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13 juin 2017

Fyfe : « On dit souvent aux hommes qu’ils ne doivent pas montrer leurs émotions, et c’est ridicule »

par Clémence Meunier

Deux ans après son premier album Control, l’Anglais de 27 ans à la pop à fleur de peau ne parle plus seulement d’amour, mais de vie et de mort. Ambitieux certes, mais surtout poignant. 

Larmoyant, pathos, plombant… Autant d’adjectifs à remiser au placard pour parler de The Space Between, l’un de nos derniers albums coups de coeur. Car si Paul Dixon, alias Fyfe, y évoque des sujets pour le moins difficiles (la perte d’une personne qui nous est chère, par exemple), il réussit à rendre ces expériences non seulement universelles, mais aussi résolument pop – attention, ses arrangements au piano, guitare et machines collent au crâne, on vous aura prévenu !

Avec seulement deux albums à son actif sous son nom Fyfe (il officiait auparavant sous l’alias David’s Lyre), ce grand timide commence avec The Space Between à trouver une bien belle recette, quitte à faire danser et pleurer en même temps. Bref, ce n’est pas si souvent que l’on tombe sur un album pareil. Alors avant d’aller voir ce fan d’Anohni ou de Suuns ce mardi 13 juin au Badaboum (ce soir, donc), on lui a posé quelques questions.

Si vous êtes plutôt Spotify : 

L’une des grandes nouveautés de cette album, c’est que tu y collabores avec plusieurs artistes alors que ton premier disque a été entièrement fait seul. Pourquoi ce changement ?

Je ne suis pas devenu un gars super sociable, je n’ai pas changé. Mais j’ai essayé, tout à fait consciemment, de sortir de ma zone de confort, j’ai besoin d’évoluer. J’ai eu l’opportunité sur cet album de travailler avec Kimbra qui chante sur « Belong » et avec les Klyne qui ont co-écrit « Closer ». Et depuis, j’ai collaboré avec beaucoup d’artistes. Je pensais que faire les trucs dans mon coin me permettait de vraiment savoir ce que je faisais, de connaître ma musique. Ce n’est pas complètement faux, jusqu’à un certain point en tout cas. Mais quand tu es dans une pièce avec quelqu’un, une connexion peut se mettre en place, et à vous deux vous pouvez créer des choses bien meilleures que si tu étais resté tout seul. Depuis, je produis d’autres artistes, qu’ils soient connus ou qu’ils commencent tout juste.

Ton premier album Control parlait d’amour, celui-là de naissance, de mort, et de tout ce qui se passe entre les deux (d’où le titre The Space Between)… Il ne reste plus grand-chose comme thème pour le troisième !

(rires) C’est vrai ! Mais j’ai composé cet album très naturellement, j’ai vécu une série d’événements personnels, et j’ai écrit des chansons très honnêtes à propos d’eux. Je n’ai pas vraiment compris d’emblée que j’étais en train d’écrire un album, ça aurait pu très bien être un EP ou une série de chansons sans lien entre elles. Donc pour la suite… J’imagine que ça va découler de ce qui va bien pouvoir m’arriver dans les prochains mois !

Ce n’est pas se mettre un peu la pression que de parler de sujets aussi forts ?

Ce n’est pas comme si je m’étais assis à un bureau il y a deux ans en me disant que j’allais écrire un album sur la vie et la mort, sur des naissances et des funérailles. Ces thèmes revenaient naturellement quand j’écrivais les chansons. Je pense que c’est le seul moyen de les évoquer d’ailleurs, sinon j’aurais ressenti trop de pression en effet. Et puis je n’ai pas voulu donner un point de vue objectif ou définitif sur la vie et la mort… J’ai juste voulu être honnête sur ce qu’il s’est passé dans ma vie. Dans trois ans, je pourrais tout à fait réécrire un album sur la vie et la mort, et il serait totalement différent. Quand on grandit, on mûrit, et on change de perspective.

Tu commences ta tournée, avec notamment une date ce soir au Badaboum à Paris. Est-ce difficile de jouer en live ces chansons alors qu’elles sont si personnelles ?

