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7 mars 2019

Juniore : yéyés d’aujourd’hui

par Clémence Meunier

Parce qu’il est difficile de résister à ce doux mélange de paroles un poil dépressives, de touches de surf pop et d’une grosse louche d’esthétique yé-yé qui aurait perdu son innocence avec le passage aux années 2000, on est allé poser quelques questions au trio Juniore. Entre deux bouchées de raviolis, dans un resto de Groningen au lendemain de leur passage au festival Eurosonic, Anna Jean (chant), Swanny Elzingre (batterie) et Samy Osta (production, croisé par ailleurs derrière Feu! Chatterton ou La Femme) nous ont donné quelques nouvelles, hors de tout planning promo, juste parce qu’on commençait à s’inquiéter de leur retour deux ans après le charmant Ouh Là Là.

Chanter en français devant un public non-francophone, c’est un challenge ?

Anna Jean : Il y a un truc d’assez libérateur là-dedans, par moment : tu sais que les gens seront moins attachés à ce que tu es en train de raconter. Ils essayent de comprendre différemment le ton et l’atmosphère des chansons – car on est un groupe à chansons, ce n’est pas de la poésie, mais on raconte toute de même des histoires. C’est assez marrant de les chanter devant des gens qui ne les comprennent pas nécessairement, mais tu sens qu’ils s’attachent et sont réceptifs à autre chose. Et puis il y a beaucoup de références anglo-saxonnes dans notre musique.

Vous avez récemment participé à la BO du film Les Fauves avec Lily-Rose Depp, Camille Cottin et Laurent Lafitte. Comment ça s’est passé ?

Anna Jean : C’est très joli film plein d’adolescence, et aussi un peu dark. Le réalisateur, Vincent Mariette, nous a demandé de jouer un morceau dans le film, à la Twin Peaks, où on ferait une apparition dans un bal de camping. C’était hyper rigolo, on a repris un titre d’un monsieur anglais qui n’a écrit dans sa vie que des chansons sur des footballeurs, des genres de sérénades, dont une pour Eric Cantona. Dans les années 90, cet Anglais a fait chanter cette chanson par une Brésilienne il me semble, avec un français un peu approximatif. Et on a repris ça, avec des paroles assez folles, comme « Eric, ton nez est long comme une nuit d’été ».

Il y a de toute façon de la musique de films dans vos chansons…

Samy Osta : Oui c’est voulu ! Morricone, Carpenter, les musique utilisées dans les films de Tarantino… Pour moi qui produit la musique du groupe, c’est une source d’inspiration très claire.

Juniore est un groupe très référencé : on pense aux yéyés, à François Hardy, mais en effet aussi à Tarantino… On vous présente parfois sous l’angle « les années 60 sont de retour, sortez les jupes à pois », ça vous agace ?

Anna Jean : Oui et non car j’ai vraiment l’impression qu’on est à l’inverse du courant – il n’y a aucune prétention là-dedans, je pense simplement qu’on a raté plein de trains, y compris celui des années 80, qui est plus dans l’air du temps aujourd’hui. Si les années 60 reviennent avec nous alors que les années 80 sont partout, ça me va.

Samy Osta : Quitte à choisir, quitte à se faire cataloguer même, autant se positionner sur des trucs qu’on aime vraiment ! Il vaut mieux être influencé par François Hardy, Dutronc etc. que d’être les nouvelles sous-Christine & The Queens ou les nouveaux sous-Tame Impala, qui existent aujourd’hui et font leur truc bien mieux que nous. Il y a plein de groupes français qui manquent d’identité et qui vont aller s’inspirer d’artistes qui leur sont contemporains, je trouve ça totalement sans intérêt. Mais on n’a pas voulu refaire les années 60 comme dans les années 60 : ça aurait été impossible. La vie était différente, l’air était différent, la bouffe était différente. Sur notre dernier album, on a voulu moderniser tout ça, et rendre ces influences plus personnelles, tout simplement pour se les approprier. Et même si c’est très référencé, on a des patterns de batterie qui ne datent pas du tout des années 60 et peuvent être empruntés au rap des années 90 par exemple, comme dans « A la plage ».

