Où l’on pensait trouver un jeune éphèbe timide et discret, on a en fait entamé une conversation enjouée avec un Ghost Culture (James de son petit nom) qui n’a pas la langue dans sa poche. Le British à la chevelure flamboyante était manifestement ravi et fier de nous parler de son premier album éponyme, sorti sur le label d’Erol Alkan, Phantasy Sound. Et on partage son enthousiasme: dix titres à mi-chemin entre le l’obscur, le dansant et la berceuse, ponctués par sa voix vaporeuse et son fidèle synthétiseur Korg, qui ne peuvent que convaincre, évidemment. Sortie aujourd’hui, 5 janvier !

 Pour commencer, félicitations pour ce premier album qui nous a touchés, on n’en attendait pas moins après ton premier single « Mouth ».

Merci, je suis super content de cet album, même si je dois avouer que je n’attendais pas autant de réactions positives. Tout le monde a été si gentil. Je n’attendais rien de particulier en fait, je l’ai fait comme je l’ai fait et c’est tant mieux si ça marche bien !

 Est-ce que tu peux nous raconter comment tu t’es mis à la production ? On sait que tu as fait un peu de clarinette avant ça, mais qu’est-ce qui t’a fait sauter le pas de l’électro ?

Oui, de la clarinette et du saxophone, quand j’étais à l’école. Mais j’ai toujours été intéressé par l’aspect technique, les enregistrements,… comment on produisait la musique en fait. J’ai lu autant que je pouvais à ce sujet et j’ai commencé à enregistrer des trucs de mon côté, le plus que je pouvais, avec des cassettes, tout ce qui me passait par la main. J’ai eu un ordinateur quand j’avais seize ans et je m’y suis mis tous les jours, en essayant de mettre en forme des petites choses. Mais je m’y suis mis plus sérieusement qu’un peu plus tard. Je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire à l’école -mis à part que je ne voulais pas aller à l’université – alors je suis allé directement à Londres. Je faisais des petits jobs dans différents studios, même des petits trucs gratuitement, je rencontrais du monde, … j’étais toujours dans les parages. C’était super, et même si j’avais juste dix-sept ans, ça m’a fait rencontrer des personnes géniales. J’ai commencé à traîner dans un magasin de disques, Pure Groove, où j’ai rencontré Daniel Avery. Il cherchait quelqu’un avec qui travailler, avec qui faire de la musique. Il était DJ depuis longtemps et il voulait se mettre à la production, mais il ne savait pas trop par où commencer. Moi j’avais déjà appris deux-trois petites choses alors on a commencé à bosser un peu ensemble. Les premiers trucs étaient absolument horribles, vraiment nuls. Mais ça a commencé à aller mieux, on a commencé à bien travailler tous les deux et finalement, Erol Alkan a commencé à s’y intéresser.

 Ils ont du sentir que tu avais du potentiel…

Je ne sais pas, peut-être parce que j’ai le contact facile ! Ma technique n’était pas encore au point, mais j’apprenais toujours, je prenais les difficultés à bras-le-corps, et je voulais vraiment aider les autres à faire ce qu’ils voulaient faire. Je peux dire que j’ai appris plein de choses juste en ayant ce besoin d’apprendre. Si quelqu’un me demandait « comment je peux obtenir ce son-là ? », je faisais tout pour y arriver. En fait c’est comme essayer de résoudre une énigme, c’est ça qui me plaisait autant. C’est tout sauf du travail pour moi.

 C’est sûr, c’est toujours mieux quand ton travail est aussi ta passion… je pensais que tu avais rencontré Erol Alkan en premier, en fait.
Non, c’est Dan qui me l’a présenté. J’avais déjà été voir quelques fois Erol mixer avant que je ne le rencontre…je n’habitais pas encore à Londres mais à Essex, à trente minutes de là, et moi et mes amis nous voulions toujours savoir où il jouait !

 C’était comment de travailler avec lui ?

Vraiment naturel, il comprenait vraiment ce que je voulais faire, il n’a pas essayé de me faire changer de direction. A la base j’ai tout écrit et enregistré moi-même, avant de le mixer au studio d’Erol. Alors il m’a vraiment aidé à finir mon disque et ses décisions étaient très importantes, car des fois je n’avais plus de recul sur mes morceaux. Il était très fort pour me dire : « ça c’est terminé, laisse ça comme ça » ou « pars sur autre chose », et ce genre de conseil avait une vraie valeur pour moi.

 On a souvent dit que tu étais le chaînon manquant entre Connan Mockasin et Daniel Avery !

Je comprends très bien ce qu’on veut dire par là : il y a ce côté psychédélique avec cette espèce de basse, boîte-à-rythme…

 Et puis aussi sans doute parce que tu as pas mal traîné avec Daniel Avery.

Oui, je pense que le fait d’avoir bossé avec Dan sur son album (Drone Logic en 2013, nldr) a eu un impact sur moi. Les choses qu’on a essayées ensemble, j’ai pu les réutiliser d’une manière différente, parce que le but n’était pas de faire la même chose, bien entendu !

Ton album semble très cohérent, tu l’as écrit tout d’un coup ?
Cohérent? Ca me fait plaisir. En fait je l’ai écrit un peu de façon éparpillée dans le temps mais je l’ai pensé comme un tout. Ma seule limite était d’utiliser un seul synthétiseur pour tout l’album. Tous les sons proviennent du même clavier, superposés. Je pense que c’est ça qui lui confère cette couleur bien particulière et cette cohérence.

