NOUVEAUX FUTURS : les 10 artistes qui vont faire 2021

par Jon Beige

Cela ne sert à rien de s’éterniser sur l’année passée, spé­ciale, pour dire le moins. Est-ce la crise pour les musi­ciens ? Cer­taine­ment. Est-ce la crise pour la musique ? Pas encore. Vous avez d’ailleurs pu vous en apercevoir avec NOUVEAUX FUTURS, notre playlist heb­do­madaire qui, chaque semaine depuis jan­vi­er, a mis en avant tout ce qui est sor­ti de meilleur et a un goût de demain. C’aura été l’occasion pour cer­tains artistes de con­firmer, pour d’autres d’émerger.

En cette fin d’an­née, le cura­teur de la playlist Jon Beige en a choisi dix pour qui l’année 2020 aura été un tour­nant et dont le suc­cès pour­rait (devrait ?) l’an­née prochaine frap­per à leur porte. Mais il ne s’agit pas là d’un pari ou d’une apos­tro­phe envers le lecteur pour lui dire « crois-nous sur parole, ça va percer », mais plutôt d’un encour­age­ment et la con­stata­tion que ceux-là, cette année qui se ter­mine, auront apporté quelque chose de neuf et de sin­guli­er au monde de la musique et que, dans un monde idéal, oui, ils devraient tout cass­er en 2021. Dans un monde idéal.

Sélec­tion, textes et inter­views par le cura­teur de la playlist NOUVEAUX FUTURS, Jon Beige

 

AceMoMA (USA)

Dif­fi­cile de les suiv­re en ne s’y intéres­sant que de loin. Ace­Mo­MA, c’est la fusion de Ace­Mo (à droite sur la pho­to) et MoMA Ready. C’est surtout la fréquence des sor­ties qui donne le tour­nis. Et bien que la manie de sor­tir cinq albums par an, comme le font beau­coup de groupes de rock par exem­ple, ne paye pas sou­vent, ça fonc­tionne quand la recette est sim­ple et effi­cace. Les deux new-yorkais n’ont pas inven­té le fil à couper le beurre, mais ils savent très bien s’en servir. Que ce soit à deux où en solo, que ce soit jun­gle, foot­work, house, tech­no, il y a tou­jours un je-ne-sais-quoi de style, un sur­plus de cooli­tude, un sup­plé­ment d’idée, un petit twist en plus, qui fait hon­neur aux par­rains des années 90 qu’ils salu­ent évidem­ment. Presque comme un pod­cast, c’est un plaisir de con­sul­ter chaque semaine ses mails Band­camp pour y décou­vrir quasi-systématiquement un nou­v­el EP sur leur label Haus of Altr, une col­lab­o­ra­tion, un tra­vail de pro­duc­tion (on attend impatiem­ment l’album de ize pro­duit par Ace­Mo), un album, une énième com­pi­la­tion, surtout si on y ajoute leurs com­pères DJ Swisha et Kush Jones, qui ne chô­ment pas non plus. Et mal­gré tout ça, c’est peut-être en tant que DJs qu’ils fasci­nent le plus. Qui n’aurait pas envie d’être pote avec eux quand on regarde leurs deux Boil­er Room (1 et 2), ou leurs mix­es pour The Lot Radio. Un peu comme les gars en place du lycée, qu’on con­naît par cœur mais qui ne nous con­nais­sent pas. D’ailleurs, ils n’ont pas répon­du à nos mails.

 

Azu Tiwaline (TUN/FRA)

