toron­to. Un matin, j’ai vu le brouil­lard douce­ment avancer sur la ville, il avait l’air de dégoulin­er des plus hauts gratte-ciel, comme si quelqu’un pou­vait gliss­er dessus. Je n’ai jamais vu ça, je ne l’ai jamais revu depuis. C’é­tait vrai­ment incroy­able, il suf­fit juste de le décrire pour se ren­dre compte de la beauté du moment, pas besoin de rajouter de la poésie pour en faire un bel instant dans une chanson.

Tu dis que “Sun Saw” est le morceau le plus bizarre de l’al­bum, donc ton préféré. C’est impor­tant pour toi d’écrire des titres étranges, quitte à met­tre mal à l’aise l’auditeur ?

Oui, sans aucun doute. J’aime bien ne pas savoir exacte­ment décrire un morceau quand je l’é­coute, et pou­voir dire d’un titre qu’il n’est pas triste, amoureux ou joyeux… Mais tout ça à la fois. Ne pas met­tre un son dans une case, en somme. En con­cert aus­si, j’aime bien voir que cer­tains sont assis par terre les yeux fer­més, que d’autres sont vrai­ment à fond dedans émo­tion­nelle­ment et physique­ment, tan­dis que d’autres dis­cu­tent sim­ple­ment avec leurs amis dans le fond de la salle. Cha­cun occupe le même espace, cha­cun reçoit la même chan­son… Mais l’usage qu’ils en font devient une déci­sion per­son­nelle, et je trou­ve ça très intéressant.

C’est vrai qu’il est dif­fi­cile de décrire le style de cet album. Per­son­nelle­ment, il m’a fait penser à du Fever Ray…

Je ne sais pas si Fever Ray a été une influ­ence directe pour moi, mais en tout cas j’adore ce qu’elle fait, aus­si bien pour ses sons que pour son atmo­sphère. Je l’ai vue une fois à Mon­tréal en con­cert, son light­show était spec­tac­u­laire, avec des lasers !

S’il faut vrai­ment qual­i­fi­er ta musique, on peut lire ça et là que David Psut­ka et toi faites de l’ ”ambi­ent folk”. Tu es d’accord ?

Par­fois il est néces­saire de don­ner un nom au genre de musique que l’on fait, juste pour que les gens puis­sent se rac­crocher à quelque chose. Cela dit, ce n’est pas com­plète­ment faux, du moins au niveau de mes influ­ences. L’u­til­i­sa­tion de l’e­space qu’il y a dans l’am­bi­ent en général m’in­spire beau­coup, et aus­si l’en­nui asso­cié à ce genre : dans l’am­bi­ent, il faut vrai­ment laiss­er le temps au morceau de se dévelop­per, pour que chaque son arrive au bon moment. Quant à la folk, j’ai gran­di avec. L’écri­t­ure des textes y est très impor­tante, ain­si que la per­for­mance live et la réécri­t­ure : dans la folk, quand quelqu’un reprend un titre il peut en chang­er le sens. La sim­plic­ité et les har­monies de ce style sont aus­si très impor­tantes pour moi, et cela se ressent dans Ana­mai. Donc oui, “ambi­ent folk”, c’est pas mal comme adjectif !