đșđ Ma premiĂšre fois en club : les artistes racontent (ep. 2)
AujourÂdâhui, les clubs de France rouÂvrent aprĂšs une longue, longue pause. Parce quâon va enfin pouÂvoir se crĂ©er de nouÂveaux souÂvenirs dans ces petites ou grandes boites somÂbres, câest ausÂsi lâocÂcaÂsion de se raconÂter ceux quâon a dĂ©jĂ . ParÂmi ces souÂvenirs, il y en a un plus mĂ©morable que les autres, câest celui de sa preÂmiĂšre fois. Quâelle soit au mythique Pulp pour Rag de Barbi(e)turix ou au CenÂtauÂre autour du bassin dâArÂcaÂchon pour la chroniqueuse de QuoÂtiÂdiÂen Ambre Chalumeau, la preÂmiĂšre fois est touÂjours une sacrĂ©e hisÂtoire, quâartistes ou perÂsonÂnalÂitĂ©s ont bien voulu nous raconter.
Alice et moi, artiste dâĂ©lectro-pop française : âJe suis arrivĂ©e rĂ©solue, persuadĂ©e que cette fois-ci, jâallais enfin pĂ©choâ
CâĂ©tait aux PlanchÂes Ă Paris. Ă lâĂ©poque, ils faiÂsaient des soirĂ©es qui finisÂsaient Ă minuÂit pour les moins de 18 ans sans alcool, avec les tubes du moment. JâĂ©tais venue avec mes copines et je nâavais jamais embrassĂ© de mec de ma vie. Je devais avoir 15 ou 16 ans et jâen avais vraiÂment marre de nâavoir jamais pĂ©cho alors que mes copines lâavaient dĂ©jĂ toutes fait. Donc je suis arrivĂ©e rĂ©solue, perÂsuadĂ©e que cette fois-ci, jâallais enfin pĂ©cho. On est entrĂ© dans la boite, je nâarrivais pas trop Ă trouÂver un mec, jâavais peur Ă lâidĂ©e dâembrasser quelquâun, donc je suis restĂ©e danser quaÂsiÂment toute la soirĂ©e avec mes copines. Quand jây repense, câĂ©tait Ă©norme cette soirĂ©e : il y avait une grosse ambiance alors quâil nâĂ©Âtait mĂȘme pas minuit.
La soirĂ©e bat son plein et dâun coup jâai une rĂ©vĂ©laÂtion, parce quâil y avait une annonce qui disÂait que ça allait bienÂtĂŽt ferÂmer. Alors en plein milieu du club je me dis : « Il faut que tu fassÂes quelque chose, câest pas posÂsiÂble, tu vas te retournÂer et le preÂmier mec que tu vois, tu lâembrasses, peu importe qui câest ». Et câest ce que jâai fait : je me suis retournĂ©e, on Ă©tait dans la pĂ©nomÂbre donc je ne lâai pas bien vu mais jâai embrassĂ© ce mec derÂriĂšre moi⊠câĂ©tait horÂriÂble (rires). Il mâa fait le coup typÂique de la machine Ă laver avec la langue Ă fond, mais bon, peut-ĂȘtre que jây Ă©tais pour quelque chose. CâĂ©tait vraiÂment pas ouf, mais en plus il y a eu un stroÂboÂscope qui lâa Ă©clairĂ© juste aprĂšs, et jâai capÂtĂ© quâil nâĂ©tait pas magÂnifique du tout. CâĂ©tait un peu un beauf, fausseÂment bling bling (parce quâon Ă©tait jeunes) avec la fausse monÂtre et la chaĂźne en or. On sâest embrassĂ© et je suis reparÂtie tout de suite avec mes copines. Jâai fui comme jamais. Câest comme ça que jâai embrassĂ© un mec pour la preÂmiĂšre fois, pour ma preÂmiĂšre fois en boĂźte⊠Pas gĂ©nial mais jâĂ©tais quand mĂȘme conÂtente dâavoir rĂ©usÂsi. Je ne lâai jamais revu et heureuseÂment, câest ça les ambiances de boites : avec lâanonymat, tu fais ce que tu veux et perÂsonÂne ne revient tâembĂȘter.
