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4 décembre 2014

Naked (On Drugs) : Nus dans la crevasse

par rédaction Tsugi

Article extrait du numéro 77 de notre magazine. 

Dans un décor en noir et blanc peuplé de fantômes, eux disent se foutre du glorieux passé local. Naked (On Drugs) était le groupe rêvé pour prendre des nouvelles de Manchester. 

Ici Salford. Dans cette périphérie brumeuse du grand Manchester surnommée Dirty Old Town, quelques gangs originaires d’Europe de l’Est qui font régner la loi à coup de machettes, des anciennes usines de filatures aux fenêtres meurtries, des terrains vagues… Quand il promène sa longue carcasse dans cette parcelle de Manchester Sébastien Perrin, lève son regard en direction des miradors de la prison de Strangeways. Le chanteur de Naked (On Drugs) achève de consumer une cigarette (mal) roulée et esquisse un sourire las : « Tout est en noir et blanc ici. Ce coin, c’est vraiment le Manchester de carte postale. Celui auquel tu rêves quand tu es un étudiant un peu con et que tu as trop écouté les disques des Smiths ou de Joy Division. Ceux qui viennent là pour tenter leur chance dans le rock fantasment sur cette laideur. A croire qu’ils aimeraient qu’elle prenne entièrement possession de leur musique. Une autre bouffée de roulée et Sébastien précise, avec ce mélange d’arrogance et de maladresse qui n’appartient qu’aux grands timides De toute façon, on ne s’intéresse pas au soi-disant glorieux passé local. On n’aime pas les Stone Roses, on déteste ces ringards d’Oasis et quand j’entends ces pochetrons dans les bars du coin qui reprennent en chœur du New Order avant de gerber dans leur pinte je trouve ça carrément pathétique ! »

Un rocher pointu

Ce jeune homme né dans la Drôme Provençale a beau s’en défendre, il cultive une dégaine parfaitement raccord avec le romantisme de la ville qui l’a accueilli. Plongé dans le Manchester 2014, son visage émacié, son teint pale et son large pardessus évoquent ces groupes post punk du début des 80s nourris à l’expressionnisme allemand et aux dissonances des formations du New York no wave. Musicalement le constat est similaire. Si Naked (On Drugs), le jeune quintette dans lequel Sébastien Perrin pousse sa voix grave et fait déraper ses notes de clarinette, flashe autant, c’est car il est un des rares groupes (le seul ?) à travailler le passé rock pour en ressortir une urgence actuelle. A preuve les quelques singles sortis par le groupe depuis ses débuts en 2013 : Death Dance, This Gift et l’épatant Lee Ann’s Skin évoquent, tour à tour, Birthday Party, Scott Walker, Bauhaus, Echo & The Bunnymen, Talking Heads, dEUS, les jeunes gens modernes Marquis De Sade et Thelonious Monk. Et malgré ces références, Naked (On Drugs) réussit à garder bien actuelle la tension. « Nous sommes un groupe moderne parce que nous piochons dans le passé à notre guise – Lee Ann’s Skin est un collage, il y a des guitares surf 50s, une rhytmique 80s, des dissonances plus 90s, etc. Est-ce que cela fait de nous des passéistes ? Non ! Si nous avions émergé dans les années 70s, quelque chose me dit que nous serions devenus un groupe de jazz fusion dégueulasse. Je me souviens de Brian Eno disant en interview qu’il avait appris à jouer de la basse et qu’il allait à présent devoir trouver une utilité à l’instrument, comme un homme des cavernes cherchant une utilité à un rocher pointu. Ce genre de truc nous cause. »

Les premières interrogations de Sébastien Perrin sur la musique remonte à l’époque où il habitait Lyon. 2010. Le garçon se débat entre études de psychologie, petits boulots (en hôpital psychiatrique et dans une maison d’enfant à caractère social) qui le rendent amer et ambitions musicales dans l’impasse : « Pendant ces deux ans j’avais l’impression de presser avec insistance sur un tube de dentifrice vide ! »

