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21 avril 2016

Les nouveaux labels techno français : l’axe Paris-Lyon-Berlin

par rédaction Tsugi

Extrait du numéro 91 de Tsugi (avril 2016)

Loin des line-ups de festivals, de jeunes structures françaises s’imposent dans les souterrains cosmopolites de l’électro. Trois portraits de labels nés avec peu, mais bourrés de visions. 

Le Parisien : Collapsing Market 

À sa création en 2014, Collapsing Market avait comme seule projet de sortir sur cassette d’ambitieux mixes signés par une poignée d’artistes à l’approche distincte : d’abord quelques DJs anglais hors radar comme Joe Ellis & Leif de Free Rotation (mini-festival gallois sur invitation), puis récemment les bien connus Parisiens Sidney & Suleiman, qui ont posé une suite cinématographique de tracks obscurs. “Il n’y a pas un seul disque qu’ils jouent qui ne nous plaise pas, ou presque”, confient à leur sujet Cyrus Goberville et Louis Vial (22 et 24 ans), initiateurs de ce projet qu’ils considèrent depuis peu comme un label à part entière. “À l’origine, on voulait juste mettre en valeur des DJs qu’on appréciait, et sortir de petits objets, non pas par fétichisme, mais pour avoir plus tard une trace de quelque chose qu’on avait fait tous les deux. Mais on s’est vite dit qu’on voulait devenir un vrai label, on pensait qu’on avait quelque chose à apporter.” 

Le premier maxi sur Collapsing Market est un travail délicat d’électro-techno elliptique, signé Eszaid, un projet de Louis, et le suivant sera un 45 tours plus caverneux de Buttechno, brillant producteur de la banlieue moscovite. Les deux s’inscrivent déjà dans cette ligne “sensible mais pas mélodramatique, expressive mais pas criarde, subtile mais pas chiante, punk mais pas bordélique”, suivie par ce duo parisien qui se montre volontiers idéaliste. “La musique électronique comme on l’aime a connu un certain âge d’or à l’époque où un mec talentueux pouvait espérer vendre plusieurs milliers de copies même en faisant des morceaux abstraits de huit minutes, quand la musique ne faisait pas partie de ces marchés effondrés. L’esthétique que l’on veut véhiculer est celle d’un monde technocratisé où tout semble fini mais où l’on veut tous encore y croire. On insuffle un peu de romantisme dans l’imagerie industrielle et les symboles monétaires.” Et ce sont bien des dollars, des yens et des euros qui pivotent sur le site très visuel du label, loin de l’austérité de rigueur dans l’underground électronique. 

À écouter : Toutes les mixtapes sont d’étonnants voyages précieusement concoctés, et le maxi d’Eszaid promet beaucoup.
À suivre : une série de 45 tours qui commence avec Buttechno, puis Norin, le chanteur du groupe synth-pop danois lust For Youth, puis encore Michel Isorinne, de l’étrange duo analog-expé DARFDHS. 

Le Lyonnais : Brothers From Different Mothers 

“Lycée, fac, voyages, cuisine, chômage, rhum et mon bébé Brothers From Different Mothers.” Ainsi se résume la vie de Judaah, qui a monté l’entité la plus sexy qu’on ait récemment connue dans l’électro des bas-fonds. Né en 2014 de l’ébullition lyonnaise, Brothers From Different Mothers lâche tous les deux/trois mois une petite bombe de nature différente qui possède toujours ce petit goût de rave hédoniste un brin rétro. À l’image des collages type fanzines qui ornent leurs pochettes, les maxis du label sont des shakers modernes et sautent d’un style à l’autre au sein même de tracks qui évitent les formats clubs à rallonge.

Il y a le jeu de flipper post-jungle de J-Zbel, l’ambient-hip-hop de Labat, les breakbeats de Camtar ou l’électro-pop de Basses Terres, les grandes esplanades italo-disco/breakbeat de Pilotwings, et, surtout, des intitulés impayables comme “Les Invasions Babars”, “Nem de porc”, ou bien sûr “31 septembre (On va tout niker)”. Ces artistes aux noms inconnus sont pour la plupart locaux, car, comme l’explique Judaah, “ça me semble important de regarder autour de soi avant d’aller chercher des mecs je ne sais où, et de mettre en avant la ville où tu crèches. Mais quand je reçois des trucs qui défoncent, je prends, que ce soit français ou étranger”. par bouche-à-oreille et grâce aux conseils d’Antinote ou de soutiens locaux, BDFM s’est posé comme la référence un peu chaude du moment, avec des disques qui prennent de la valeur sur Discogs, et des retours positifs de l’étranger. “L’engouement assez rapide nous a surpris les gars et moi, et ça fait bien plaisir. Mais ça aurait pris plus de temps sans les coups de main.” Le label s’illustre aussi dans les soirées Straight Outta Babylone (actuellement sur pause) dans un petit club gay lyonnais, dont les flyers assez lubriques ne laissent pas beaucoup de place à l’imagination. 

À écouter : Priorité aux prods de J-Zbel, bourrées de surprises, et au premier maxi de pilotwings, assez typique de l’esprit du label.
À voir : Pilotwings et J-Zbel à Nuits sonores les 5 et 6 mai à Lyon, et J-Zbel à Rennes le 7 mai. 

Le Berlinois : Unknown Precept 

Quand on est étudiant en graphisme dans sa petite vingtaine à Paris, réunir sur une compilation des artistes déjà établis ne coule pas de source. Jules peter l’a pourtant réalisé, et The Black Ideal, sortie en 2013, demeure un instantané assez réussi de ce moment où l’indus s’est abattu sur le dancefloor, grâce à des tracks exclusifs d’Ancient Methods ou Shifted. Relocalisé depuis à Berlin pour raisons “personnelles et financières”, Unknown Precept a développé sa propre identité et son roster d’artistes – même si cela circule beaucoup de label en label dans la techno expérimentale. Depuis s’enchaînent des sorties aux pochettes quasi administratives, qui cachent des tracks d’indus-funk mongoloïde, signés, parmi les mieux identifiés, Maoupa Mazzocchetti, mini-coqueluche de l’underground, ou Profligate, Américain bien barré.

Pour s’amuser des étiquettes, le Bandcamp du label annonce proposer de la “grotesk techno”, joli terme qui regroupe assez bien tous ces beats détraqués, mais aussi petite déclaration d’intention. “J’ai quitté un Paris à mes yeux trop fragmenté, raconte Jules, je n’y ai jamais trouvé mon compte musicalement, même si beaucoup de gens m’ont aidé (In Paradisum et Dement3d par exemple). Je trouve la scène très fermée et un brin prétentieuse, peut-être trop sûre d’elle. Selon moi, il est avant tout question de s’amuser avec de la musique, qu’elle soit sombre, bizarre ou stupide. ‘Grotesk techno’, c’est un clin d’œil à cette gravité qui pèse sur le milieu électronique, tous styles confondus. Trop de gens se prennent au sérieux tout en produisant de la musique dans leur chambre. Je trouve le contraste ridicule, et Unknown Precept me permet de jouer avec cette notion de grotesque, d’absurde.” Une gentille leçon d’humour et d’humilité qui profitera peut-être à certains. 

À écouter : Le Failed Devotee EP de Nick Klein et le Conscious Walk EP de S. English sont de belles tranches de furie mécanique pour dancefloors en pente.
À suivre : un EP d’Air LQD et une série de mini-compilations.

(Thomas Corlin)

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