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24 février 2015

Gliss Riffer : chronique et écoute de l’album, 4 questions à Dan Deacon

par rédaction Tsugi

Hier sortait Gliss Riffer, merveilleux album du merveilleux Dan Deacon et de sa non moins merveilleuse carrière. Une carrière en dents de scie, parfois perturbée par de (très) mauvaises passes. Perturbée ? Musicalement, pas tellement en fait, puisque l’Américain a toujours su conjuguer ses maux en une puissance créatrice singulière, détonnante, et qui ne saurait laisser les coeurs insensibles et/ou indemnes. En témoigne ce dernier live complètement fou (oui, il est décidémment très difficile de ne pas employer cet adjectif quand on évoque Dan Deacon) au Divan du Monde, où nous l’avons rencontré quelques minutes avant qu’il ne monte sur scène. 

Tu as annoncé Gliss Riffer comme un « retour en simplicité » du point de vue de l’enregistrement. Explique-nous en quel sens.

J’ai tout enregistré avec mes cinq ordinateurs. C’est un procédé très différent de l’enregistrement d’America par exemple, où j’étais plutôt porté sur des instruments acoustiques. J’ai tout enregistré seul, ça facilite les choses donc. Imagine un jardin, tu y plantes des tomates. Tu les arroses tous les jours, tu surveilles leur évolution. Et puis vient le jour où tu manges la première, grosse et ronde, fraîche, savoureuse : tu te dis que c’est la meilleure tomate du monde alors qu’elle ressemble à n’importe quelle autre tomate du monde. Mais c’est toi qui l’a faite pousser, tu as accompagné son évolution du début à la fin, tu as grandi avec. Tu l’as connue en tant que petite graine.

Ce nouvel album est conçu comme la montée d’une transe incluant de nombreuses voix (homme, femme, vocoder), comme si tu conviais l’Humanité à un rite. Te considères-tu comme une sorte de chaman moderne ? 

(rires) Je ne sais pas, je ne pense pas être un Chaman moderne mais c’est une question intéressante. Pendant l’enregistrement, je me foutais de savoir si les voix faisaient plus « homme » ou « femme », je n’ai pas voulu leur donner de « genre ». Un son est un son, une voix est une voix. Un piano pourrait tout aussi bien jouer un rôle féminin. Je ne pense pas être un bon chanteur et je ne considère donc pas ma voix comme un instrument. C’est pour cette raison que j’aime la manipuler, quitte à la déshumaniser.

Tu entretiens une relation particulière avec la performance live. Que signifie-t-elle pour toi ? 

Le studio et le live sont vraiment deux choses différentes. J’ai enregistré pendant deux ans et je n’avais qu’une seule idée en tête : me retrouver sur scène. Je ne pensais qu’à ça, à ce côté « performer » justement, même si je préfère le terme « acteur ». Mes groupes et artistes préférés avaient tous cette dimension d’ »acteur » sur scène. C’est important de jouer avec le public. Le public est le spectacle, le public est la performance, il ne faut pas se tromper. C’est pour ça que je n’ai pas de robots, de lasers ou d’effets spéciaux. Pour moi c’est là que ça se passe, c’est un instant magique, et la magie ne se palpe pas, elle n’existe que dans les yeux de chacun. A la fin d’un live je ne veux pas qu’on me demande « comment tu as fait ça ? » mais plutôt « comment tu as trouvé ça ? ». Tu vois la différence ?

Tu approches de tes quinze ans de carrière, comment vois-tu les quinze prochaines années ? 

Putain quinze ans déjà… Oh je n’en sais rien. J’ai l’espoir d’une grande révolution dans l’art, quelque chose qui n’existe pas encore, au niveau de la forme. Qui sait ce que je ferai dans quinze ans, est-ce que je composerai toujours sur mes ordinateurs ? Ou est-ce que je travaillerai avec du matériel qui n’existe pas encore ?

 Chronique extraite de notre magazine numéro 79, actuellement en kiosque. 

Selon les propres dires de l’intéressé, il s’agirait d’un retour en “simplicité”. Mais de “simplicité” Dan Deacon ne semble décidément pas maîtriser la définition, puisque ce sont les termes “sinueux”, “tortueux”, ou “labyrinthique” qui viennent d’abord à l’esprit à l’écoute de Gliss Riffer, et certainement pas “simplicité”. Mais un labyrinthe dans lequel il est finalement impossible de se perdre, puisque guidé par la lanterne pop du père Deacon, rassurante, et toujours aussi brillante.

Un album condensé en huit pistes qui s’ouvre sur une voie royale à trois voix (féminine, masculine et vocodeur), “Feel The Lightning”, pour mieux explorer ses propres ramifications: électro aux rythmiques tribales avec “Mind Of Fire”, psychédélisme oriental (“When I Was Done Dying”), promenade électronique aux évasions organiques pour “Meme Generator” ou bizarreries “dronesques” pour l’ode futuriste “Take It To The Max”, l’Américain ose et réussit chacune de ses excursions, jusqu’à clore son album dans le noir ou presque, avec les vibrations de “Steely Blues”.

C’est l’instant où les paladins du diable arrivent dans la ville. Et où personne ne change de trottoir.

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