© Loten Grey

À la fin de Glad­i­a­tor, après des années de voy­age, de ten­sion et de com­bat, à devoir faire ses preuves, Max­imus Dec­imus revient sur ses ter­res, caresse les chants de blé, et sent le souf­fle tiède du vent emplir l’espace, le soleil l’envelopper. Il atteint la quié­tude. C’est aus­si le par­cours d’Azu Tiwa­line, à la seule dif­férence qu’elle n’est pas morte, et que l’histoire est loin d’être finie. Après presque vingt ans de par­cours sous l’alias Loan, à explor­er toutes les facettes de la bass music et tout ce qui com­mence par “dub-” ou finit par “-step”, Donia est allée s’installer près de sa mère, dans le Jérid tunisien. Et puisqu’il n’est pas un seul artiste qui ne soit pas influ­encé par son envi­ron­nement, sa musique s’est faite plus douce, spa­cieuse, chaleureuse, lumineuse. La matu­rité tombe à pic. Elle le dis­ait en inter­view, quand on est jeune, on a besoin de s’affirmer, pour se prou­ver des choses. Mais aujourd’hui, c’est surtout a elle-même et à ses proches qu’elle veut faire du bien. « Je pense qu’il vaut mieux se foutre de pas mal de choses et avoir beau­coup de recul. Con­tin­uer à tou­jours faire ce qu’on a envie. Que ça “marche” ou pas. » Le secret, pour elle, c’est « aimer et s’aimer ». Ses pre­mières sor­ties sous ce nom se font en 2020. « J’ai sor­ti mon pre­mier album sous le nom d’Azu Tiwa­line, Draw Me A Silence, au mois de mai, chez I.O.T. records, mon label de cœur, ma famille. Cet album a reçu un accueil vrai­ment chaleureux, par­ti­c­ulière­ment à l’é­tranger. Puis j’ai signé chez Liv­i­ty Sound en juil­let. Et là, tout a pris une tour­nure assez géniale. » En voilà une drôle his­toire, de sign­er chez un des plus gros label de UK bass music lorsque juste­ment on comp­tait s’en éloign­er. Mais de la même façon que ce sont les groupes de métal qui font les meilleurs slows, c’est peut-être après avoir expéri­men­té en sous-terrain qu’on peut savoir vrai­ment appréci­er la lumière.

 

Crack Cloud (CAN)

© Jenilee Marigomen

En décou­vrant Crack Cloud, il n’est pas aisé de tout com­pren­dre, visuelle­ment déjà. Sur la pochette de leur album Pain Olympics, on dénom­bre quinze bel­ligérants, soudés au milieu d’un monde dystopique presque car­i­cat­ur­al. Crack Cloud pour­rait tout aus­si bien s’appeler 2020 : The Musi­cal. Tout ce beau monde, basé à Van­cou­ver, fait par­tie du col­lec­tif – terme qu’ils utilisent pour se définir – et par­ticipe à sa façon au développe­ment du pro­jet. Une com­mu­nauté, une famille même, dont le but pre­mier était avant tout la guéri­son, quels qu’en soient les maux, comme l’addiction (The Next Fix). Et la tran­scen­dance par l’art total. Autant de notions un peu désuètes qui font souf­fler du nez. Sou­vent, ces con­cepts ne font que meubler une œuvre qui, prise en tant que telle, est ennuyeuse. Mais c’est par l’autre bout qu’on se fait d’abord attrap­er : la musique. En 29 min­utes et 8 morceaux, il se passe autant de choses que pour cer­tains artistes en toute une car­rière. On y dénom­bre pléthore de références mar­quées, de Devo à Gang of Four, d’ESG à Talk­ing Heads, ou même à Queen, le tout digéré dans l’urgence en une pièce de théâtre audi­tive. Chaque écoute révèle une grille de lec­ture réori­en­tée, des sen­sa­tions inédites. Tan­tôt ray­on­nant, tan­tôt acca­blant, il est rare d’écouter un album si riche et por­teur d’espoir et de dés­espoir à la fois.

 

Emma DJ (FRA)

Cer­tains artistes com­men­cent leur car­rière sur la pointe des pieds. Pas Emilio. Rien avant 2019 hormis ses soirées Fusions mes Couilles dont il a la pater­nité, puis trois albums d’un coup, tous sor­tis sur Lav­ibe, le label de Brice Coud­ert. Deux sor­ties en cas­sette, for­mat bien oppor­tun pour les sonorités pous­siéreuses de ses pro­duc­tions ; la troisième ne prend pas le temps d’une sor­tie physique. On pour­rait trou­ver tout cela pré­cip­ité. Pour­tant, chaque par­tie du trip­tyque racon­te une his­toire. L’ambiance y est mal­saine et dis­so­nante, les per­cus­sions ne restent jamais à leur place, tout se lie dans un mael­ström de dis­tor­sions réglées impec­ca­ble­ment. Con­traire­ment à beau­coup de morceaux de cette vague punk-expérimental-de-chambre, la musique d’Emilio se recon­naît tout de suite. À l’écoute de “Burnout Library” et “Slug Just”, deux titres qui ont fait l’objet de vidéos mag­nifique­ment dérageantes, on ne peut douter qu’ils sont issus du même esprit vice­lard. En 2020, sa musique a con­tin­ué à se répan­dre, hyper­ac­tive et tou­jours bien référencée. Un autre album au for­mat cas­sette chez les copains de BFDM, deux fan­tas­tiques sor­ties sur Col­laps­ing Mar­ket, au sound design encore plus affir­mé, presque raf­finé, sans que cela nuise à l’ambiance cav­erneuse et psy­cho­tique qui fait sa sin­gu­lar­ité. Une sor­tie chez L.I.E.S. aus­si, comme une évi­dence, puis un autre album à peine annon­cé sur High Dig­i­tal. Là, un morceau sur la com­pi­la­tion Mutants d’Arca. Pas de vinyles, pas de stream­ing, pas d’interview. Pas de fête non plus, Covid oblige, mais quelques mix­es bien sen­tis pour Dek­man­tel et Boil­er Room. Emma DJ donne l’impression d’aller là où le vent le mène, tout en sachant d’avance où il le mènera.

