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Crédit : Gwenola Coic.
17 mai 2017

Krismenn, breizh power !

par Patrice BARDOT

Article extrait de Tsugi 101, disponible à la commande ici.

Krismenn rappe en breton, mais sa musique dépasse largement le cadre hip-hop pour s’éclater dans une électronique sombre et habitée. 

Désormais, on ne parlera plus de Manau lorsque l’on évoquera le rap en Bretagne. Rien que pour cela, remercions Christophe Le Menn alias Krismenn. Loin des facilités folkloriques des « auteurs » de la Tribu de Dana, Krismenn vient de réaliser un premier album fascinant, entièrement chanté en langue bretonne, qui explore bien au-delà des frontières du hip-hop pour verser dans une électronique étrange. Une musique aussi atypique que le parcours de son auteur. Jusqu’au collège, pourtant rien de très original dans les goûts musicaux d’un ado qui écoute en boucle Rage Against The Machine. C’est au lycée qu’il se passionne pour les musiques traditionnelles et bien entendu la musique bretonne dont il écoute en boucle les archives sonores. Christophe se lance alors dans le chant a cappella et joue de la guitare dans les fest-noz. Le rap, il ne le rencontrera que bien plus tard, à 23 ans (il en a 36 aujourd’hui), lors d’un voyage au Québec où il rejoint sa copine de l’époque : « C’est là-bas que j’ai entendu des gens rapper en français, ce fut une révélation, cela m’a donné envie d’écrire en breton. » nous explique-t-il au téléphone depuis Callac, en pleine forêt du Centre Bretagne où il réside.

Bien lui en a pris. Tout au long de ‘N om Gustumiñ Deus Deñvalijenn (S’habituer à l’obscurité), on s’aperçoit que le Breton sonne beaucoup mieux que le français lorsqu’il s’agit de dérouler un flow impétueux mais aussi onirique car chez Krismen, rapper dans cette langue est une revendication en soi. « Ce serait exprimer deux fois la même chose que de rapper en breton et de le dire dans les textes. C’est introspectif au niveau des paroles. Ce n’est pas du rap militant. Je me laisse porter par la rime et cela crée des images un peu étranges qui finissent par me parler. Je préfère tenter d’élaborer une oeuvre poétique, et à travers cette création, exprimer que l’on trouve important de parler cette langue. Tous nos grands-parents parlent breton, alors que nos parents ne le connaissent pas. Peu de gens trouvent ça bizarre, alors que si on disait ‘maintenant tous nos enfants vont parler uniquement anglais’, cela soulèverait des protestations. »

Si par son rap et son chant Krismenn nous attire dans des ambiances irréelles, ce n’est pas seulement en raison des sonorités inhabituelles à nos oreilles du breton, c’est aussi parce qu’il a su composer des musiques profondes et belles, dont les climats évoquent à la fois l’étrangeté d’un Sigur Rós (« Liv Mut ») ou la douceur ténébreuse d’un James Blake (« Leusk d’o’r an didrouz »). Pour le journaliste enseveli chaque matin sous une pile de productions musicales interchangeables, c’est un bonheur de tomber sur une telle pépite. Impossible de l’imaginer sortir ailleurs que du cerveau de Krismenn, dont on interprétera les mots de « Hunvreoù Merglet » comme un sensible autoportrait : « Chacun est étrange à sa manière. Il n’y a que ceux qui ont l’esprit tordu qui peuvent tenir le coup. Quand on est malmené de tous côtés, on s’en fout d’être pris pour un paumé. » Précision utile : nous ne nous sommes pas mis au breton, tous les textes sont traduits dans le livret.

Si vous êtes plutôt Spotify : 

‘N om Gustumiñ Deus Deñvalijenn (S’habituer à l’obscurité) (PIAS), sorti le 14 avril.

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