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28 avril 2015

Interview croisée Fakear, Thylacine & Superpoze : No French Touch Please

par rédaction Tsugi

Marre des cogneurs ? Plus rêveurs que raveurs, Superpoze, Thylacine et Fakear aiment les mélodies. Ils sont la dream team d’une électronica à la française qui tourne le dos au dancefloor et ramène un peu de douceur dans le débat. Nous les avons réunis.

Propos recueillis par Patrice Bardot et François Blanc, photos Fabien Breuil pour Tsugi.

ll y a la France électronique du clubbing, celle des générations successives de la french touch, de la house filtrée et de la fête interminable. Mais ces derniers temps une nouvelle génération de producteurs casse les codes, délaisse le dancefloor, idolâtre la mélodie et joue les peintres sonores. En chefs de file, ce trio de copains tous nés après 1990, William (Thylacine), Gabriel (Superpoze) et Théo (Fakear). L’un vient d’Angers, deux de Caen, tous sont en pleine explosion, semblables dans leur approche d’une musique électronique accessible mais ambitieuse, construite sur leur solide (jeune) passé de musiciens. Très loin des “électrogeeks” venus à la musique par les seuls logiciels Reason ou Ableton Live. On les a rencontrés tout guillerets trois jours après le triomphal premier Trianon de Fakear (l’Olympia c’est déjà pour la fin d’année), à deux mois de la sortie de l’album de Superpoze et en plein brouhaha autour de la sortie du quatrième EP de Thylacine (interview faite en février, ndlr)

Vous avez été surpris d’apprendre qu’on voulait vous mettre en couverture ?

Thylacine : Oui et non, il y a une logique. On partage tous les trois une même manière de faire de la musique électronique qui est assez en vue en ce moment : Théo (Fakear) a explosé, Gabriel (Superpoze) sort son album bientôt, moi je commence à faire pas mal de choses…

Fakear : Ça m’a fait un truc, j’ai longtemps été abonné au magazine. Je suis hyper honoré.

Est-ce qu’il existe une forme de compétition entre vous ?

Superpoze : On est dans une logique d’union, qui fait notre force. On a chacun nos spécificités et puis il y a de la place pour nous trois. On a beaucoup découvert la musique par labels et par groupes d’artistes, je trouvais ça hyper cool l’idée des collectifs. Même si nous n’avons pas de label ensemble, nous sommes dans cet état d’esprit. Théo et moi on se connaît depuis tout petit, mais pour les autres – parce qu’il n’y a pas que nous trois dans cette vague – on a voulu se rencontrer grâce à la musique. Quand je programmais des soirées en 2013 à la Flèche d’Or, j’ai invité des gens comme Dream Koala, je ne l’aurais pas fait si je les voyais comme des concurrents. On s’invite, on se remixe, on partage.

Thylacine : Et puis c’est agréable d’avancer en partageant nos problèmes, en mettant nos expériences en commun.

Qu’est-ce qui vous unit ?

Fakear : Si on s’est rapprochés plus spécifiquement tous les trois c’est parce qu’on a l’impression d’avoir le même langage, la même façon de faire. On a d’abord appris à jouer des instruments avant de se mettre aux machines et on a tous les trois ce côté “provinciaux qui débarquent à Paris”. L’avantage de la province, c’est qu’on était tous à peu près seuls à faire ce qu’on voulait là-bas.

 

Superpoze : Et on était dans de petites villes, libérés des tabous des scènes, des esthétiques ou même de la hype. On n’a pas honte de balancer des gros accords hyper pop. J’écoute de la musique assez obscure mais naturellement ce n’est pas celle que je produis et je le vis bien.

Fakear : La seule chose qui m’angoisse c’est qu’on puisse nous catégoriser french touch 4.0. Faudrait qu’on commence à susurrer aux gens des idées de noms pour notre genre. (rires)

Superpoze : Dans la french touch il y a un côté “la fête pour la fête” qui est à l’opposé de nos musiques. Mon album est tout sauf dansant. On a fait très peu de club. Je n’ai mis les pieds au Social Club qu’une fois, quand j’y ai joué.