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Ambre Chalumeau, chroniqueuse Ă Quotidien : âJâĂ©tais Ă peu prĂšs autant dans mon Ă©lĂ©ment quâun daron Ă un concert de One Directionâ
Accrochez-vous : ma preÂmiĂšre boĂźte sâappelait Le CenÂtauÂre. Si si. Un lieu de dĂ©bauche souterÂrain, cachĂ© entre le disÂtribÂuÂteur LCI et le salon de coifÂfure dâune petite staÂtion balÂnĂ©aire. Le bled avait trois boĂźtes, mais le CenÂtauÂre Ă©tait la seule oĂč on pouÂvait potenÂtielleÂment renÂtrÂer en Ă©tant mineurs ; et mes potes, qui avaient passĂ© lâĂ©tĂ© Ă netÂworkÂer avec la dĂ©terÂmiÂnaÂtion dâun canÂdiÂdat aux Ă©lecÂtions rĂ©gionales, sâĂ©taient liĂ©s avec des habituĂ©s qui les avaient prĂ©senÂtĂ©s au videur. NâempĂȘche que dans la queue je stresÂsais comme une espagÂnol LV2 sur le point de passÂer son oral dâallemand. Jâavais 15 ans. On sâest pointĂ©s devant le videur patÂiÂbuÂlaire, dans une forÂmaÂtion stratĂ©gique directeÂment inspirĂ©e de lâArt de la guerre de Sun Tzu chapitre 4 : une habituĂ©e Ă lâavant, les bonÂnassÂes Ă sa suite, les mecs derÂriĂšre, et moi, brave bouboule intelÂlo en plein Ăąge ingrat, cachĂ©e au milieu derÂriĂšre mes cheveux. Ă ce jour, je ne sais touÂjours pas me tenir corÂrecteÂment devant un videur, mais lĂ mirÂaÂcle : le mec mâignore, et on rentre.
Pour accĂ©der au CenÂtauÂre il falÂlait descenÂdre de longs escaliers â ce qui laisse en thĂ©orie assez de temps pour changÂer dâavis et renÂtrÂer chez soi. Et pourÂtant⊠En bas, le patron avait instalÂlĂ© des banÂquettes rouges dont, pour sauver ma vie ou gagÂnÂer QuesÂtion pour un chamÂpiÂon, je ne saurais pas vous dire la matiĂšre, et avait colÂlĂ© aux murs de lâaluminium qui renÂvoyÂait la lumiĂšre des proÂjecteurs rosÂes. Tout Ă©tait ultra kitsch, mais dans la nuit ça preÂnait une cerÂtaine magie fragÂile, un peu comme les dĂ©cors de fĂȘte foraine. Je dĂ©tesÂtais la musique qui pasÂsait (câĂ©tait lâĂ©tĂ© 2012, et comme la mĂ©moire a tenÂdance Ă Ă©vacÂuer les souÂvenirs douloureux, vous avez oubliĂ© que câĂ©tait lâĂ©tĂ© de « Call Me Maybe »), mais le DJ, un quadragĂ©Ânaire juchĂ© dans un booth triste, avait Ă mes yeux inexÂpĂ©riÂmenÂtĂ©s des allures presque proÂfesÂsionÂnelles, une aura amĂ©riÂcaine low cost, Ă tournÂer ses bouÂtons les sourÂcils fronÂcĂ©s comme sâil faiÂsait une opĂ©raÂtion Ă cĆur ouvert.
