De gauche à droite : Paul R. Wallner et Anna Müller d'HVOB, et Winston Marshall. Crédit photo : Lukas Gansterer.

Le duo deep techno HVOB s’est associé à Winston Marshall de Mumford & Sons, et c’est la meilleure idée de l’année !

Ils sont un duo autrichien auteur de deux superbes albums entre deep tech­no et elec­tron­i­ca, portés par une voix angélique et des nappes hyp­no­tiques. Il est Anglais, l’un des mem­bres du groupe folk-rock Mum­ford & Sons et l’un des rares artistes vivants pou­vant se tar­guer d’être une super­star tout en jouant… Du ban­jo. Bref, l’ex­plosif Win­ston Mar­shall et les dis­crets Anna Müller et Paul R. Wall­ner n’ont pas grand-chose en com­mun. Du moins jusqu’au 24 mars dernier puisque les trois improb­a­bles col­lab­o­ra­teurs ont sor­ti Silk, un court album de sept titres aus­si élec­tron­ique qu’or­ganique, aus­si froid qu’é­mou­vant. Mieux encore : en live, comme pour leur pas­sage au Nou­veau Casi­no de Paris il y a quelques semaines, le pro­jet revêt car­ré­ment une dimen­sion mys­tique. Il n’y a qu’à écouter “The Blame Game”, pre­mier extrait de l’al­bum et tout pre­mier morceau com­posé à trois, un bijou :

Si vous êtes plus Spotify : 

Un très bon avant-goût (même si le Nou­veau Casi­no était un peu trop blindé pour pou­voir en prof­iter sere­ine­ment) avant que les HVOB enta­ment leur tournée des fes­ti­vals. Anna et Paul seront en effet à Sonar le jeu­di 15 juin, mais aus­si au chou­ette fes­ti­val Par­adise City le same­di 24, partageant l’af­fiche avec Ago­ria, &Me, Acid Pauli ou John Tal­abot. En amuse-bouche en atten­dant ces deux dates, on est allé dis­cuter avec Anna Müller, Win­ston Mar­shall et Paul R. Wallner.

Com­ment votre col­lab­o­ra­tion est-elle née ? 

Win­ston Mar­shall : J’é­tais en train de me per­dre sur Youtube à écouter des morceaux au hasard. Et je suis tombé sur “Azrael” d’HVOB (sin­gle extrait de l’al­bum Tri­a­log sor­ti en 2015, ndlr.). Ça me plai­sait beau­coup, et puis au bout de qua­tre min­utes j’ai enten­du cette voix d’ange, et j’ai arrêté tout ce que j’é­tais en train de faire ! A l’époque, je com­mençais tou­jours juste à m’in­téress­er à la musique élec­tron­ique, et j’ai été frap­pé de voir à quel point il y avait une âme dans leur musique – depuis j’ai bien sûr décou­vert d’autres artistes qui en sont égale­ment capa­bles, mais avec “Azrael” c’é­tait une pre­mière fois pour moi. Je suis donc tombé sur cette dance music chan­tée avec le cœur, et je leur ai envoyé un email pour leur deman­der s’ils voulaient qu’on tra­vaille ensem­ble. Et ils m’ont répon­du non. “Nein nein nein” ! (rires)

Anna Müller : En fait, on n’y croy­ait pas, on ne pen­sait pas que Win­ston Mar­shall des Mum­ford & Sons allait nous envoy­er un email… On s’est dit que c’é­tait un fake ! Bon après plusieurs échanges on s’est ren­du à l’év­i­dence : c’é­tait bien lui.

Win­ston : J’ai fini par leur envoy­er une chan­son, plutôt longue d’ailleurs. Ils m’ont répon­du “Das ist gut” — “c’est super”. Et puis deux mois après ils me l’ont ren­voyée, mais ils avaient tout coupé, en ne gar­dant qu’un tout petit bout du début ! “Night gut, night gut !” — “c’est pas bon !”

Anna : C’est devenu “The Blame Game”, le pre­mier titre de l’album.

Win­ston : Ou en tout cas son intro (rires). Car vous avez pris le morceau, sélec­tion­né cette petite par­tie en vous dis­ant : ça c’est bon, le reste c’est de la merde ! Et c’est exacte­ment ce qui fonc­tionne dans notre col­lab­o­ra­tion. Si un artiste col­la­bore avec quelqu’un qu’il admire au point d’être trop impres­sion­né, il ne pour­ra pas lui dire non. Et s’il y a bien un domaine où ces deux-là sont super doués, c’est de dire “no”, “night gut”, “mau­vais” (Win­ston, en bon poly­glotte, le dit dans les trois langues), que ce soit en stu­dio ou en pré­parant leur live show. Je trou­ve que vous êtes bons pour ça les gars, vous savez ce que vous voulez !

