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2 novembre 2015

« Il y a vraiment un paquet de journalistes à chier dans ce monde » : Grimes nous a tout dit

par rédaction Tsugi

Après d’innombrables rebondissements Grimes sort enfin le successeur de Visions, un disque dont nous n’avions pu écouter que six titres quand elle est venue en tournée promo à Paris début octobre. Des morceaux étranges, ultra-pop et pas dans le meilleur sens du terme, semblant vouloir squatter les mêmes ondes que Katy Perry ou Taylor Swift sans en avoir les moyens techniques. Mais en interview la jeune femme est passionnante, capable de parler de Rihanna, de cosplay et donc de ce fameux nouvel album.

Ce n’est pas vraiment une surprise, mais ce nouvel album confirme que tu aimes la pop mainstream !

Tu crois ? Je pense le contraire ! Je fais tout ce que je peux pour ne pas sonner mainstream. J’ai grandi en n’écoutant pas du tout de pop, j’écoutais Marilyn Manson, Smashing Pumpkins, etc. Quand j’ai fait Visions, je venais seulement de me mettre à écouter de la pop, Mariah Carey et des choses comme ça, ça m’avait vraiment éblouie. Mais j’aime énormément les pop stars alternatives, cette catégorie entre deux chaises dans laquelle on pourrait mettre par exemple Sinead O’Connor. C’est ce qui m’intéresse et ce que j’aimerais être, je crois.

Que voulais-tu faire de ce disque dans ce cas ?

J’ai passé beaucoup de temps à progresser techniquement, c’était mon objectif principal, j’ai par exemple réellement appris la guitare, pris beaucoup de temps à comprendre comment traiter des voix, etc. Tout ce que j’ai fait avant sonnait très amateur. Là je voulais être aussi bonne que d’autres musiciens, que mes pairs, entrer dans une pièce pleine de musiciens et de producteurs et savoir de quoi ils parlent, ne pas me sentir inférieure. Mais j’ai aussi gardé des choses très brutes. Je suis à mi-chemin entre l’accident et l’intentionnel.

Tu parles de cet album depuis des lustres. Quels sont les obstacles rencontrés qui ont retardé sa sortie ?

Il n’y a pas vraiment eu d’obstacle, mais j’étais obsédée par l’idée de ne pas refaire Visions… ce qui m’a demandé du temps. Et puis j’ai tourné le monde entier deux fois, fait un livre sur l’art, composé 600 ou 700 chansons… Quand j’ai fait Visions je ne pensais pas que qui que soit l’écouterait. Ce coup-ci les choses étaient différentes et je ne veux pas demander à des gens de payer pour un album qui ne serait pas le meilleur de ce que je peux faire. A chaque fois que j’entends un morceau de Drake j’ai l’impression qu’il est meilleur qu’avant, je veux que les gens pensent ça avec moi. C’est une forme de bonne pression, je veux faire du bon boulot. Je ne pense pas pour autant que les albums précédents soient mauvais, ils ont un certain charme naïf.

Les médias ont dit tout et n’importe quoi sur ce que tu avais fait ces trois dernières années, notamment que tu avais jeté entièrement un album que tu avais fini.

Quand tu fais des centaines de chansons, tu ne peux pas toutes les choisir et les mettre dans ton album ! La presse raconte n’importe quoi et personne ne voudrait écouter un quadruple album de Grimes. Il n’existe pas d’album alternatif que j’aurais décidé de ne pas sortir, simplement des démos qui n’ont pas eu de suite. 

En France et en Europe tu n’as pas défendu Visions en tournée, pourquoi ?

J’avais juste un très mauvais manager qui ne savait rien gérer (rires) ! Il y a eu une tournée calée à un moment, mais je n’avais pas vraiment joué depuis un an, je perdais mes cheveux, je pesais 100kg et je n’étais clairement pas en état. Surtout pas pour des salles de 200 places quand je pouvais me permettre de jouer dans des salles de 1000 places.   

Ailleurs Visions a fait de toi un gros nom, ça a changé ta vie quotidienne ?

Oh que oui ! J’ai un appartement et je peux manger ce que je veux ! Avant Visions je squattais chez des gens, je galérais tout le temps, c’est beaucoup mieux maintenant. Même si je vis aux USA parce que c’est plus pratique et que le Canada me manque.

Tu es parfois dure avec ton propre travail. Comment vois-tu Visions aujourd’hui ?