Mais sitĂŽt entrĂ©e, je me suis senÂtie mal Ă lâaise. Jâai dĂ©couÂvert la cruÂelle pyraÂmide de valeurs de la boĂźte de nuit : tout se jouait sur le physique, la perÂsonÂnalÂitĂ© nâavait rien Ă faire lĂ -dedans, puisque le volÂume sonore perÂmeÂtÂtait seuleÂment dâavoir entre chaque morceau des conÂverÂsaÂtions de guichet dâadministration : PrĂ©nom ? Ăge ? Lieu de naisÂsance ? NorÂmaleÂment les boĂźtes câest fait pour oubliÂer qui on est ; moi ça me rapÂpelait au conÂtraire exacteÂment ce que jâĂ©tais â et surtout ce que je nâĂ©tais pas. MoralÂitĂ©, jâai payĂ© une forÂtune un, deux, trois vodÂka pommes (mettez-moi un vodÂka pomÂmiÂer, quâon en finisse), et jâai rĂ©usÂsi Ă tenir quelques heures, Ă peu prĂšs autant dans mon Ă©lĂ©Âment quâun daron Ă un conÂcert de One direcÂtion. Bref, pas une rĂ©usÂsite. NâempĂȘche quâil y a quelques annĂ©es, le CenÂtauÂre a ferÂmĂ©. Ăa avait fait la une du jourÂnal local, et vous savez quoi : mĂȘme moi, ça mâa fait bizarre.
LISA, DJ rĂ©sidente du 1O1 Ă Clermont-Ferrand : âJâai lâimpression dâĂȘtre passĂ©e dans un monde parallĂšleâ
Jâai 15 ans, je fais le mur rĂ©guliĂšreÂment et je modÂiÂfie ma carte dâidentitĂ© sur PhoÂtoÂshop pour pouÂvoir acheter des clopes et de lâalcool au cas oĂč on me demande. Ce soir-lĂ , on part avec une amie, direcÂtion le centre-ville de Clermont-Ferrand, et on arrive dans un before, avec des gens plus ĂągĂ©s. Tout est magÂique, mĂȘme ce before qui mainÂtenant me paraĂźÂtrait banal. Mais pour une fois, je me sens vraiÂment dans mon Ă©lĂ©Âment, la musique me plaĂźt, lâambiance ausÂsi, et je ne suis pas en train de zonÂer en Ă©coutant du son sur une petite enceinte de poche dans la rue, mais bien sur des monÂiÂtorÂing, dans un appart avec des inconÂnus oĂč la techÂno dĂ©file. Le temps passe trĂšs vite, on est dans un Ă©tat pitoyÂable mais on se sent vraiÂment bien. Et lĂ , quelquâun lĂąche : « Allez, on bouge au 1O1 ! » Jâen ai entenÂdu parÂler plein de fois mais je nâai jamais tenÂtĂ© dây aller, je suis trop jeune. Mais tout le monde se chauffe instanÂtaÂnĂ©Âment et on dĂ©cide de suivÂre le mouÂveÂment. Quâest-ce quâon a Ă perÂdre ? Le club est Ă cinq minÂutes. Devant, au loin, on aperçoit dĂ©jĂ quelques clubÂbers dĂ©chaĂźnĂ©s en pause clope. On sâapproche. Ă chaque fois que la porte dâentrĂ©e sâouvre, on entend une dĂ©ferÂlante de kicks qui raisonÂnent comme une aura autour de cette devanÂture noire en forme de temÂple. On arrive devant les videurs, tous les autres sont des habituĂ©s mais ma pote et moi, on nâest pas trop sereÂines. Je tiens quand mĂȘme mon BlackÂberÂry avec ma fausse carte dâidentitĂ© en phoÂto dessus, ferÂmeÂment dans ma main, prĂȘte Ă dĂ©gainÂer car je sais quâil ne faut pas avoir lâair de douter devant eux. Mais heureuseÂment, ils nây voient que du feu. Je range mon tĂ©lĂ©Âphone et je descends dans cette cave mysÂtique, sans savoir ce qui mâattend.