L’occasion de rompre avec la France survient quand il rallie Manchester le temps d’un week-end et atterri, au hasard d’une nuit d’alcool, entre les murs d’un club local. Sur place un concert du nouveau side-project d’un membre des anciennes gloires locales cold funk, A Certain Ratio dont Sébastien Perrin dit avoir tout oublié jusqu’au nom. Mais il y a surtout la rencontre avec Luke Byron-Scott, originaire de Milton Keynes. Ce dernier marque sa rupture avec son environnement white trash et ces gamins écoutant de la mauvaise house dans leurs bagnoles, Luke a pris l’habitude de porter des chemises léopard et de ne jurer que par la noise de Glen Branca. « Avec Luke, on sympathise immédiatement, on parle de musique, de Naked, ce film de Mike Leigh qu’on vénère, de ce à quoi on aspire et l’alcool fait le reste. A la fin, il me dit ‘Toi, mon pote, tu te débrouilles pour plaquer ta vie merdique en France et tu viens t’installer à Manchester. Au moins on aura essayé !’ »

Entre deux chaises

Quelques mois plus tard, Sébastien Perrin s’est installé à Manchester. Il partage aujourd’hui sa vie entre son groupe dont la réputation grimpe vite, une épouse, un chat et un emploi de barman pour assurer le loyer. Luke, lui, assure son train de vie en travaillant pour des gangsters locaux. Très romantique, son boulot consiste à vendre à des pigeons de la presse locale des encarts pubs qui n’existeront jamais. Ceci posé, Naked (On Drugs) a été rejoint par le batteur des météoriques Egyptian Hip Hop et surtout David McLean, saxophoniste. « Un autre misfit. s’anime Sébastien Il a joué dans une cinquantaine de groupes, c’est une encyclopédie du jazz vivante, mais avec un accent de voyou ! Nous avons le cul entre deux chaises – trop bruyants pour la scène alternative, et trop calmes pour la scène noise, mais entre nous, ça marche. Je ne sais pas jusqu’où notre petit système peut s’entretenir lui-même ! »

Le système en autosuffisance dont parle le français ne concerne pas que Naked (On Drugs). Il fait aussi partie du quotidien de Sways, le label qui diffuse le groupe à (toute) petite échelle et en vinyle uniquement. Derrière cette structure qui s’inspire clairement de la stratégie de Factory Records, lors de ses débuts, Benjamin Ward. Avec ses petites lunettes carrées, sa chevelure à la Oscar Wilde, l’homme ressemble à ces grands labels managers moitié escroc, moitié génie – de Malcolm Mc Laren à Tony Wilson – comme l’Angleterre sait les inventer. Avec son acolyte Marten Hurley, Ward se dit qu’il serait temps de créer lui-même un label et le décorum qui va avec. Le label c’est Sways Records. Le décorum c’est une ancienne usine à coton à l’abandon que Marten Hurley a reçu en héritage de son grand-père syndicaliste d’origine polonaise. La suite c’est Sébastien Perrin qui la raconte : « Cet endroit a vite été renommé le bunker par ceux qui font partie de la bande. Tout le monde peut y jouer, y dormir, y faire la fête ou des sales trucs. Ben et les autres ont inventé une communauté à la marge du Manchester officiel dans ce lieu ! »  Vrai. Parmi les habitués du bunker : Jamie Lee, leader exhibitionniste et poète de Money, groupe cold wave 2.0, mais aussi Nathalie Curtis, fille unique du leader pendu de Joy Division, devenue la photographe officielle des groupes Sways. « Nous ne signons pas forcément des groupes aboutis, mais nous aidons les personnages intéressants. Ceux qui passent la porte du bunker ont tous un goût pour les choses extrêmes. Ils aiment Franz Kafka, Lars Von Trier, Scott Walker, Louis-Ferdinand Céline, le Marxisme parfois ! Naked (On Drugs) sont ils des gens et des musiciens intéressants ? Bien sûr et ce moment qui arrive, très court, est peut-être le leur. S’ils sortent de ce trou à rat, très bien, ça rejaillira sur cette ville et ses dégénérés… » Façon de dire, qu’à Salford, comme dans une chanson de Joy Division, on attend toujours « qu’un guide vienne et vous prenne par la main… » (Jean-Vic Chapus)

Article publié dans le Tsugi #77

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