 Es-tu loyal à ce synthé, le fameux Korg Mono/Poly ?

Il y a quelques trucs que j’aimerais essayer, mais je pense que ce synthé sera toujours la base pour moi. Je préfère avoir un instrument que je peux maîtriser plutôt que d’avoir des tonnes de trucs dont je ne sais pas me servir. Mais par contre ce qui est bien aussi quand tu apprends à te servir d’un synthé c’est que des choses surviennent par hasard, des choses que tu n’attendais pas.

 Robert Moog (génial inventeur des claviers Moog) disait que tous les synthétiseurs avaient un fantôme en eux, une sorte d’âme. Tu crois qu’il y a un fantôme dans ton Korg ? Et tu as choisi Ghost Culture comme nom d’artiste, coïncidence ?

Je tiens à rester éloigné de ce côté surnaturel qu’on peut associer à mon nom, mais oui je pense que le synthé peut avoir sa propre vie. Si tu achètes une machine, qui pourtant est produite en série, elle ne va pas avoir le même son que les autres. Il y a le lieu, l’année, plein de choses qui vont apporter des nuances. Le Korg que j’ai me va très bien à moi, et puis la touche humaine fait tout : c’est fabriqué par les hommes pour les hommes !

 Dans ton album il y a des motifs groovy et d’autres plus sombres, tu penches de quel côté ? Ta voix ajoute également un petit sentiment de douceur, presque de joie.

Entre les deux ! Je dirai que j’ai deux côtés, par exemple je peux très bien sortir un soir, danser comme un fou, et un autre soir, rester seul à écouter de la musique chez moi. Je n’ai pas essayé de faire un album très triste, c’est quelque chose qui me ressemble. Je n’avais pas trop l’habitude de poser ma voix, mais j’ai essayé et ça m’a plu !

 Il y a une chanson de l’album, « Glaciers », qui est un peu différente des autres, tu voulais nous surprendre ?

Absolument, « Glaciers » et « How » n’ont pas vraiment de kick, et « Glaciers » est une sorte de ballade. Et je vais surprendre aussi pendant mon live, parce que je la joue seulement à la guitare et au chant !

 Tu penses à ce que vont donner tes morceaux en club quand tu les composes ?

Quand j’écrivais mon album, je pensais à ce que ça allait donner sur scène, parfois je me disais que tel passage pourrait être un moment fort du spectacle, donc oui, j’y ai pensé. Mais c’est un album traditionnel, qu’on doit pouvoir écouter à la maison, et ça aussi j’y ai aussi pensé tout le long. Je me vois bien le jouer dans une salle de petite capacité, dans un lieu où il y a une sélection à l’entrée, parfois il ne faut pas laisser rentrer tout le monde. Et puis ça ajoute un peu au mythe d’un lieu. C’était le genre de truc qui m’excitait quand j’avais dix-sept ans.

 Tu t’es mis assez récemment au deejaying….

C’est très différent du live ! Mais je voudrais faire énormément de lives, parce que c’est le moyen pour moi de transmettre ce que je veux transmettre. Je prépare en ce moment les lives de l’année prochaine: juste moi, des synthés, une guitare…et quatre lampes. Des lampes qui réagissent à la musique ! Je les ai programmées.

 Tu aimes l’idée de performance musicale ? De plus en plus de musiciens comme Ryoji Ikeda, Kangding Ray et j’en passe, expérimentent sur scène.

Je pense que la performance est très importante, ça s’est un peu perdu, surtout avec la multiplication des DJs, où il n’y a pas vraiment de performance en fait. Si je vais danser, je m’en fous un peu d’où est le DJ, je trouve ça bizarre qu’on les mette sur des scènes, parce qu’en fait, il n’y a pas grand-chose à regarder.

 Les DJs sont de vraies rockstars maintenant…

Je sais, et je n’aime pas ça, on devrait les cacher. Je trouve ça mieux quand le DJ est au même niveau que tout le monde dans la pièce. C’est ça qui rendrait le mix vraiment intéressant. J’adore les DJs, bien entendu, mais pas en représentation sur une scène. Là où la scène prend tout son sens, c’est quand quelqu’un y joue sa propre musique, c’est à ça que ça sert en fait. Voir quelqu’un t’offrir sa musique.

C’est difficile d’être un musicien électro de nos jours ? La concurrence semble rude, beaucoup de gens s’improvisent producteurs.

C’est dur d’être un musicien tout court. C’est sûr qu’il y a plein de gens qui se mettent à faire de l’électro, mais encore faut-ils avoir ce petit truc en plus. Et il y a davantage de gens qui font de la musique mais c’est de plus en plus dur d’en vivre, ironiquement. Mais je pense qu’on devrait encourager les à faire ce qu’ils veulent. Je pense qu’il est possible que l’on voie cet âge d’or de la musique à nouveau, bientôt, une période encore plus excitante.

2014 achevée, peux-tu nous dire quel album ou artiste a marqué ton année ?

Temples. Pour être honnête, je n’écoute pas beaucoup de musique en ce moment, assez consciemment, parce que je ne veux pas me sentir en compétition. Je veux bien faire les choses que j’aime et ne pas essaye de battre quelqu’un. Je ne veux pas que ça devienne un jeu où on se tire la bourre.