Il y a vraiment un paquet de journalistes à chier dans ce monde ! Tellement de choses sur moi sont totalement inventées, je ne les ai jamais dites, ou alors elles sont simplement déformées. La journaliste m’avait demandé si c’était dur de jouer les mêmes chansons tous les soirs et j’ai répondu qu’évidemment, à chanter 100 fois le même morceau, tu finis par le détester un peu. Elle a juste écrit que je haïssais mes singles et que je les méprisais totalement. Je ne déteste pas ma musique, j’en suis fière, sinon je ne ferais pas de musique. Je trouve simplement que j’ai surpassé ce que je faisais à l’époque. 

Grimes à l'époque de Visions

Tu es devenue une personne publique, on te demande de t’exprimer sur la mode, sur les questions féministes et plus rarement sur la musique. C’est une position agréable ?

Je ne sais pas si c’est confortable… Je ne veux pas cracher dans la soupe, c’est incroyable qu’on s’attache à mon opinion… mais c’est évidemment bizarre. Et parfois fatiguant, mon dieu ce que j’aimerais avoir une vie plus privée parfois, ça n’est plus si simple ces jours-ci.

Est-ce que parfois tu gardes certaines de tes opinions de peur de n’être plus qu’une grande gueule, que les gens oublient que tu fais avant tout de la musique, comme Azealia Banks ?

Je me suis un peu coupée des réseaux sociaux. Je n’en pouvais plus d’être citée un peu partout sur des sujets divers et toujours de manière tronquée. Et pendant les vrais interviews, ce sont souvent des trous du cul qui n’enregistrent même pas et racontent n’importe quoi. Mais j’essaye de ne pas me censurer.

Grimes au Met Ball 2015

Les gens t’ont attaqué de partout. Y a-t-il des choses que tu ne supportes pas ?

La plupart de mes amis sont de ma vie d’avant, ma vie n’a pas tant changé, donc j’arrive à m’en détacher. La seule chose qui m’ennuie vraiment c’est quand les gens déforment mes paroles ou amplifient mes propos, “Grimes a jeté son nouvel album”, “Grimes déteste sa musique”, etc. Je ne manque pas de confiance en moi. C’est nul d’attaquer une artiste comme ça… surtout une femme, je suis une femme productrice et c’est comme si je n’avais pas le droit d’avoir cette position, comme s’il fallait que certains médias essayent de détruire ma crédibilité parce que j’essaye de changer l’industrie, parce qu’elle est totalement sexiste et complètement pourrie de l’intérieur.

Est-ce pour ça aussi que tu ne veux pas travailler avec des producteurs ? Björk dit qu’encore aujourd’hui, les gens pensent que les producteurs qui ont travaillé sur ses albums ont tout fait, que les gens doutent encore de son contrôle sur sa propre musique.

Voilà, quand tu ne bosses avec aucun producteur personne ne peut dire ça ! Je bosse toute seule, personne ne m’a construite, personne n’a modelé ma carrière. C’est agréable.

Et cette histoire de Boiler Room qui refuse de mettre ton DJ-set en ligne. Ils n’étaient pas au courant de la variété de tes sets ?

C’était bizarre, je passe toujours ce genre de trucs variés, je peux passer du Mariah Carey en plein set, je n’ai jamais été une DJ de techno minimale (rires). Mais ça m’a fait plutôt rire au final. Je m’inquiète du respect et de l’avis de mes proches dans la musique. Mais je ne vais pas me soucier de l’avis de quelques fous furieux du genre.

Tu es à Paris aussi pour la fashion week, tu as déjà joué sur un vaisseau militaire au Comic Con. Finalement où te sens-tu le plus à l’aise ?

Je crois qu’être un performeur c’est savoir être confortable partout, quelque soit l’heure, la journée, ton état de fatigue, etc. Ton pire jour doit toujours être bon.  Maintenant je ne pense même plus à ça. Je me suis amusée dans les couloirs du Comic Con… Je me suis même habillée en Khaleesi. J’aime bien faire du cosplay, on fabrique des costumes avec des copains. J’adorais me déguiser en Edward, la hackeuse rouquine de Cowboy Bebop. 

Grimes au Comic Con de San Diego

Nous sommes à un mois de la sortie de l’album, il n’est pas annoncé officiellement, nous n’avons que six titres à écouter, ils ne sont pas tous mixés… Que se passe-t-il ? Tu es à la bourre ?

L’album est bien fini ! En fait je ne suis pas vraiment sûr de pourquoi le label fait ça, c’est sa décision. Ils ont commencé par me dire “on ne devrait leur jouer que deux morceaux”, j’ai demandé à ce qu’on en envoie plus… Ils ont leur plan bizarre, je ne sais jamais de quoi ils parlent. Je les laisse gérer ça.

Finalement cette sortie est un compromis entre le label et toi, qui voulait tout sortir au dernier moment sans rien annoncer ?