 

Kate NV (RUS)

© Richard Jonathan Miles

Il était une fois une petite fille russe qui fai­sait du vélo en chan­tant. C’est ain­si que pour­rait com­mencer le con­te de Kate NV. « Quand j’avais deux ans, je fonçais sur mon tri­cy­cle dans l’appartement, et forçais mes par­ents à me suiv­re en chan­tant des chan­sons pour enfant. Je n’en con­nais­sais que deux, que je chan­tais sur une unique note. Ma mère s’est dit que, bien que je devrais appren­dre à chanter d’autres notes, au moins j’avais le sens du rythme, parce que je me met­tais en colère s’ils ne respec­taient pas la pause entre le cou­plet et le refrain. » L’enfance, on s’y rep­longe for­cé­ment en écoutant Room For The Moon, son troisième album déjà, tou­jours chez l’indispensable label RVNG Intl., avec ses influ­ences évi­dentes pour la musique japon­aise et sa naïveté enchanter­esse, d’un point de vue visuel notam­ment. Une enfant soli­taire dont la musique et ses mon­des imag­i­naires seraient ses seuls amis, et à la fois l’expression d’une per­son­nal­ité défini­tive­ment joyeuse. « Ce que je com­pose est spé­cial pour moi, au moins parce que le proces­sus de créa­tion me rend heureuse, et que ça me fait me sen­tir dans un car­toon cool. Ce qui est beau avec la musique, c’est qu’elle a un sens dif­férent pour cha­cun, et qu’en retour, cha­cun lui donne quelque chose de par­ti­c­uli­er. » Ses morceaux, tout sauf niais, bril­lent par leur matu­rité. Ses précé­dents albums, bien plus expéri­men­taux, ont fait place à une assur­ance grisante, à une iden­tité affir­mée, et des com­po­si­tions mag­nifique­ment con­stru­ites. Il y a au-delà de la seule pul­sion instinc­tive, qui irrigue sou­vent en quasi-solitaire la musique de cham­bre con­tem­po­raine, un sup­plé­ment d’effort. Il en faut, mais savoir con­stru­ire un album comme un tout, écrire des mélodies, les assainir, se débar­rass­er du super­flu, met­tre son ego de côté, se met­tre en avant dans toute sa fragilité, ren­dre sa musique acces­si­ble, tout ça n’est pas à la portée de tous, en tout cas pas comme ça.

 

Lyra Pramuk (USA)

© Mar­tin Sabhi

En tant qu’art majeur, quoi qu’on en dise, ques­tion­ner la nature même de la musique, ses lim­ites et éti­quettes, ne fait pas de mal. Peut-on faire de la musique élec­tron­ique sans aucun instru­ment ? La ques­tion ne se pose plus désor­mais, puisque Lyra Pra­muk a com­posé son pre­mier album, Foun­tains, à l’aide de sa seule voix. Tout ce qu’on y entend, même ce qui ressem­ble à tout sauf à ça, y trou­ve sa source. C’est bien naturel au vu de son par­cours, qui débute à l’âge de cinq ans dans des chœurs religieux d’une petite ville de Penn­syl­vanie. Elle y développe un monde intérieur incroy­able­ment riche et secret, jusqu’à son départ pour Berlin qui lui servi­ra d’exutoire, notam­ment dans les clubs. Ces démul­ti­pli­ca­tions frac­tales se retrou­vent dans ses tech­niques de pro­duc­tions fasci­nantes, où le matéri­au de base est sou­vent com­posé d’un sim­ple échan­til­lon, essoré, jusqu’à la divi­sion cel­lu­laire, pour recom­mencer encore. Sa musique donne l’impression que l’histoire de l’humanité est une boucle, et que la fin sera le début, et inverse­ment, tant on ressent des émo­tions à la fois pri­maires et incon­nues, famil­ières et inqual­i­fi­ables. « Alan Watts a dit : « Essay­er de se définir soi-même, c’est comme essay­er de mor­dre dans ses pro­pres dents. » Je suis seule­ment qui je suis, je fais ce que je sais faire de mieux. Je suis un ani­mal désor­don­né. Je com­pose avec ce qui me vient de la façon la plus rapi­de et naturelle pos­si­ble. J’aime fusion­ner com­plète­ment avec la tech­nolo­gie. Si faire l’amour à une machine était pos­si­ble, ça ressem­blerait sûre­ment à ça. »

