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11 août 2014

Interview FKA Twigs : « être une femme et ne pas être féministe c’est une forme de dégôut de soi »

par rédaction Tsugi

C’est aujourd’hui que sort enfin le tant attendu premier album de FKA Twigs, LP1, l’un des très grands disques de l’année, R&B avant-gardiste (même si elle s’agace qu’on lui parle de R&B) sombre et sidérant. Ça valait bien une petite interview dans les bureaux parisiens de son label.

Le regard autoritaire et farouche que FKA Twigs montre dans ses nombreuses vidéos, on le retrouve aussi chez Tahliah Barnette, la jeune londonienne de 26 ans qui se cache derrière les prouesses vocales et déhanchés désarticulés de l’artiste. Prête à bondir si on déforme son histoire, peu encline à prendre du plaisir dans le rôle de l’interviewée, protectrice de son image, FKA Twigs se montre peu loquace mais capable de quelques fulgurances qui vous clouent.

Tu le vis comment de ne plus pouvoir toucher à ton album, ne plus le peaufiner ?
Je me sens franchement bien, je suis plutôt heureuse de ce que j’ai fait. (elle fait une moue)

Tu as l’air à moitié convaincue !
J’ai l’impression que l’album reflète déjà une autre époque. Il est fini depuis quelques mois, si je l’avais fait ce mois-ci il aurait sûrement été totalement différent, j’ai encore changé, mais si j’accepte que c’est une réalisation inscrite dans un temps passé précis, ça va, c’est ok.

Tu as commencé comme danseuse dans des clips, tu n’étais pas le centre d’attention, tu étais au second plan. Maintenant c’est ton nom, ta voix, ton visage. Est-ce différent pour toi, est-ce plus dur à assumer, moins confortable ?
Non ça va, ça a toujours été mon but d’être musicienne et de vivre de ma propre musique, d’ailleurs à l’époque où je dansais j’étais toujours très frustrée parce que ça m’énervait de me contenter de faire partie de l’accomplissement des rêves d’une autre personne. Maintenant je suis enfin là où je devais être, à faire ce que je dois faire.

Aussi fascinant qu’ait été ton premier concert parisien au Carreau du Temple, tu semblais encore un peu intimidée. Ce sont tous les regards posés sur toi ?
Non je ne crois pas, quand il n’y a pas de musique je suis un peu timide certes mais dès que le son arrive je deviens très confiante. C’est parce que je n’aime pas être le seul centre d’attention, je veux que ce soit la musique avant tout. C’est super dur de faire des interviews par exemple, imagine toi passer ta journée à parler de toi… toute la journée ! C’est tellement chiant.

D’ailleurs le Carreau du Temple est un endroit étrange pour un concert. C’est bizarre de jouer dans un auditorium très institutionnel ?
J’aimais bien ce challenge, d’avoir des gens assis face à moi, obligés de se concentrer sur l’écoute. Certains morceaux de l’album font bouger les gens, c’est cool, je veux que les gens dansent, mais en tant que performer, pour moi, comme pour mon groupe, c’était intéressant de devoir impliquer les gens sans qu’ils puissent bouger. Fasciner des gens assis ça demande un niveau de charisme et d’hypnose différent.

C’est toi qui a choisi la salle ?!
Tout à fait !

Tu peux me dire comment tu en es venue, avant la musique, à te diriger vers une carrière de danseuse professionnelle ?
J’ai toujours remué dans tous les sens toute petite, j’inventais des danses que je montrais à ma mère, qui était danseuse elle-même, je n’arrêtais pas de la harceler pour qu’elle me paye des leçons de danse… et elle a fini par accepter ! C’était le début de tout, vraiment. C’est devenu très sérieux, j’ai été danseuse professionnelle pendant des années. J’ai eu mon premier job, mon premier contrat, quand j’avais 13 ans, dans une émission de télévision

