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5 décembre 2013

Mimi raconte le Pulp

par rédaction Tsugi

Entre 1997 et 2007, le Pulp, “la boîte pour les filles où les garçons aiment bien venir aussi” a bouleversé le clubbing parisien. Celles et ceux qui y étaient en parlent encore avec des sanglots dans la voix. Celles et ceux qui étaient trop jeunes pour entrer au 25 boulevard Poissonnière n’ont de cesse de poser la question: “Alors, c’était comment?” Réponse avec celle qui a “inventé” le Pulp: Michelle “Mimi” Cassaro, aujourd’hui âme du Rosa Bonheur.

Propos recueillis par Patrice Pardot

« J’avais 20 ans en 1983. Après avoir été sur un tracteur, puis fait du vin à Nîmes, j’ai travaillé pendant quatre ans dans des bars à Montpellier où il y avait aussi des platines. C’était le début. En 1989, j’ai monté ma première affaire: je suis devenue cantinière pour le cinéma, notamment pour Why Not Productions (producteur notamment des films de Jacques Audiard ou Arnaud Desplechin, ndlr) avec qui je suis encore associée au Rosa Bonheur. J’ai bougé au gré des tournages et c’est comme ça que j’ai débarqué à Paris avec mon camion-cantine. J’ai vécu avec lui pendant dix ans. Je l’appelais Monsieur Jules. Je suis une vraie camionneuse ! »

Tu étais attirée par la vie nocturne parisienne ?

Pour notre bande, Paris ne voulait pas dire grand-chose: les années 80 au Palace, j’entendais cela de loin. On allait surtout à Barcelone et à Valence. C’était l’après-Movida, c’est là que cela se passait, les premiers mixes avec trois platines. C’était le Berlin d’aujourd’hui, mais au soleil. Ma notion de la fête, je l’ai apprise via l’Espagne et la féria camarguaise. En Camargue, il y avait une boîte mythique, où l’on sortait tous, la Churascaïa, c’était très mélangé. Ce qui m’a choquée, quand je suis arrivée à Paris, c’était les barrières impénétrables. Très vite au Pulp, les barrières ont volé en éclats.

La musique a-t-elle toujours été importante pour toi ?

J’ai toujours aimé toutes sortes de musiques. J’ai été boyscout donc je connais par coeur la chanson que tu joues autour d’un feu de camp. J’ai été aussi dans le milieu rock, et, en tant que protestante, je connais bien le gospel et la dimension spirituelle du chant. Ensuite, il y a eu le début de la house dans l’unique boîte gay de Montpellier. J’ai aussi fait les soirées Dragon Ball, les Boréalis. On était dans la tribu des “chépers” ! (rires) Mon appartement à Montpellier a même été repris par les Spiral Tribe. Delphine (alias DJ Sextoy, décédée en février 2002, ndlr) m’envoyait des cassettes de mixes que j’écoutais sur les tournages. L’autre jour, il y a Mireille Darc qui est venue au Rosa Bonheur (dans le parc des Buttes-Chaumont, ndlr), et en me voyant, elle me dit: “Ah c’est toi Mimi Cantine!” Puis elle me tire la joue: “La cantine qui faisait le plus de bruit!”

Comment s’est passée la naissance du Pulp ?

Quand je suis arrivée à Paris, j’ai rencontré Laurence qui tenait l’Entracte, le nom de la boîte lesbienne avant le Pulp. Elle n’en pouvait plus de la nuit. C’était ma copine, nous habitions ensemble dans une maison dans le XIXe arrondissement. Une bonne partie de l’énergie du Pulp est partie de là. Il y avait des platines dans le salon, on a accueilli des DJ’s de New York comme Deee-Lite, on faisait hôtel pour DJ’s pendant des festivals. Rachid Taha, Miss Kittin, Jennifer Cardini, Juliette Dragon y ont tous habité quelque temps. Il y avait aussi les graphistes, Axelle Le Dauphin et Dana Wyse. Et bien sûr Delphine. Grâce à elle, j’ai commencé à rencontrer des nanas avec une énergie un peu arty,moi avec mon accent du Midi, j’étais plutôt “bodega española”. (rires) Mais il y a eu un bon mélange. Un jour, j’ai entendu Laurence téléphoner à son patron: “J’en ai marre, j’arrête la semaine prochaine.” J’ai dit à Delphine: “C’est pas possible, on ne peut pas laisser tomber une boîte en plein Paris, on fait des fêtes dans la maison, on doit y arriver.” J’ai demandé à Laurence d’appeler son patron pour avoir un rendez-vous. Il m’a reçu le lendemain, dans la cave, sur les fûts de bières, et m’a dit: “Vous avez un mois.” Au bout d’un mois, il m’a redit: “Vous avez encore un mois.” Puis ça été trois mois. Comme il y avait une image attachée à L’Entracte, je bataillais pour changer le nom. À la fin des trois mois, le patron m’a dit: “Je fonce à fond avec toi et les filles et tu peux mettre l’énergie et le nom que tu veux. En plus, je vous mets un camion à disposition pour faire l’Europride
samedi prochain.” C’était un lundi matin. En une semaine, il a fallu tout faire et notamment trouver le nom. Je suis montée voir Delphine qui dormait: “Ça y est, c’est bon, il me faut un nom.” Elle m’a répondu, encore endormie: “Pulp.”

Quand on te demande “c’était comment le Pulp?”, tu réponds quoi ?