Anna : Mais cela dit, quand on a reçu ce pre­mier morceau j’ai dû l’é­couter des dizaines de fois car je le trou­vais génial, et c’est là que je suis tombée amoureuse de ta voix. Et puis j’ai coupé des par­ties, gardées d’autres, et tu es venu à Vienne pen­dant deux ou trois jours et nous avons fini “The Blame Game”. C’est le début de l’histoire !

Tu fais ça sou­vent, de te per­dre sur inter­net, trou­ver un morceau cool et envoy­er des emails pour faire un featuring ?

Win­ston : Eh bien, je me perds très sou­vent sur Youtube, j’y tombe dans des vrais trous noirs. Comme tout le monde j’imag­ine, c’est un gros prob­lème chez les mil­lenials ! Cela dit, je crois que je n’avais jamais envoyé de mail comme ça avant. Mais je compte bien le refaire si l’oc­ca­sion se présente. Le monde des musi­ciens en Angleterre est assez com­péti­tif, la pres­sion des charts peut être assez forte, et ce n’est pas très sain ni nour­ris­sant artis­tique­ment, à la Blur ver­sus Oasis. Une col­lab­o­ra­tion comme celle-là me per­met de dépass­er ça.

Le grand enjeu dans ce genre de col­lab­o­ra­tion, où les back­grounds de cha­cun sont très dif­férents, c’est de réus­sir à réelle­ment fusion­ner les univers. Pas faire un morceau où on entend dis­tincte­ment HVOB, puis Win­ston Mar­shall. Est-ce que ça a été un chal­lenge pour vous ? 

Anna : On n’y a pas réfléchi, on a juste fait des démos en stu­dio, très naturellement.

Paul R. Wall­ner : Je pense que le fait de ne pas trop prévoir ou faire de plans est plutôt bon pour la créativité.

Anna : On a com­posé, enreg­istré et mixé l’al­bum en un seul temps. C’é­tait intense, et très rapide !

Win­ston : Je suis venu à Vienne pour trois ses­sions de trois-quatre jours. Entre temps, on s’en­voy­ait des démos par mail. L’a­van­tage de l’elec­tron­i­ca, c’est qu’on peut faire des morceaux de 6–7 min­utes… Donc pas besoin d’avoir beau­coup de chan­sons dif­férentes dans l’album !

D’ailleurs, l’al­bum est plutôt court, il fait sept titres et ne dure “que” 34 minutes…

Paul : Oui, je n’aime pas les albums trop longs. Par­fois, les gens rajoutent des titres à leur album juste pour qu’il fasse le bon nom­bre de pistes… Même si le morceau ne sert à rien. Per­son­nelle­ment, je m’en fiche du nom­bre de titre à la track­list, ce qui compte ce sont les chan­sons en elles-mêmes.

Anna : Au départ, on ne voulait faire qu’un EP avec un ou deux titres. Mais on s’est telle­ment amusé avec Win­ston que c’est devenu un album ! On s’est arrêté à sept morceaux car on le sen­tait comme ça. Et comme il n’y a pas de mot pour l’entre-deux entre EP et album…

Win­ston : Mais de toute façon, d’un point de vue créatif, il s’ag­it d’un album pour moi. Il cou­vre une palette émo­tion­nelle large et var­iée, et je trou­ve qu’il racon­te une his­toire, du pre­mier morceau au dernier.

Crédit : Lukas Gansterer

HVOB est un pro­jet large­ment plébisc­ité pour ses live-show. A quoi s’at­ten­dre quand c’est la pre­mière fois qu’on vient vous voir ?

Anna : on essaye de faire pass­er des émo­tions par la musique bien sûr, mais aus­si par les visuels et les lumières…

Win­ston : Oui, enfin ce qu’elle ne dit pas, c’est à quel point ces deux-là tra­vail­lent comme des fous sur leur live. Ils cumu­lent 10 jobs ! Toutes les lumières sont déclenchées par Paul, directe­ment depuis la scène, alors qu’il est en train de jouer de la musique en même temps. Il va d’ailleurs fal­loir que tu com­mences à déléguer une peu plus ! (rires) Ils font très atten­tion à tous les détails, à chaque sec­on­des de chaque chan­son ou visuel. Je n’é­tais pas tant habitué à ça, je suis plus brut de décof­frage. Tout est très sophis­tiqué chez HVOB.

Paul : Et à l’in­verse, Win­ston nous a appris à être un peu plus déten­dus et spon­tanés. On s’équilibre !