Tu as dansé dans des vidéos de chanteuses connues comme Jessie J, tu te souviens de cette époque ?
Ça me semblait destructeur, je ne m’y retrouvais vraiment pas et j’avais l’impression de perdre mon temps. C’était vraiment un “9 to 5” (expression anglaise reprenant les horaires de bureau classiques pour parler d’un job alimentaire), un job qui n’a pour toi strictement aucun attrait, c’est comme lécher des enveloppes pour les coller. Pour autant je ne perdais pas complètement mon temps non plus, ça me payait et me donnait de l’argent pour bosser sur mon premier EP. La chanson “Video Girl” parle de cette époque, quand je sortais parfois on me reconnaissait comme “cette fille qui dansait dans cette vidéo”, je répondais toujours qu’il faisait erreur. J’ai dansé pour Kylie Minogue ou Taio Cruz, les gens appelaient mon agent et m’engageaient sans même me faire passer de casting, j’avais une réputation en béton.

Qu’est-ce qui t’a poussé vers la musique ?
Je n’avais pas d’idoles en grandissant, j’ai commencé à vraiment m’intéresser à la musique en fréquentant un genre de centre de loisirs quand j’avais 16 ans. Ils avaient un studio d’enregistrement là-bas, dans lequel je traînais tout le temps, des artistes passaient et ça me fascinait. Je suis plus auteure de musique que j’en suis auditrice.

Tu as grandi dans un univers artistique ?
Ma mère était danseuse donc, mon père musicien. Mes parents me laissaient faire absolument tout ce que je voulais. Ils me laissaient m’habiller comment je voulais, même si on avait peu d’argent ils essayaient de m’accorder tout ce que je voulais vraiment, ma mère trouvait un moyen pour me payer les cours de danse ou d’autres choses.

Pour un premier album ton style est à la fois très personnel et parfaitement peaufiné. Ta musique ressemblait à quoi à tes débuts ?
C’était juste affreux, ça sonnait toujours comme si j’essayais d’être quelqu’un d’autre et ça changeait au fur et à mesure de mes passades. ? un moment j’aimais Kate Bush alors ça sonnait comme si je faisais du sous Kate Bush. Le jour d’après j’étais à fond dans X-Ray Spex (groupe de punk anglais mythique, ndlr)… C’était vraiment catastrophique et ennuyeux.

Est-ce que rencontrer Arca (qui a coproduit son deuxième EP, ndlr) a changé beaucoup de choses ?
Rencontrer Arca n’a rien changé du tout pour ma musique. La plupart des chansons de l’album, d’ailleurs, je les avais écrites et produites avant de rencontrer Arca. “Two Weeks”, “Video Girl” ou “Hours” étaient toutes finies avant notre rencontre. Mon son était déjà bien là sur mon premier EP. J’ai rencontré Arca ensuite, on a bossé ensemble sur EP 2, c’était parfait mais ça n’a duré que ce temps-là.

Tu as tout fait toute seule sur l’album ?
Pas tout non, mais je suis la productrice exécutive de tout le disque et j’en ai produit une partie toute seul, “Kicks”,“Closer”,“Preface”. J’ai coproduit la plupart du reste, avec aussi Sampha, Emile Haynie (Eminem, Lana Del Rey…), Devonte Hynes… Mais au final j’ai produit les deux tiers du disque moi-même.

Quand as-tu senti que ta musique commençait à faire son trou ?
Je ne connais rien de l’industrie musicale, je ne pige rien des buzz sur Youtube ou quoi que ce soit et je ne m’en soucie pas trop parce que j’ai obtenu deux millions de vues sur le clip de “Water Me” mais à côté une video d’un bébé qui tombe de sa poussette en fait dix fois plus. J’aurais sûrement pu faire mieux avec une chanson blague sur de la bouffe chinoise ou un burger. Rien ne veut dire quoi que ce soit. Et puis je suis toujours dans ma bulle. C’était bizarre, je bossais avec Tic Zogson (producteur et membre du groupe Phantom, ndlr) on faisait un peu de musique et je n’avais pas du tout réalisé qu’il était aussi A&R d’un label, Young Turks (sous label de XL Recordings). Il a voulu me faire signer ça m’a semblé naturel. On était devenu amis donc peu importe si je ne connaissais rien à l’industrie.