Les textes sont parfois assez tristes, sombres, durs… Parce que notre époque est plus triste, sombre et dure qu’il y a 50 ans ?

Anna Jean : Oui, clairement ! Je pense qu’on a une nécessité de raconter ces choses-là que l’on vit, au quotidien. Je les réduis à des espèces de petites anecdotes que moi je trouve légères ou adolescentes – ou alors je suis peut-être une personne hyper sombre (rires). Par exemple « Panique » : je trouve qu’on vit dans un monde plein de panique justement, avec une peur de grandir dans notre société que personne ne reconnaît vraiment, où tout est nouveau et à la fois en déclin, où on t’annonce la fin du monde toutes les 5 minutes, entre les problèmes écologiques, politiques, économiques, de fertilité… Je n’ai pas vraiment envie de raconter ça, tout le monde en parle tous les jours. Mais j’en ai tout de même le besoin. Alors j’écris ça sous la forme d’une petite anecdote un peu rigolote d’une fille qui perd tous ses moyens quand elle voit le garçon qui lui plaît. Mais c’est imprégné de notre époque, d’une certaine façon. Fondamentalement, si j’ai un côté sombre, j’aime bien rigoler tout de même ! (rires)

Utiliser des anecdotes a priori légères pour parler de sujets un peu plus lourd, c’est quelque chose que l’on retrouve également sur le morceau « En retard », qui sonne comme un hommage au « 7 heures du matin » de Jacqueline Taieb. On part d’une histoire anodine de retard au boulot, pour finalement comprendre à la toute fin que le personnage est également en retard sur ses règles, avec tout ce que cela peut impliquer…

Anna Jean : Complètement !

Samy Osta : C’est comme un film, avec un coup de théâtre.

Anna Jean : Et puis on ne parle jamais des règles ! Pourquoi ? C’est quand même important dans une vie de femme. On ne parle pas non plus de ce que c’est qu’être une fille et d’avoir ce genre de préoccupations, de se demander si tu n’es pas en retard. Ça peut servir à ça aussi d’avoir une petite musique légère pour raconter des trucs un peu importants, pas tout le temps, mais de temps en temps.

Est-ce que ce récit de la féminité est quelque chose qui se retrouvera plus régulièrement dans vos prochaines sorties ?

Anna Jean : Je crois que ça reste un thème parce qu’on le vit. Ce groupe, c’est le reflet, certes un peu imaginaire et fantasque, de ce qu’on vit. Des questions qu’on se pose tous les jours, des discussions qu’on a. Mais c’est compliqué, on n’a pas non plus envie que ça devienne un gimmick, ni un fond de commerce sur lequel tu te positionnes parce que c’est dans l’air du temps et que tout d’un coup tout le monde est écolo et féministe. On a envie que ce soit un tout petit plus profond que ça. Donc oui, on en parlera, mais pas systématiquement, c’est un sujet parmi d’autres.

Ouh Là Là, votre dernier disque, est sorti il y a deux ans tout pile. Vous préparez un nouvel album ?

Samy Osta : Exactement ! En fait, après l’exploitation normale et française de l’album il y a deux ans, je me suis vite lassé et les filles aussi : on s’est tapé toutes les MJCs et pleins de festivals, et pour un projet comme le nôtre ça ne sert pas à grand-chose, parce que ce n’est pas la meilleure manière de faire découvrir notre musique. On était programmé sur des festivals qui n’étaient pas du tout raccord avec notre son, en étant par exemple sur une soirée le seul groupe avec une guitare ou une batterie, ou les seuls qui ne faisaient pas du ska. C’était compliqué de trouver notre place. On s’est dit qu’on allait reprendre tout ça nous même, en s’ouvrant à l’étranger. Ça nous a rajouté un an de boulot et de dates sur ce disque, c’est pour ça qu’il s’est passé deux ans sans que l’on sorte d’album. Mais on travaille sur le prochain là. Il y aura plus de chansons, et on espère le sortir à l’automne !

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