HVOB veut dire “Her Voice Over Boys”. Et en l’oc­cur­rence tu ne fais pas que chanter sur ce pro­jet, Anne : tu écris, com­pos­es, pro­duit, mixe… Tout est fait à deux. Com­ment le prends-tu quand cer­tains oublient com­plète­ment que tu n’es pas unique­ment chanteuse sur ce pro­jet, mais aus­si co-productrice de tous les morceaux ?

Anna : J’y suis habituée, ça arrive très sou­vent : je pense que 80% des gens qui con­nais­sent HVOB pensent que je ne m’oc­cupe que du chant dans le pro­jet. Peu m’im­porte. Au début, c’é­tait impor­tant pour moi de prou­ver à toute le monde que je n’é­tais pas que la chanteuse. Aujour­d’hui, je sais très bien que je suis égale­ment com­positrice et pro­duc­trice, et tant pis si ça prend des années pour que les gens s’en ren­dent compte, je ne suis plus autant attachée au sujet. C’est bien que des artistes comme Björk ou Grimes s’ex­pri­ment sur ce thème-là, en pub­liant des tri­bunes sur les réseaux soci­aux notam­ment, mais je pense que ce sera long pour que quoique ce soit change, c’est bien trop encré dans la tête des gens. La musique élec­tron­ique n’est pas vieille, et quand on regarde le rock ça a mis des décen­nies avant que les femmes soient accep­tées comme égales aux hommes (et encore…). Donc on verra !

Anna et Paul, avant même cette col­lab­o­ra­tion avec Win­ston, beau­coup vous demandaient quels étaient les artistes avec lesquels vous rêviez de tra­vailler. Et vous par­liez de Radio­head, de The Nation­als… Mais pas néces­saire­ment d’artistes pure­ment élec­tron­iques. Win­ston n’est pas non plus issu de cette sphère. Plutôt éton­nant quand on écoute votre musique, non ? 

Anna : J’ai gran­di en écoutant Nir­vana et Radio­head. J’ai com­mencé à sor­tir au début de ma ving­taine et c’est là que j’ai décou­vert la musique élec­tron­ique. J’ai mélangé tout ça pour trou­ver mon style, mais mes racines sont plus indie. Paul, lui, avait le même back­ground indie mais déjà une cul­ture élec­tron­ique — c’est plutôt lui qui a ramené cet aspect-là dans le pro­jet. Je n’é­tais absol­u­ment pas à fond dans la techno.

Et aujour­d’hui ?

Anna : Même aujour­d’hui. Ça ne m’in­téresse pas vrai­ment d’é­couter des sets tech­no ou hardtech­no de trois heures sur Sound­Cloud. J’aime bien quand je sors, mais ce n’est pas la musique que j’i­rais écouter quand je suis en avion ou à la mai­son… Ou jamais en fait !

Paul : Moi j’adore la techno !

Quel genre de techno ?

Paul : Quand ça va vite et que ça tape fort (rires)

Anna : Je me sou­viens d’une des pre­mières fois où je suis allée au Berghain, il y avait “Gef­fen” par Barnt qui pas­sait – mon morceau tech­no préféré en tech­no. Je n’ou­blierai jamais, c’é­tait génial. Là j’é­tais à fond dans la techno !

Win­ston : La dernière fois que je suis allé au Berghain je me suis fait refoulé trois fois. Dans la même soirée. J’é­tais sur liste, mais “nein nein nein” ! On est ren­tré bre­douille à 6 heures du matin. (rires) 

Win­ston, le monde de la musique élec­tron­ique est plutôt nou­veau pour toi, tu l’as décou­vert en par­tie en tra­vail­lant sur ce projet… 

Win­ston : Tout à fait ! J’aime en écouter depuis quelques temps et j’aime sor­tir. Mais je n’avais jamais joué dans un club avant. Et j’é­tais per­suadé que la musique élec­tron­ique et les clubs étaient tou­jours liés à la drogue. Mais en fait pas tant que ça ! Les gens dansent, c’est tout. Ce soir, on joue à 21 heures, et les gens vien­nent pour danser à cette heure-là. J’ai plutôt l’habi­tude de don­ner des concerts-spectacles avec Mum­fort & Sons, le pub­lic vient écouter les morceaux. Même dans le heavy-metal ils dansent plus que dans le style musi­cal auquel je suis habitué. Avec la musique élec­tron­ique, ils dansent tout ce qu’ils peu­vent. Avant cette col­lab­o­ra­tion, je n’ex­pli­quais ça que par la drogue… C’est non seule­ment pas sys­té­ma­tique mais c’est aus­si beau­coup plus pro­fond que ça.

Est-ce que ça t’a don­né envie de faire un peu plus danser les gens dans tes autres projets ?

Win­ston : Oui, complètement !

Anna : Peut-être qu’on pro­duira le prochain album de Mum­ford & Sons (rires)