Ça, je m’en fiche un peu, mais je ne voulais pas faire de sortie physique alors qu’eux y tiennent absolument. Je n’aime pas la musique physique, c’est une plaie pour l’environnement, c’était la vraie bagarre entre nous. Et du coup je me disais que si on ne fait pas de sortie physique, je pouvais le sortir dès que je voulais, dès qu’il était fini. Ils se sont battus pour le physique, une sortie plus organisée… mais je ne chie pas sur 4AD, c’est un label génial qui me laisse faire ce que je veux.

Revenons à la pop mainstream. Qu’est-ce qui différencie encore ta musique de la pop ?

Sur ce disque je n’ai pas l’impression de partager grand-chose avec la pop. Il y a du screamo (genre dérivé de l’émo et du punk), de l’opéra… 

Et une chanson qui a des vibes un peu country-pop que n’aurait pas renié Taylor Swift.

J’écoute beaucoup de musique country, mais heureusement il y a toute une histoire de la country avant Taylor Swift ! Je suis une grande fan de Dixie Chicks depuis toujours et Taylor Swift sonne un peu comme leur chanteuse, Nathalie Maines. La chanson dont tu parles est très inspirée par cette chanteuse-là, qui est vraiment cool.

Signer avec Roc Nation, la boite de management de Jay-Z, ça a changé quelque chose, sont-ils plus présents ?

Au contraire ils sont plutôt moins présents ! Mon manager était toujours là, “tu ne peux pas faire ça”, “tu ne dois pas dire ça”. Roc Nation me laisse faire tout ce que je veux, ils sont vraiment cools. Ils s’occupent même de mes impôts ! C’est le paradis ! Je peux rester concentrée sur l’art. Les gens se sont plaints du temps qu’a pris le nouvel album à arriver, mais après Visions pendant deux ans j’ai dû tout faire moi-même, choper un VISA, trouver comment faire livrer mon matos pour la tournée, etc. Je me manageais moi même et c’était un boulot en soi. Et puis Roc Nation a un pouvoir incroyable. Si je veux un ingénieur pour le mix, qu’il est trop cher, Roc Nation appelle et négocie. Ils m’aident beaucoup.

Ça t’a mis le pied dans un univers de superstars un peu étrange, non ?

Je les vois, je les croise en tout cas. Mais ils ne sont pas toujours en mode diva et tout le monde a l’air à peu près normal en fait ! (rires) 

Tu dis que ce nouvel album est celui que tu as le plus poli, mais il sonne assez brut par moments. C’était un contraste voulu ?

Tout à fait, je voulais trouver un juste milieu. La plupart des guitares je les ai jouées avec une guitare vraiment moisie et je gardais les erreurs, j’aime bien ça, c’est ce qui sépare Grimes du reste. Tu peux entendre le processus, les erreurs, dans le morceau final. La quête de la perfection enlève l’âme pour moi. Et c’est une différence fondamentale avec la pop mainstream. Quelques-unes des voix sont enregistrées avec des micros de merde aussi. 

Dirais-tu que tu te perds parfois en pensant trop les choses ?

Je crois qu’on peut dire ça. En fait pas sur les chansons, parfois sur une chanson je suis bourrée de doutes et je me dis “meh, c’est pas grave, laissons ça comme ça”. Sur les vidéos par contre ça vire à l’obsession. J’ai déjà fait deux vidéos pour l’album, une à Paris hier, c’est pour ça que j’ai une sale tronche aujourd’hui, je n’ai pas dormi. J’en ai tourné une il y a quatre jours aussi, sacrée semaine. Et c’est moi qui les réalise. En fait c’est agréable la promo, ça me fait du bien d’être assise toute la journée (rires).

On a l’impression aujourd’hui que beaucoup de popstars sont décérébrés, non pas qu’elles soient forcément bêtes, mais des stars comme Rihanna ou Britney Spears n’ont jamais d’opinions publiques sur rien, quand Madonna prenait, elle, beaucoup de positions fortes. Ça manque, notamment pour les jeunes ados qui prennent ces gens-là pour modèles ?

Certaines de mes chansons préférées sont des chansons mainstream complètement idiotes et décérébrées. Et je crois que Rihanna a eu au contraire un impact positif énorme. Elle a introduit les musiques caribéennes dans le mainstream. Elle a beaucoup fait pour ces musiques, maintenant tout le monde chante avec un faux accent caribéen. 

J’aurais peut-être dû dire Katy Perry ?

Elle est cool ! Je ne sais pas si ces gens doivent absolument avoir des opinions profondes. Teenage Dream est un de mes albums préférés ! C’est vrai que ces femmes-là sont des exemples pour les jeunes… mais en même temps est-ce que Kurt Cobain était un bon exemple pour les jeunes ?