 

Model Home (USA)

© Max D

« Mod­el Home », mai­son témoin en français. Selon Wikipé­dia – oui, il existe une page Wikipé­dia sur les maisons témoins – il est dit que dans le cas d’une con­struc­tion en cours de réal­i­sa­tion, elle sera util­isée pour être le mod­èle à suiv­re. Dif­fi­cile de dire si la musique qui se con­stru­ira à l’avenir pren­dra Mod­el Home pour exem­ple, mais elle peut. Situé exacte­ment au milieu d’un tri­umvi­rat hip-hop/musique électronique/rock, il n’y a absol­u­ment rien qui ressem­ble au groupe aujourd’hui. « Nous sommes des chercheurs sur un chemin, et nous nous sommes ren­con­trés sur le tra­jet », racon­te Pat Cain, chargée des prods. Le chemin, c’est en l’occurence Wash­ing­ton D.C., dont sont orig­i­naires les deux mem­bres orig­inels du groupe, Pat et le rappeur Nap­py­nap­pa, et rejoint l’année dernière par Maxmil­lion Dun­bar, alias Dolo Per­cus­sion, aus­si tête pen­sante du label Future Times (on est en plein dedans) sur lequel il a sor­ti cette année leur musique com­mune. En deux années d’existence, le groupe a sor­ti plus de vingt pro­jets dif­férents, dont qua­tre albums rien que cette année. « Ce que je trou­ve par­ti­c­uli­er dans notre musique, c’est qu’elle est l’expression d’une immé­di­ateté », con­fesse Nap­py­nap­pa. On veut bien le croire. Pat ajoute : « Tout ce que nous créons est l’expression d’une rela­tion entre nous, en tant que per­son­nes, le son qui en ressort, et nos col­lab­o­ra­teurs. » Pour eux, le proces­sus créatif se doit d’être total et dés­in­téressé, le tout avec une « sincérité totale ». Il est de toute façon impos­si­ble d’écouter leur musique sans imag­in­er qu’elle soit le fruit de longues séquences d’improvisations. Leur art se veut total, et pour eux, l’avenir se situe dans le dépasse­ment des sim­ples lim­ites de la musique. « Nous voulons met­tre en place quelque chose de plus pro­fond, à tra­vers la vidéo, la musique, la nour­ri­t­ure, les vête­ments, le vin, des per­for­mances con­ceptuelles plus larges. » Travaux en cours.

 

Nailah Hunter (USA)

© Angel Aura

Le qual­i­fi­catif « fonc­tion­nel » était jusqu’à présent réservé à la musique de club, mais pour­rait tout aus­si bien s’appliquer à l’ambient qui, après s’être dévelop­pée pas­sive­ment pen­dant des décen­nies, est en train de s’imposer, douce­ment mais sûre­ment, comme un style majeur, au même titre que la musique élec­tron­ique, le hip-hop ou le rock. C’est osé de le dire, oui. Cela implique donc des sub­di­vi­sions, autant qu’il existe d’émotions. Il n’y a dans le pre­mier EP de Nali­ah Hunter, Spells, sor­ti cette année sur Leav­ing, que qua­tre ingré­di­ents : sa harpe, des syn­thé­tiseurs, sa voix dis­crète, et du field record­ing. C’est peut-être ce dont on a besoin en ce moment, retrou­ver l’humanité des vrais instru­ments. « J’ai com­mencé la musique avec des leçons de piano, et en chan­tant dans des chœurs. À 11 ans, j’étais plutôt auteur-compositeur et gui­tare, j’écoutais aus­si beau­coup de musique de film. Aus­si, j’ai tou­jours été fan de fan­ta­sy, de science-fiction. Donc oui, on peut dire que mes débuts étaient plutôt éclec­tiques. » Par­mi tous ces instru­ments, c’est donc la harpe qu’elle a choisi aujourd’hui, après une longue crise de créa­tiv­ité, qui a lais­sé place à une créa­tiv­ité de la crise. Sa musique résonne avec les fan­tasmes, les mon­des imag­inés et apaisants, la musique à l’intérieur de soi. « Ce pro­jet musi­cal, c’est faire la ren­con­tre de moi-même en util­isant les out­ils que j’avais sous la main, et explor­er ce que j’avais besoin de ressen­tir. » Le but n’est pas à la démon­stra­tion mais à l’écoute intro­spec­tive. De quoi ai-je besoin. La musique comme guéri­son. Comme un mantra. C’est de cela qu’on a besoin.