Thylacine : Moi j’ai les lives sûrement les plus dansants de nous trois, mais le deejaying n’est pas mon truc.

Fakear : Faire danser ça nous fait marrer, mais ce n’est pas ce qu’on a dans les tripes.

Cette mise en avant de la mélodie, ça vous vient d’où ?

Thylacine : On est hyper fleur bleue ! (rires)

Superpoze : Pour Théo et moi c’est facile à analyser. On s’est rencontrés en seconde, j’avais 14 ans et lui 15, on a découvert l’électronique ensemble avec Bonobo et Ninja Tune. On a appris par Fulgeance aussi, qui est de chez nous et qui nous a montré qu’on pouvait jouer de la musique électronique en live. C’était une révélation parce qu’on n’allait pas en club… il n’y a pas de club à Caen. (rires) Et je crois qu’on déteste tous la turbine qui a sévi un long moment. 

Quand vous vous observez, est-ce que vous êtes impressionnés par le parcours de chacun ?

Thylacine : Bien sûr, ce qui arrive à Théo, ça m’impressionne. Moi j’ai un peu de retard, à l’époque de mes premières tentatives de composition par ordinateur, je voyais Gabriel commencer à tourner un peu. Ça m’épatait. 

Superpoze : J’ai commencé à avoir un peu d’actualité fin 2012, Théo à l’été 2013 et William (Thylacine) en 2014. On est aussi impressionnés, je crois, par les compétences que les autres commencent à avoir. Au début on s’écoutait et on trouvait ça en-dessous de la musique qu’on aimait. Là j’ai l’impression qu’on commence à avoir un vrai son.

Thylacine : Fonctionner à plusieurs ça met un peu de pression sur la qualité, ça pousse vers le haut, ça remet en question.

 

Comment vous êtes-vous rencontrés pour la première fois ?

Superpoze : Avec Théo, en seconde, option musique tous les deux. On devait être cinq dans ce cas, on a fait un groupe instantanément, lui faisait de la guitare, moi de la batterie, les autres ont complété.

Le groupe s’appelait comment ?

Superpoze : Ah nan, c’est chaud. Il y a des vidéos encore publiques en ligne, on ne peut pas dévoiler ça ! (rires) C’était un groupe de ska-punk horrible. On a vite commencé à composer dans notre coin à partir de la première. Je me souviens avoir récupéré Geogaddi (troisième album de Boards Of Canada, ndlr) sur l’ordinateur de la copine de Théo. Moi j’ai commencé à produire quelques beats hip-hop. Théo, un genre de post-rock.

Fakear : Plutôt trip-hop ambient.

Superpoze : Bonobo est arrivé, j’ai commencé à sampler, nos sons se sont rapprochés. On a même fait un featuring mais Théo est sous un autre nom, c’est trouvable sur le Net (Superpoze et Thotem, ndlr). En arrivant à la fac on a lancé notre émission de radio sur Radio Phoenix, la Radio Campus de Caen, entre électro et hip-hop. Ce devait être entre 2009 et 2011.

Thylacine : Moi j’ai croisé Théo il y a un an dans un concert galère avec quasiment personne, dans une chapelle à Vendôme. Mais le petit public était adorable. On a copiné là, on s’est revus ensuite sur plusieurs dates. Avec Gabriel c’était au Centre Pompidou, où je bosse souvent, il faisait un atelier beatmaking mais il n’y avait qu’un seul gosse pour l’écouter, c’était mignon. On a bu des bières et c’est arrivé comme ça.

Superpoze : J’ai acheté ton morceau sur Bandcamp aussi, t’étais super content.

Vous vivez tous à Paris aujourd’hui ?

Thylacine : Théo et moi oui.

Superpoze : Moi je suis sans domicile fixe mais plutôt à Paris.

Fakear : On a des calendriers compliqués pour se voir ici. Mais ces temps-ci on se voit tout le temps, on invite Gabriel à manger avec ma copine.

Thylacine : Et on se voit beaucoup dans des événements, sur des dates de tournée…

Est-ce que vos villes, Caen et Angers, ont beaucoup aidé à vous faire décoller ?