On passe le SAS et lĂ , jâai lâimpression de passÂer dans un monde parÂalÂlĂšle. On arrive en plein peakÂtime (ce que je ne savais pas Ă lâĂ©poque), câest la folie. Le club est blindĂ©, les stroÂboÂscopes sont en furie. Je crois ĂȘtre restĂ©e Ă©bahie un bon moment. En tout cas, la vague de clubÂbers mâamĂšne rapiÂdeÂment jusquâau danceÂfloor. DerÂriĂšre les platines, le rĂ©siÂdent Syrob. Je ne me rapÂpelle plus exacteÂment de la musique mais je me souÂviens de la vibe incroyÂable de ce moment, qui sâest transÂforÂmĂ© en heures car je nâai plus dĂ©colÂlĂ© du danceÂfloor jusquâĂ la fin, comme portĂ©e par les kicks, me faisant senÂtir conÂfortÂableÂment invisÂiÂble, flotÂtant au-dessus de tout. Je suis renÂtrĂ©e chez moi, dĂ©chirĂ©e, fatiguĂ©e, et en mĂȘme temps pleine dâadrĂ©naline. Je passe silenÂcieuseÂment par le garage, me glisse dans mon lit et me dis que jâai envie de ressenÂtir ça pour touÂjours, car Ă ce moment-lĂ , je me suis senÂtie vraiÂment bien. Aujourdâhui, je traÂvaille dans ce club depuis mainÂtenant trois ans, notamÂment en tant que DJ, et la magie ne sâest jamais estomÂpĂ©e jusquâĂ la pandĂ©mie il y a un an, qui a renÂdu le 1O1 silenÂcieux, endorÂmi, mais pas mort. Et nous avons besoin de le rĂ©veiller.
Charles Di Falco (Positive Education Festival, Fils de Jacob) : âĂa devenait une obsessionâ
Le club et moi, câest un peu plus quâune preÂmiĂšre fois. Le 4 novemÂbre 1989, mes parÂents ont ouvert leur preÂmier club, Ă envÂiÂron 30 minÂutes de Saint-Ătienne et 45 minÂutes de Lyon. La toute preÂmiĂšre fois que jâai vu un club, donc, câĂ©tait penÂdant sa conÂstrucÂtion. Je nâimaginais pas Ă ce moment-lĂ que jây passerai la pluÂpart de mes week-ends, mais la tenÂsion Ă©tait lĂ ; chaque venÂdreÂdi soir, je me senÂtais abanÂdonÂnĂ© par ma tribu qui parÂtait en boĂźte sans moi â jâĂ©Âtais trop jeune â et jâai attenÂdu deux ans ce jour oĂč je pourÂrais y aller avec eux. Ăa deveÂnait une obsesÂsion. Mon grand frĂšre et ses potes faiÂsaient ma culÂture musiÂcale et jâĂ©coutais les anecÂdotes du week-end. Jâavais le son mais imposÂsiÂble de metÂtre une image dessus. Puis, Ă force de crises Ă rĂ©pĂ©tiÂtion, mes parÂents mâont enfin accordĂ© le 31 dĂ©cemÂbre 1991. Le club ressemÂblait Ă un temÂple au milieu de la camÂpagne, une allĂ©e de colonne rouge avec un triÂanÂgle posĂ© dessus. ArrivĂ© sur le parkÂing, de nuit, tout avait changĂ©. Jâentendais les bassÂes faire tremÂbler ce que je ne voyÂais plus comme ma deuxÂiĂšme maiÂson, mais comme un monÂuÂment : je ne reconÂnaisÂsais plus les lieux, jâhalÂluÂciÂnais. ArrivĂ© Ă lâentrĂ©e, câĂ©tait comme une nouÂvelle preÂmiĂšre fois, lâinterrupteur que je nâavais pas trouÂvĂ©. La porte sâouvre et jâĂ©tais dĂ©jĂ un habituĂ©. Tout le monde mâembrasse et il y avait pas moins de 800 ou 1 000 perÂsonÂnes dans un endroit que jâavais idenÂtiÂfiĂ© comme ma âchambre-salonâ. Moi qui adore quand on a des invitĂ©s, jâĂ©tais refait.