 

Nubya Garcia (UK)

© Adama Jalloh

Tout comme le vinyle, qui aurait pu croire que le jazz reviendrait se faire une place sur le devant de la scène ? Depuis presque dix ans main­tenant, les vir­tu­os­es afflu­ent tous azimuts, bien sou­vent de Lon­dres comme Nubya Gar­cia, native de Cam­den, sax­o­phon­iste pas trente­naire et déjà bien enrac­inée. Bien con­nue des ama­teurs de jazz, avec une poignée d’EPs à son act­if, plusieurs col­lab­o­ra­tions et récom­pens­es spé­cial­isées, c’est plus large­ment auprès des ama­teurs de musique tout court qu’elle s’est imposée cette année grâce à son pre­mier album Source, pro­duit par Kwes (Bob­by Wom­ack, Solange, …), aux sonorités hétéro­clites et, comme tous ses jeunes con­frères, résol­u­ment mod­ernes. Pour­tant, son ini­ti­a­tion musi­cale se fait très clas­sique­ment. « J’ai com­mencé par le vio­lon lorsque j’étais jeune, puis j’y ai ajouté le piano, avant que le sax­o­phone ne s’impose. J’ai com­mencé par écouter de la musique clas­sique, et ce n’est que plus tard que j’ai été exposée à d’autres genre et influ­ences. » Mais quand un artiste qui mélange tra­di­tions et moder­nité maîtrise son instru­ment avec tant de vir­tu­osité, il est dif­fi­cile d’envisager qu’il ait pu faire le chemin inverse. Irréprochable tech­nique­ment, cela lui per­met de se focalis­er sur la dimen­sion spir­ituelle de sa musique, ce qui se ressent égale­ment dans ses mix­es sur NTS, dans ses lives, plus encore dans son album, qui fait l’éloge à la fois de l’introspection et du col­lec­tif, de l’individualité et de l’unité. Quand on lui demande si cela lui importe d’être la meilleure ver­sion d’elle-même, ou si elle préfère laiss­er les choses se pass­er de façon organique, on y retrou­ve ces deux faces d’une même pièce. « Pour moi, ce n’est pas l’un ou l’autre, ces choses exis­tent au même moment, sur le même spec­tre, et ont pour même but une hon­nêteté totale envers ma musique. »

 

Pa Salieu (UK)

Quelle que soit la réal­ité que recou­vre le terme “hip-hop” en 2020, il n’est en tout cas plus américano-centré. Pas non plus jusqu’à dire que le Royaume-Uni en est devenu le nou­v­el épi­cen­tre, mais presque. C’est en tout cas de là que sont puisées les influ­ences drill, entre autres, qui irriguent désor­mais tout le rap US ou même français. Mais can­ton­ner le jeune Pa Salieu au seul hip-hop ne lui ferait pas hon­neur. Absol­u­ment incon­nu au batail­lon jusqu’à cette année, il l’attaque dès le 2 jan­vi­er par un tube impa­ra­ble, “Front­line”, som­bre et ren­tre dedans, au flow impec­ca­ble et acéré. Vien­nent d’autres sin­gles, le fab­uleux “Bet­ty” notam­ment, et on lui colle trop rapi­de­ment une éti­quette afrobeat qui con­vient pour­tant mieux à J Hus et Bur­na Boy, à qui on l’ac­cole inlass­able­ment. Pour­tant, ces deux-là s’aventurent rarement sur les chemins plus durs qu’arpente Pa Salieu, sans vac­iller. « They don’t know about the block life », c’est la marotte de “Front­line”, lui qui est orig­i­naire de Coven­try, ban­lieue pau­vre de Birm­ing­ham. Send Them To Coven­try, le titre de sa mix­tape en forme de pre­mier Great­est Hits, est d’ailleurs une expres­sion anglaise qui sig­ni­fie ostracis­er quelqu’un, l’ignorer, le ren­dre invis­i­ble. Pa Salieu s’érige comme porte-parole de ceux-là. Mais s’adresse aus­si aux bour­reaux. « Send the to Coven­try », ils vont voir ce qu’ils vont voir.

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