C’était une boîte tenue par des gouines avec une énergie de gouines. Certaines perchées, certaines très organisées, certaines très militantes avec des formes de militantisme très différentes. C’était un truc de meufs, cela n’avait jamais existé. C’était aussi un lieu où on est arrivé à exploser les barrières entre les gays, les hétéros et les différentes classes sociales. On parle souvent des valeurs sociales du Pulp… On cultivait des valeurs autour du respect de la différence. C’était valable dans les deux sens car au début quand des copains mecs, pédés ou pas, venaient, certains se faisaient agresser par les goudous: “Mais qu’est-ce que vous faites là ?” Il a fallu faire un travail dans ce sens, et bien sûr auprès des mecs qui oubliaient qu’ils étaient chez nous. Cette volonté d’ouverture n’était pas celle de tout le monde et il y avait des meufs qui n’avaient pas envie de voir arriver des mecs. Mais c’est passé. On avait gardé le samedi réservé aux filles.

Est-ce qu’il y avait dès le début la volonté d’ouvrir aux garçons ?

C’est venu progressivement, ce n’était pas calculé. Au départ, on ouvrait sept jours sur sept puis on s’est concentré sur certains soirs et très vite des gens autour de nous nous ont amené les Scratch Massive, Delphine Quème, Arnaud Rebotini, Fabrice Desprez et Guido qui se sont partagé les jeudis. Le mercredi, c’était les soirées rock “Dans Mon Garage”, une idée de Christine, notre physio. Financièrement, c’était difficile de ne pas faire payer l’entrée tout en faisant venir un groupe rock mais tu avais 400 personnes à fond. Et puis les jeudis où il y avait une queue de folie permettaient d’équilibrer.

Quel était ton rôle au Pulp ?

Prendre des cuites! (rires) C’est difficile de parler de soi. Je suis quelqu’un qui a de l’énergie. Je n’ai pas peur, je fonce. Quand tu vis dans une maison où ça bouillonne, tu ne te poses pas de questions. Les gens disent que je sais bien m’entourer, j’essaie d’être la plus correcte possible. Aujourd’hui, je ferme le Rosa Bonheur à minuit et je me lève à 6h du mat’, alors qu’à cette heure-là, il y a quelques années, j’étais en train de faire ma caisse au Pulp complètement fracassée. Parfois je ne dormais pas jusqu’au lendemain soir. On était complètement dingue, mais on en a perdu en route…

Quand est-ce que cela a vraiment décollé ?

Cela s’est fait à travers les jeudis au bout d’un an ou deux. Grâce à Fany Corral (du label Kill The DJ, ndlr) qui est arrivée, via Sophie mon associée, elle a amené la crème des DJ’s. Je n’avais pas cette connexion-là. Ewan Pearson ou Andrew Weatherall, ils n’allaient pas venir jouer pour moi !(rires) On a eu aussi la chance que Delphine apporte l’énergie “filles” avec Jennifer Cardini, Chloé, Miss Kittin. Cette programmation associée avec l’idée qu’il fallait que les soirées soient gratuites le plus possible ont fait décoller l’histoire.

As-tu craint une “peopolisation” ?

Non, car j’ai un refus total du coin VIP et du tapis rouge. Madonna a été annoncée une fois ou deux, mais elle n’est jamais arrivée. (rires) Ses attachées de presse nous appelaient pour préparer sa venue. Elles nous demandaient qu’au minimum, elle ait un accès sans faire la queue et de lui réserver une table. On pouvait le faire. Mais il n’y avait pas de “carré” pour les célébrités et je crois c’est un service à leur rendre. Si tu viens chez nous, c’est justement pour vivre autre chose. Si une ou deux personnes viennent te parler c’est bien, parce que les gens n’ont plus trop accès à toi. Quand Björk ou Skunk Anansie sont venues au Pulp, les filles étaient un peu dingos. On leur a dit : “Maintenant, c’est bon, elles sont là pour s’amuser, foutez-leur un peu la paix.”

Tu te souviens de galères ?

Les bagarres de filles. Quand il y en avait, c’était tellement sport ! Tu es obligé de rallumer les lumières, et tu vois trente gouines qui se tapent sur la gueule ! Ça te reste à vie. Je me rappelle aussi d’une fois où Laurence est entrée dans le club en moto en allant jusqu’à la cabine DJ. Et puis il y a eu aussi une armée de pompiers qui débarquent en force avec les lances à eau parce que quelqu’un avait appelé à tort en disant qu’il y avait le feu. (rires)

Elle était inévitable la fermeture du Pulp ?

Oui, car l’Opac, qui était propriétaire des murs, voulait transformer l’immeuble. Cela a été une agonie. On devait fermer une première fois,mais le patron arrivait chaque fois à obtenir des délais: “On a encore trois mois.” À la fin de la dernière année, en 2007, je n’en pouvais plus. J’ai eu des soucis de santé la dernière année, deux hernies discales, j’ai été absente pendant deux mois, sous morphine. Physiquement, je souffrais. J’avais déjà monté depuis deux ans une deuxième activité en parallèle pour vivre le jour. On a arrêté en juin 2007, le jour de la Gay Pride. J’ai mis le dernier disque: “Promised Land” de Joe Smooth, mon côté protestant, “aimez-vous les uns les autres”. Un cantique ! (rires)

Est-ce que tu éprouves de la nostalgie ?

Peut-être que ça commence maintenant. À la fin, il y avait toute une partie de moi qui n’arrivait plus à s’exprimer à travers le Pulp. J’étais un peu en retrait. Aujourd’hui, au Rosa Bonheur, je suis très satisfaite d’avoir un endroit où je peux faire et passer ce que je veux. C’est une autre fête, qui finit à minuit.

www.rosabonheur.fr

Article paru dans tsugi 59 (février 2013).

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