Je ne savais pas trop à quoi m’attendre en effet. Avant le tout premier concert de la tournée, j’avais peur de ne pas réussir à aller au bout de l’un des titres : la dernière chanson de l’album est très triste, elle raconte des funérailles. Je ne savais pas si je n’allais pas pleurer ou quelque chose comme ça, je n’avais jamais été dans cette situation. Mais à vrai dire ça s’est très bien passé, et j’ai eu l’impression que le public a vraiment ressenti des choses en l’entendant, qu’il s’est connecté. J’étais vraiment content que ça se passe bien, et de toute façon, même si je m’étais mis à pleurer pendant le concert ce n’est pas grave : ça aurait simplement été une réaction normale à une chanson triste. Quelques spectateurs ont pleuré d’ailleurs.

C’est assez rare d’être en face d’un artiste homme qui parle aussi ouvertement du fait de pleurer…

Ce n’est pas tant pleurer le problème, à vrai dire je ne pleure que très rarement dans ma vie personnelle. Je préfère parler d’émotions – pleurer n’en est que la conséquence. Je sais que je suis quelqu’un de sensible. Évidemment, je canalise ces émotions avec la musique. Et une grande partie du travail sur cet album a été d’accepter cette partie de moi, cette sensibilité. Parce qu’en effet, on dit souvent aux hommes qu’ils ne doivent pas montrer leurs émotions. C’est ridicule. On est évidemment tous différents, mais ça me paraît important de dire que chacun à le droit de ressentir des choses, et que c’est tout à fait acceptable d’en parler. Mais de toute façon je ne veux pas que les gens écoutent cet album et se limitent à ma seule expérience mais plutôt qu’ils y intègrent leur propre histoire, leurs propres souvenirs. Ce serait dommage de les priver de ça, surtout avec une chanson comme « Closing Time ». Il n’y en a pas tant que ça des chansons qui parlent d’enterrement… Non pas que je pense avoir écrit la « chanson de funérailles ultime », mais j’espère qu’elle pourra aider certains à parler de ce genre d’événements difficiles, où tu te sens un peu mal à l’aise, où tu as envie d’être présent tout en voulant être ailleurs.

Plusieurs chansons de l’album évoquent le fait de se poser, de se construire une petite vie tranquille… C’est également assez rare en pop !

C’est ce que je suis ! Je suis introverti, timide depuis que je suis tout petit. Pour moi, faire la fête jusqu’au bout de la nuit correspond à peu près à l’idée que je me fais de l’enfer. Quand je parle de me « poser » quelque part, ce n’est pas forcément de manière littérale, à savoir acheter une maison ou ce genre de choses. C’est plutôt l’idée d’être à l’aise dans ma vie, faire les choses à mon rythme, ne pas avoir à prouver des choses à qui que ce soit ou me forcer à être quelqu’un que je ne suis pas. Je ne me suis jamais senti en phase avec la culture de la célébrité et la culture pop. Je ne suis pas célèbre, mais si je l’étais je pense que ça me mettrait très mal à l’aise.

En tout cas une chose est sûre : ces chansons rentrent dans la tête.

Tant mieux ! J’aime la pop, et j’espère que mes morceaux sont accrocheurs. Je trouve ça cool d’évoquer de manière légère des sujets qui peuvent être un peu sombres. On peut évidemment prendre un ton morbide et dark… Mais je n’avais pas envie de ça, je voulais vraiment faire un album pop, avec beaucoup de voix. La voix est le plus fort des moyens de communication : en tant qu’êtres humains, nous sommes conçus pour entendre les voix humaines et y faire attention. C’est pour ça que c’est assez compliqué de garder l’attention des gens en faisant de la musique instrumentale, il faut être très fort. Ceux qui y arrivent sans utiliser cette astuce de la voix sont des génies !

Comment as-tu choisi l’artwork qui accompagne l’album, à savoir plusieurs photos de nature morte ?

Simon Bray est photographe, et un bon ami à moi. Il a fait ces photos il y a quelques temps, je les avais un peu oubliées. Mais en faisant l’album, ces images me revenaient régulièrement en tête. Je les ai retrouvées et me suis rendu compte qu’elles étaient parfaites : elles montrent la beauté en utilisant des choses mortes. J’ai beaucoup réfléchi à la maladie, et au fait que les gens malades sont comme effacés de notre société, même avant qu’ils ne meurent. Pourtant, il s’agit toujours d’êtres humains, avec leurs opinions, leurs émotions… On sous-estime et exclue certaines parties de la population, et pas seulement les malades, mais aussi les enfants ou des gens discriminés à cause de leur genre, de leur origine, de leur culture… Pour moi, ces fleurs ont beau être mortes, elles sont sublimes. Il y a de la beauté partout si on prend le temps de regarder.

Fyfe sera ce soir au Badaboum. Il reste quelques places ici

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