Tu es très impliquée dans tes visuels, tes pochettes et certaines de tes vidéos te présentent de manière très glacée, comme un pantin ou un corps vide d’âme. Pourquoi ?
Je n’en sais rien pour être honnête c’est une imagerie que j’aime. Par exemple avec Jessy Kanda, qui a fait la pochette de l’album, j’ai beaucoup parlé des émotions qui sont dans le disque, ces moments où j’étais à terre, les gens qui me blessaient pendant la création du disque… il était le seul à qui je parlais des aspects négatifs de tout ce processus créatif. Ce visuel c’est lui qui représente ces sentiments, un mélange de vulnérabilité, de souffrance et de beauté et de confiance à la fois. Je lui ai dit que je voulais du rouge parce que cette couleur me réconfortait et qu’elle me correspondait. Sur cette pochette, même si je me suis pris un poing dans le visage, il y a du beau, du brillant.

La fabrication de l’album a été chaotique ?
Non, mais les gens sont parfois méchants, certains avec qui j’ai fait de la musique. La solution est simple, je me contente de ne plus travailler avec eux.

Tu parlais du rôle pas si important qu’a eu Arca. Tu as peur que les gens ne te voient que comme interprète de ta musique ? Qu’ils ne sachent pas que tu l’écris, la produis etc. ?
Je m’en fous maintenant, je crois, parce que je sais exactement tout ce que j’ai fait et je sais à quel point j’ai mis mes émotions dedans. Je suis habituée, les gens viennent me voir en pensant que Arca ou quelqu’un d’autre a tout produit. Je ne veux plus me mettre en colère sur ce sujet.

En grandissant est-ce que tu avais des modèles féminins forts en musique ?
Non… En fait je rechigne à donner le moindre nom parce qu’après les journalistes ne vont plus sortir que ce nom-là et on va m’en parler tout le temps. “Alors comme ça tu es fan de cette artiste ?”. Oui, elle est cool, j’ai écouté ses disques, mais elle n’est pas une influence massive sur ce que je fais. Et puis c’est tellement dur, j’écoute beaucoup de choses. En ce moment je cours souvent une heure et demi sur un tapis de course en écoutant du Aphex Twin, est-ce qu’on va aller dire que c’est mon influence majeure ?

Ce n’est pas tellement une influence purement musicale, plutôt un genre de modèle.
Mais je n’ai aucun modèle.

Qu’as-tu pensé du lynchage médiatique subit par Lana Del Rey quand elle a dit que le féminisme ne l’intéressait pas ?
Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé mais il est sûr que je me considère féministe à 100%, j’espère que tu es féministe toi aussi et que Valérie ou JP de mon label sont féministes aussi parce que ça veut simplement dire que tu crois à l’égalité totale des hommes et des femmes, c’est une évidence. Mais ça n’est pas quelque chose que je me sens le besoin de pousser, de revendiquer, de ressasser. C’est purement naturel pour moi. Si j’ai un fils je lui apprendrai ces valeurs-là. Dire que tu n’es pas féministe c’est dire que tu penses que les hommes sont meilleurs que toi, c’est une forme de dégoût de toi-même.

Tu as fait une vidéo vraiment hypnotique d’un live dans des ruines mayas, te souviens-tu de l’expérience ?
C’était vraiment beau, j’avais l’impression d’être moi, d’être dans mon élément. Ça m’a toujours un peu inquiété ces histoires de vidéos live qui sont un peu cheesy souvent mais les mecs de Yours Truly et moi sommes arrivés à mettre l’environnement au centre de la vidéo, et son influence sur ma musique, au lieu de moi avec une guitare qui chante en regardant la caméra. Quand des enfants ont débarqué et tapé sur des bouts de bois c’était tellement cool. Je ne peux pas prévoir quels endroits vont m’inspirer, j’ai été dans des villes magnifiques et n’ai parfois rien ressenti.

Tu te considères comme religieuse ou intéressée par la spiritualité ?
Je crois à un système de valeur, au fait d’essayer d’être une bonne personne mais c’est à peu près tout… Enfin je crois en dieu, mais je ne crois pas que mon dieu soit le même que celui des autres. Je crois à quelque chose, quelque part, qui m’observe et vérifie que je vais dans le bon sens… Enfin je ne sais pas encore bien, je n’ai que 26 ans après tout.

En concert le 14 octobre à La Maroquinerie Paris.

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