Je traÂverse ce hall de mĂ©tal et de pailÂlette sur fond noir, un mĂ©lange de parÂfum inouÂbliÂable ; tout le monde est dans le mĂȘme Ă©tat, prĂ©ÂparĂ© pour vivre un moment incroyÂable. On ne sâentendait pas crier, câĂ©tait fou. Depuis le bord du club, avant de sâenfoncer dans la salle, on ne voyÂait rien de plus que de la fumĂ©e, des lumiĂšres noires sur les murs, des flashs et des rayons de lumiĂšre. Jâai le souÂvenir quâil y avait plein de gens en salopette, des gants blancs, cerÂtains faiÂsaient des pas de danse comme dans les clips. Il y en avait avec des sucettes de bĂ©bĂ© ausÂsi⊠CâĂ©tait une boom de grands enfants. Jâai danÂsĂ© toute la nuit et jây ai davanÂtage dĂ©couÂvert lâambiance que la musique. CâĂ©tait lâannĂ©e de âMakinâ HapÂpyâ par CrysÂtal Waters ou dâ âEveryÂbody in the Placeâ par The ProdiÂgy, et pas mal de titres quâon pouÂvait facileÂment Ă©couter Ă la radio. JâĂ©tais un gamin hyper timide, jâai demandĂ© quâun seul titre au DJ ce soir-lĂ . CâĂ©tait le dĂ©but dâune longue et inconÂdiÂtionÂnelle hisÂtoire dâamour entre la musique, moi, et la comÂmuÂnion. Avec mes cousins, on est renÂtrĂ©s une fois le jour levĂ©, avec le senÂtiÂment quâon avait vĂ©cu quelque chose dâinexplicable, jusquâĂ sâendormir tous ensemÂble avec un fond de musique avant de se faire une bonne journĂ©e console.
Rag (Barbi(e)turix) : âArriver dans le club et voir toutes ces filles, câĂ©tait comme une libĂ©rationâ
Je devais avoir 18 ou 19 ans quand on est allĂ© au Pulp. CâĂ©tait une boite lesÂbiÂenne [ferÂmĂ©e en 2007, ndr] qui Ă©tait sur les Grands BouleÂvards. Ă cette Ă©poque, jâĂ©tais au lycĂ©e et je dĂ©couÂvrais mon homoÂsexÂuÂalÂitĂ©, ce qui nâest pas forÂcĂ©Âment Ă©viÂdent quand tu nâas aucun repĂšre de ce que sont ces senÂsaÂtions et ces senÂtiÂments. MainÂtenant jâai 43 ans, et Ă lâĂ©poque il nây avait pas de rĂ©seaux sociÂaux, donc câĂ©tait plus difÂfiÂcile. Une amie Ă moi, dont la grande sĆur Ă©tait lesÂbiÂenne, nous a dit : « Viens on va dans une boite super qui sâappelle le Pulp », donc on est allĂ© lĂ -bas, câĂ©tait le soir de NoĂ«l, le 25 dĂ©cemÂbre. Avec mes copines du lycĂ©e, on vivait en banÂlieue parisiÂenne et il falÂlait sâorganiser, venir en voiture, prĂ©voir le temps dây aller et dây revenir. Une fois sur place, on est donc restĂ© toute la nuit. Quand on est arrivĂ©, il nây avait pas grand monde, mais câĂ©tait pour moi comme un nouÂveau monde que je dĂ©couvrais.
