Interview : Brodinski, “Kanye est le seul qui puisse changer la donne”

Ceux qui ont eu le courage les ont comp­tés. Il y a soix­ante sept per­son­nes crédités sur l’album Yeezus de Kanye West. Un tra­vail d’équipe au ser­vice de la per­son­nal­ité la plus inno­va­trice du hip hop actuel. Mais est il encore ques­tion de hip hop ? Abolis­sant les fron­tières des gen­res, mix­ant toutes les influ­ences imag­in­ables qu’elles vien­nent de la tech­no ou de witch house (la quoi ?) , Kanye crée un for­mi­da­ble incu­ba­teur porté par un souf­fle de lib­erté sal­va­teur. Ce n’est pas Brodin­s­ki, qui a par­ticipé au pro­jet le plus fasci­nant de l’année, qui nous dira le contraire.

 

Com­ment s’est fait le con­tact avec Kanye West ?

Brodin­s­ki : Kanye tra­vaille avec toute une équipe de per­son­nes qui sont des fans de musique : ils écoutent tout et ils lui font des rap­ports sur ce qu’ils écoutent. Ce sont ses con­seillers. Ils ont flashé sur la musique de Gesaf­fel­stein. L’un des con­seillers est venu au bureau, il y a cinq mois, en nous dis­ant : “Kanye West est intéressé pour tra­vailler avec vous”. Puis on l’a ren­con­tré quand il est venu à Paris. Il était fan de cette musique et il avait envie d’en savoir plus sur nous, pour savoir si cela avait un intérêt que l’on tra­vaille ensem­ble sur cet album ou un autre de ses pro­jets. On a fait des tests, cela s’est plutôt bien passé et on a con­tin­ué à beau­coup dis­cuter ensem­ble et à travailler.

 

Il est donc vrai­ment présent dans la création…

Tout part de lui. Il ne va pas chercher quelqu’un parce que il est cool, mais parce qu’il aime vrai­ment ce qu’il fait. Ça le touche musi­cale­ment et humainement.

 

Entre toi et Gesaf­fel­stein, Salem ou Evian Christ, c’est quand même très pointu dans les collaborations…

Kanye est quelqu’un qui n’a pas envie de rater quoique ce soit. Par exem­ple, il a été chercher Arca qui a pro­duit cer­tains morceaux de Myk­ki Blan­co, c’est vrai­ment de la musique expéri­men­tale. Mais c’est Kanye qui a toutes les idées, il est très inspiré et il sait très bien où il veut aller et il sait s’entourer des gens qui vont l’aider dans ce sens.

 

Cet album frappe par son côté futur­iste, hors normes…

Ce qui l’intéressait c’était de faire un album avec un con­cept vrai­ment dif­férent et d’aller voir un peu plus que loin que le bout de son nez. Ce que très peu de rappeurs font au final. Kanye est le seul qui soit capa­ble de sor­tir un album qui puisse chang­er la donne. C’est assez rad­i­cal et il y a un vrai par­ti pris.

Com­ment ça s’est passé de manière pratique ?

On a com­mencé, il y a 4 mois. L’album a été fait d’une seule traite. On a tra­vail­lé avec lui dans son stu­dio qu’il avait loué 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 dans le 11eme arrondisse­ment de Paris. On a passé des nuits à tra­vailler ensem­ble, il nous dis­ait : on va tra­vailler sur tel morceau et ensuite on va par­ler de la démarche, de ce que l’on pour­rait garder, est ce que cette ver­sion est mieux que l’autre, est ce que ce serait intéres­sant de rajouter quelque chose et c’était à nous de le prou­ver musi­cale­ment. Son proces­sus de créa­tion est vrai­ment incroy­able. Aujourd’hui on est tous crédités, et le tra­vail qui a été fait sur cet album a été mon­u­men­tal. Cela a été un vrai échange d’idées, sans his­toire d’ego, sans savoir qui était le plus fat. Cha­cun a don­né son avis, le but étant de faire avancer les choses. La pre­mière fois où on s’est retrou­vés tous ensem­ble, ça a été un très gros moment d’émotion parce que se retrou­ver face à Kanye West qui nous dit qu’il aime notre musique et qu’il a envie d’en enten­dre plus, ça fait quelque chose.

 

Humaine­ment, com­ment est ce que tu le définirais ?

C’est dif­fi­cile. Même après tout le temps que l’on a passé ensem­ble je ne pour­rais pas dire que c’est quelqu’un que je con­nais. Mais au niveau du tra­vail, c’est quelqu’un avec qui il est très facile de com­mu­ni­quer. C’est quelqu’un de pas­sion­né et d’inspiré. C’était cap­ti­vant de tra­vailler avec lui. C’est aus­si quelqu’un qui ne con­nais­sait pas bien notre monde, alors que nous, on con­nais­sait le sien par cœur. C’était ça qui était assez intéres­sant, c’est quelqu’un de très curieux, il avait vrai­ment envie de tra­vailler avec nous.

 

On a l’impression que les gens qui n’écoutent pas de musiques élec­tron­iques ne com­pren­nent pas le disque…

Com­plète­ment. Je crois aus­si qu’il y avait le Kanye West de Col­lege Dropout et Grad­u­a­tion et il y a a celui d’après 808s & Heart­break. Ce n’est pas mon album favori mais c’est un par­ti pris fort avec le tra­vail sur l’autotune, puis sur l’avant-dernier album il a com­mencé à tra­vailler avec beau­coup de per­son­nes. Yeezus c’est le must qu’il peut faire en équipe. Mais c’est un album qui doit s’écouter deux ou trois fois pour arriv­er à com­pren­dre le mes­sage. Un morceau comme “I am a god” par exem­ple, le mes­sage est plutôt clair mais pour ce qui est du beat je trou­ve ça com­plète­ment dingue. Et il faut aus­si par­ler du rôle des Daft Punk qui a été très impor­tant dans le proces­sus de l’album. Les trois pre­miers jets que les Daft ont sor­ti, ont don­né la tonal­ité générale. C’est ce qui a lié l’album.

 

Est ce que tu pens­es que cette col­lab­o­ra­tion va chang­er quelque chose pour toi ?

Ça a déjà changé les choses parce que sa manière de tra­vailler, c’est quelque chose qui nous a vrai­ment mar­qué. C’est une méth­ode de tra­vail com­plète­ment dif­férente et inno­vante donc ça ne me laisse pas de mar­bre. Ces trois mois d’échanges en stu­dio font que ma manière d’envisager la créa­tion musi­cale n’est plus tout à fait la même.

 

Pro­pos recueil­lis par Patrice Bardot

 

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