Superpoze : Théo et moi avons eu le même accompagnement de la salle de Caen, le Cargö, moi en 2012 et lui en 2013. Ils nous ont aidés à tourner un peu en région notamment, dans les festivals, à Beauregard, Astropolis, Nördik Impakt, etc. J’ai fait en 2012 l’ouverture du Hall 9 des Transmusicales, Théo pareil en 2013.

Thylacine : Et moi j’ai fait la fermeture en 2014.

Superpoze : La petite ville fait qu’on était un peu traités comme les héros locaux et poussés, vraiment.

Thylacine : Moi, pas du tout ! Et tant pis si je ne me fais pas que des amis… Le Chabada, par exemple, n’a pas cru en moi dès le début et Angers m’a peu poussé, je dois davantage à Paris, aux blogs. Je suis assez vite venu dans la capitale pour faire des concerts pourris dans des appartements, c’est comme ça que j’ai rencontré mes partenaires d’aujourd’hui.

Théo, ton pseudo, Fakear, vient de ta transition entre rock et musique électronique, tu peux nous expliquer ?

Fakear : Quand j’ai arrêté de jouer en groupe, parce que j’en avais marre, je sortais d’un genre de projet un peu folk, à la Ben Harper, pas terrible. J’ai commencé par composer mes chansons tout seul, puis j’ai commencé à enlever ma voix, découper mes guitares, etc. J’ai dévié petit à petit. Les potes de mon dernier groupe se foutaient de moi, ne comprenaient pas pourquoi je n’avais plus de bout de bois avec des cordes dans les mains. Moi je suivais mes intuitions tout en pensant avoir tort très souvent. Ce nom, Fakear, c’est de l’autodérision, j’avais toujours l’impression de faire de la merde. “Fake ear”, fausse oreille, fausse musique.

Thylacine : Moi, c’est arrivé encore plus tard, j’ai encore moins de culture électronique de base à part le trip-hop. J’étais saxophoniste, je venais du jazz, un peu du rock aussi, puis un peu de dub, pas forcément cool d’ailleurs. En voulant faire de la musique tout seul je me suis mis à l’électro. 

Superpoze : Moi c’était plus en douceur, je suis venu du rap, français surtout, avant de passer par l’abstract hip-hop et la beat music. J’ai découvert que des mecs faisaient du rap sans rap et ça m’a scotché.

Le succès est arrivé rapidement, on a le sentiment que vous n’avez jamais galéré.

Superpoze : C’est vrai, mais on n’a pas cherché à être là où on est aujourd’hui. Ce n’est que maintenant qu’on commence à élaborer des stratégies.

Fakear : C’est vraiment cool parce qu’on a toujours pu se concentrer uniquement sur nos compositions et notre musique.

Superpoze : Parfois on n’a pas compris pourquoi le public nous a suivis sur certains trucs qu’on ne trouvait pas terribles, mais finalement savoir qu’on a une audience nous pousse à faire mieux.

Thylacine : Le luxe pour moi c’est que je ne pense pas du tout au public quand je compose. Ce qui n’était pas le cas sur mon premier EP.

Que pensent vos parents de votre musique ?

Superpoze : Ma mère est mélomane, elle aime beaucoup et ça me rend super heureux parce qu’elle trouve que je progresse.

Il paraît même qu’on l’entend sur ton album ?

Superpoze : Ah oui, comment tu sais !?!

Thylacine : (il prend une voix de mégère) Gabrieeel, c’est prêt, à table ! (rires)

Superpoze : J’ai fait l’album chez elle, au calme, j’avais besoin d’une voix, elle est venue chanter une petite voix murmurée.

Thylacine : Mes parents sont hyper fans, c’est génial, ils s’éclatent via ma carrière. Ils envoient même des messages à Gabriel sur Facebook. C’est hyper cool d’avoir tes parents à 4 heures du matin devant ton set aux Transmusicales…

Superpoze : … hyper foncedés.