Avec le recul, je revois des choses dont je nâavais pas conÂscience Ă lâĂ©poque : par exemÂple une queue aux toiÂlettes avec des gens qui renÂtraient par deux ou trois dans les cabÂines, mais moi je ne comÂpreÂnais pas pourquoi ils avaient besoin dây aller Ă plusieurs. Quand jây repense, Ă ma naĂŻvetĂ© ausÂsi, jâen rigole un peu. Pareil pour lâalcool ou le comÂporteÂment des gens, en assisÂtant Ă des scĂšnes qui me paraisÂsaient incroyÂables comme deux filles qui se roulent des pelles puis une troisiĂšme qui les rejoint, aujourdâhui ça mâĂ©moustille beauÂcoup moins (rires). Quand câest la preÂmiĂšre fois, tu nâas pas les codes, donc tu ne comÂprends pas tout. Mais je me revois encore poussÂer les portes dâattentes, arrivÂer dans le club et de voir toutes ces filles, câĂ©tait comme une libĂ©raÂtion et le dĂ©but dâune grande avenÂture. AprĂšs cette soirĂ©e, on est vraiÂment devenu un groupe soudĂ© avec mes copines. On Ă©tait toutes lesÂbiÂennes (ou en recherche de quelque chose) et câest cette preÂmiĂšre fois en club qui a créé beauÂcoup de liens. ForÂcĂ©Âment, aprĂšs jây Ă©tais accro et jây allais tous les week-ends. Le clubÂbing nâest donc pas venu dâune inspiÂraÂtion musiÂcale pour moi : je nây allais pas tant pour le son que pour le refuge que ça reprĂ©senÂtait. Ce que jâaimais, câĂ©tait le lieu de renÂconÂtre et lâaspect sulÂfureux. Ă lâĂ©poque, la musique qui pasÂsait en club je mâen foutais un peu, surtout que les samedis soir au Pulp, ils pasÂsaient les tubes de la radio et mĂȘme des slows, câest dire ! Au fil des annĂ©es, le Pulp a comÂmencĂ© Ă prĂ©senÂter des proÂgramÂmaÂtions plus Ă©tofÂfĂ©es en foncÂtion des jours, du merÂcreÂdi rock jusquâau sameÂdi mainÂstream, donc forÂcĂ©Âment ma curiositĂ© musiÂcale sâest dĂ©velopÂpĂ©e lĂ -bas pour finaleÂment crĂ©er ma vocaÂtion. Aujourdâhui jâorganise des soirĂ©es, je mixe et je vis quaÂsiÂment dans les clubs.
Flore, prĂȘtresse française de la bass music : âCette situation a la goĂ»t dâun fruit dĂ©fenduâ
Jâavais 16 ans pour ma preÂmiĂšre soirĂ©e en boite. CâĂ©tait avant que je renÂconÂtre rĂ©elleÂment la musique Ă©lecÂtronÂique. Une copine Ă moi, plus ĂągĂ©e, mâavait conÂvaÂinÂcu quâon devait y aller, et aprĂšs moult nĂ©goÂciÂaÂtions avec ma maman, celle-ci mâavait accordĂ© quelques heures. « Et câest ton frĂšre qui vienÂdra te chercher Ă 1h pĂ©tante ! » CâĂ©tait un petit club en plein centre-ville qui avait plutĂŽt une image branchĂ©e, loin des Ă©normes disÂcothĂšques plutĂŽt ringardes de pĂ©riphĂ©rie. JâĂ©tais trĂšs impresÂsionÂnĂ©e. Je ne savais pas vraiÂment Ă quoi mâattendre, je savais juste que quand on pasÂsait Ă cotĂ© en journĂ©e, lâentrebĂąillement de la porte rĂ©vĂ©lait une salle somÂbre et mysÂtĂ©rieuse, au parÂfum de clopes froides et de biĂšre, et quâun grand mec baraquĂ© peu symÂpaÂthique en Ă©tait le gĂ©rant. Avec ma copine, on paie lâentrĂ©e (un truc dĂ©risoire) et on file direct au bar, comÂmanÂder deux MalÂibu ananas. Jâavais dĂ©jĂ lâimpression dâavoir gravi une monÂtagne, jâĂ©tais mineure mais jâavais passĂ© le test, apparemÂment jâavais tout dâune grande. Vu quâon nâa pas beauÂcoup de temps ma copine et moi, on arrive tĂŽt sur place, le club est vide. La musique est forte et ça rĂ©sonne pas mal â rien de plus inconÂfortÂable quâun club de dĂ©but de soirĂ©e â mais ce soir, câĂ©tait ma grande preÂmiĂšre, câĂ©tait totaleÂment inĂ©dit : « Alors câest ĂA ?! »