Mais Kurt Cobain c’était rock, précisément ce que les parents empêchaient leurs enfants d’écouter.

Oui, mais je n’ai pas envie qu’on attaque les popstars féminines, qu’on leur reproche leur manque d’opinions. Et en même temps je comprends tes exemples, il n’y a de toute façon presque pas de popstars masculines. C’est dur d’avoir des opinions en public ! Les médias te déchiquètent pour ça, c’est souvent plus facile de se taire. Je comprends qu’on ne veuille pas parler de ces choses-là. Surtout si tu es scrutée comme Katy Perry.

Tu as fait les premières parties de Lana Del Rey, comment était-ce ?

C’était génial ! Le public était différent du mien, mais c’était vraiment un bon public, un public très attentif. Évidemment pas franchement un public qui bouge ou qui danse, mais c’était très fun, les gamins étaient jeunes, excités, etc. Et Lana était vraiment cool, ses concerts au top, on les regardait tous les soirs. Le timing était catastrophique parce que j’étais en train de finir mon album. Mais c’est une de mes artistes préférées alors je ne pouvais pas refuser.

Ton public a changé avec Visions, tu as des fans qui sont aussi fans de Rihanna maintenant. Était-ce plus confortable pour toi d’avoir des audiences plus petites ?

C’est surtout très différent, fun, mais de manière différente. Quand tu es toute petite, on t’attaque et tu es moins parée pour te défendre. Parfois je joue devant des petites foules assises parfois je joue au bout de la nuit dans des festivals EDM. Tout le monde est défoncé donc c’est très facile de satisfaire le public dans ces endroits-là (rires). C’est souvent moins facile de satisfaire les fans du début, les indie kids, ceux qui te reprochent par exemple de faire des morceaux trop pop.  

À propos de Rihanna, tu as fait cette chanson “Go” dont elle n’a pas voulu. Quand est-ce que tu vas enfin écrire un single pour une popstar ?

Je n’écrirai plus jamais pour une popstar, je ne peux pas écrire avec un pistolet pointé sur ma tempe ! J’ai participé à des writing camps (des sessions d’écriture pour des popstars où plein de compositeurs et producteurs sont mis ensemble en studio, ndlr), tout le monde est trop stressé, trop directif : “ça doit parler de ça, être de cette longueur, à ce BPM, etc.” Je ne peux écrire que quand ça me vient naturellement, je n’arrive pas à me forcer, surtout pas dans cet environnement. C’est un autre monde. Il y a des deadlines, des gens qui s’assurent que tu avances, etc.

Tu joues avec le concept de genderfuck, t’amuses avec le masculin et le féminin. Est-ce que c’est un thème abordé sur ce nouvel album ?

Un peu, mais j’y réfléchis peu, je ne crois simplement pas en ce concept de genre, je ne crois pas à son existence, je ne crois pas qu’il y ait de qualités inhérentes aux femmes ou aux hommes. Certaines chansons sont écrites de la perspective d’un homme. Ce n’est pas tellement que j’aborde ces sujets, c’est que j’ignore complètement l’existence du concept, je passe outre. Il y a même des chansons écrites de la perspective d’autres créatures, il y en a une écrite du point de vue d’un papillon (rires)… c’est ma chanson préférée de l’album, la dernière.

Tu as toujours été comme ça ?

J’ai été élevée avec quatre frères. Mon père m’a toujours dit que je devais être bonne en sport autant qu’ailleurs, il traitait tous ses enfants de la même façon, je devais être aussi forte physiquement… En fait il ne savait pas quoi faire d’une fille alors il m’élevait comme un mec (rires) ! “Allez on va faire un footing, viens on fait un basket”, mes cadeaux à Noël c’était des ballons et des jeux vidéos. Beaucoup de mes amis au lycée étaient gays. Montréal est une bulle en plus, les filles se rasent les cheveux, elles sont productrices de musique, mes amis hommes portent des robes, etc. Il n’y a pas de quête identitaire à faire là-bas, tout est naturel.

Y a-t-il des artistes qui t’ont guidé dans cette liberté d’esprit ?

Sinnead O’Connor a eu une grosse influence sur moi, elle fait ce qu’elle veut, ne semble suivre aucune règle. Shamir est très cool aussi, il vit sa vie. Je suis une grande fan de John Waters, qui m’a aussi beaucoup influencée, j’adore Divine. Ma mère publiait des comics, quand j’avais 13 ans on est allées au Comic Con, elle avait du boulot donc j’ai traîné avec un des auteurs pendant un moment et il m’a complètement corrompu, m’a montré tous les films de John Waters (rires). C’était un tournant dans ma vie. 

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