Thylacine : Nan, ils sont hyper straight. (rires)

Aujourd’hui on vous compare souvent à des gens comme Bakermat…

(Superpoze pose la main sur l’épaule de Fakear, en signe de soutien)

Thylacine : Ce n’est pas très cool. (rires)

Fakear : On en a discuté pas mal avec Gabriel. Je considère, même si ce sont de gros traits, qu’il y a deux indicateurs, popularité et crédibilité, et que Bakermat a fait exploser le premier en faisant une musique très accessible et ouverte. De nous trois, je suis certainement celui qui se rapproche le plus de cela et donc celui qui a le public le plus large. Mon track “La Lune rousse” avec les voix mélodieuses, le beat, la guitare, est composé avec les mêmes ingrédients que les morceaux de Bakermat. Pourtant le résultat est assez différent, je crois. Quand j’écoute Bakermat, je n’ai pas l’impression qu’il y mette ses tripes.

Thylacine : C’est une machine, on sent les grosses ficelles. Et ce sont les ficelles de tout le monde en ce moment, de The Avener au remix de Lilly Wood & The Prick.

Fakear : Et puis son tube avec le saxo, ce sont les accords de “No Woman No Cry”, de “Let It Be”, de “Dernière Danse” de Kyo, les mêmes accords qui tournent depuis cinquante ans. La toile est peut-être jolie, mais on voit les coups de pinceau.

Sur votre route, vous voyez des dangers ? La grosse tête ?

Thylacine : Il y a mille dangers mais pas celui-là.

Superpoze : Moi ça ne me fait pas peur ça.

Fakear : (en direction de Superpoze) Enfin, il y en a qui mettent leur tête en pochette.

Superpoze : Ma tête est sur la pochette mais je ne pense pas qu’elle soit grosse. (rires)

Fakear : Moi j’y pense parfois, samedi dernier après le Trianon notamment, avoir 1 500 personnes qui hurlent dès que tu dis “prout”, c’est perturbant.

Vous commencez à avoir des groupies, des fans extrêmes ?

Superpoze : Bien sûr, on a tous des trucs un peu flippants mais on ne peut pas le raconter, ils vont lire le magazine. (rires)

Fakear : Moi je voulais me faire mon petit kif au Trianon, je viens du rock alors j’aime bien le délire rock star, qui finit à poil sur scène. Je me souviens d’un concert de Guns N’ Roses avec Slash à Tokyo sur un podium à poil au milieu de la foule à kiffer sans même regarder ce qu’il faisait.

Thylacine : Alors t’as enlevé ton t-shirt ?

Fakear : Non ! (rires) Mais je suis allé devant la scène et je me suis dit “voyons ce qui se passe si je tends la main“. Il y a eu un mouvement de foule flippant. Le premier rang c’était beaucoup d’adolescentes, je tendais la main et j’avais l’impression d’avoir le pouvoir de faire pleurer les filles dès que j’avançais mon bras vers elles. La moitié fondait.

Superpoze : On fait une musique hyper émo ! (rires)

Votre futur, vous le voyez comment ?

Superpoze : Je vais sortir mon album, je continue mes lives et pour la première fois je vais produire pour d’autres gens. Je fais toujours aussi de la musique sous d’autres noms pour me libérer de certains trucs.

Thylacine : Je bosse toujours pas mal dans l’art avec le Centre Pompidou. Je vais aussi composer entièrement un disque dans le Transsibérien, pendant deux semaines, avec une équipe documentaire. L’album, on verra plutôt en 2016.

Fakear : J’ai un album en préparation, avec un EP qui arrivera normalement avant. C’est presque terminé, même si on ne sait jamais, j’avais déjà un album avant l’été et j’ai tout repris à zéro finalement.

Une dernière question con : qui selon vous a le plus de chance d’avoir une Victoire de la musique ?

Thylacine : Théo, clairement.

Superpoze : Il a le son le plus populaire aujourd’hui c’est sûr.

Fakear : Je dirais William. Moi je vais prendre trop de virages bizarres. Et Gabriel va faire un album qui ne sera écouté qu’en Angleterre. (rires) Pour l’instant il refuse de le faire écouter, même à nous ! 

 

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