Le temps passe, le mec au bar nous garde Ă lâĆil (il nâest pas dupe sur notre Ăąge celui-lĂ ). Nous, on enchaĂźne les MalÂibu et on prend douceÂment nos marÂques sur la piste de danse. Aucune idĂ©e de la musique quâils pasÂsaient, ni sâil y avait un DJ sur place, mais dans mon souÂvenir ce nâĂ©tait pas de la varÂiĂ©tĂ©. Ma copine Ă©tait trĂšs fan de dance belge et dâacid house, donc jâaurais tenÂdance Ă penser que câĂ©tait quelque chose dans ce regÂistre⊠En tout cas, ça me plaiÂsait, moi qui ait touÂjours adorĂ© danser, imposÂsiÂble de rĂ©sisÂter Ă ce beat mĂȘme si jâavais lâimpression que tous les regards Ă©taient braquĂ©s sur moi. Autre dĂ©couÂverte du club : les regards. Il est minuÂit moins le quart et ça renÂtre douceÂment. Les gens se regarÂdent. Les garçons au bar matent les filles, nous on rigole, on a un peu peur, toute cette sitÂuÂaÂtion a la goĂ»t dâun fruit dĂ©fendu. Câest parÂti, on se fait branchÂer. Deux gars, plutĂŽt du genre Ă avoir menÂti sur leur Ăąge Ă©galeÂment vienÂnent nous parÂler lors dâune brĂšve pause au bar. PreÂmiĂšre drague par un inconÂnu, en dehors du colÂlĂšge. Moi, la fille comÂplexĂ©e et pas trĂšs en conÂfiÂance sur son physique, je dĂ©couÂvre la proxÂimÂitĂ© dâun corps que je ne conÂnais pas, sa moiÂteur, les disÂcusÂsions dans le creux de lâoreille, le soufÂfle dans le cou Ă cause du sysÂtĂšme son trop fort. Un vĂ©riÂtaÂble tourÂbilÂlon de saveurs conÂfonÂdues, exciÂtaÂtion, gĂšne, nerÂvositĂ©, exalÂtaÂtion⊠Je comÂmence Ă apprĂ©ciÂer le son fort. Dans nâimporte quel autre conÂtexte, câest interÂdit dâĂ©couter du son ausÂsi fort. Je dĂ©couÂvre la vibraÂtion, celle du sol et celle qui renÂtre dans mon estomÂac⊠Il crĂ©e comme des traits dâunion entre tous ces corps dans lâespace du club. Ăa me donne du courage, jâai lâimpression dâĂȘtre une autre.
On me tape sur lâĂ©paule, câest le videur : « Hey, yâa ton frĂšre dehors ». Quoi ? Non ! Comme CenÂdrillon aprĂšs le carÂilÂlon de minuÂit, il faut parÂtir⊠Le pauÂvre garçon avec qui je disÂcuÂtais depuis un moment rĂ©alise que je ne suis pas celle quâil penÂsait et ma copine trouÂve la sitÂuÂaÂtion trĂšs relou elle ausÂsi, on traĂźne tant quâon peut, mais il faut parÂtir. TranÂspiÂrante et excitĂ©e, je rejoins mon frĂšre, qui fait la gueule. Je fais la bise Ă ma copine qui habite Ă cĂŽtĂ©. Sans trop rĂ©alisÂer, jâavais amorÂcĂ© le changeÂment. Je ne le savais pas, mais plus tard, jâen ferai mon terÂrain de jeu, et aux cotĂ©s dâanimaux bizarres je dĂ©couÂvriÂrai ses codes et sa magie. Selon moi, on retourne toute notre vie sur ces preÂmiers moments de transÂgresÂsion ; pour moi, ce sera la Nuit.
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