2020 BTS FESTA, BTS 7TH ANNIVERSARY FAMILY PORTRAIT / Facebook

Qui sont les fans de K‑pop qui font trembler le monde ? Rencontre avec BTS Army France

par Tsugi

Les récents mou­ve­ments soci­aux dans le monde ont vu arriv­er un nou­veau par­tic­i­pant inat­ten­du : les fans de pop coréenne (K‑pop), et notam­ment du boys band BTS, qui se regroupent sous une même ban­nière, les ARMYs. À l’occasion du mou­ve­ment Black Lives Mat­ter, on a pu voir leur grande force de frappe et leur organ­i­sa­tion, don­nant au mot “armée” une trou­blante dimen­sion réelle. Saman­tha, mem­bre de BTS Army France, nous a fait ren­tr­er dans la communauté.

Un groupe de musique, ça vit avant tout grâce à son pub­lic. Cela ne saurait être plus vrai pour le boys band sud-coréen BTS : alors qu’il ne par­tait pas for­cé­ment gag­nant en 2013, il est désor­mais un mastodonte de la pop mon­di­ale, bat­tant tous les records. Cet impres­sion­nant suc­cès est notam­ment dû à la con­struc­tion d’une com­mu­nauté soudée et dévouée partout dans le monde : les ARMYs. Le groupe sait se mon­tr­er très proche de ses fans, et, chose rare dans une indus­trie coréenne très cal­i­brée, livr­er ses doutes ou s’engager dans plusieurs caus­es. En 2017, par exem­ple, les mem­bres du groupe se sont asso­ciés à l’UNICEF à l’occasion de la cam­pagne « Love Myself », pour lut­ter con­tre les vio­lences à l’encontre des enfants.

C’est sans doute cet engage­ment qui a mené l’activité des fans à dépass­er les fron­tières de la musique pour lancer des actions fortes. Après la mort de George Floyd, alors que BTS a don­né un mil­lion de dol­lars à la cause antiraciste, inci­tant ses fans à faire de même, ces derniers sont allés bien plus loin dans la mobil­i­sa­tion. Le monde entier a alors décou­vert la force de frappe que pou­vait avoir cette com­mu­nauté. Sur Twit­ter, un hash­tag raciste #White­Lives­Mat­ter a été inondé de mes­sages par les ama­teurs de K‑pop, et un meet­ing de Don­ald Trump s’est retrou­vé à moitié vide suite à la réser­va­tion de nom­breuses places par la com­mu­nauté. Au point de soulever plusieurs ques­tions : est-il pos­si­ble qu’un tel pou­voir puisse un jour être cor­rompu et util­isé à des fins plus néfastes ? Et qui con­trôle vrai­ment ces ARMYs ?

Pour éclair­cir le fonc­tion­nement de cette com­mu­nauté, Tsu­gi a con­tac­té le prin­ci­pal groupe de fans français : BTS Army France, fondé en 2017. Quo­ti­di­en­nement, ses mem­bres vont partager les actu­al­ités du groupe, organ­is­er des ses­sions d’écoute, mais égale­ment pren­dre con­tact avec médias ou mag­a­sins pour faire con­naître leurs chanteurs Coréens préférés. Ses adhérents sont plus divers qu’on pour­rait le croire, comme on peut le voir sur leur site : on y trou­ve quelques hommes et des mem­bres par­fois âgés de plus de 40 ans. Ils sont médecins, ingénieurs, man­agers, étu­di­ants en infor­ma­tique ou en langues… Par­mi eux, Saman­tha Teix­eira, une étu­di­ante en envi­ron­nement de 24 ans (qui « pleure en voy­ant l’empreinte envi­ron­nemen­tale de [BTS] ») et qui veut démon­tr­er que ce dévoue­ment envers des êtres humains qu’ils ne ren­con­treront prob­a­ble­ment jamais n’exclut pas la ratio­nal­ité et l’esprit critique.

Cap­ture d’écran du site btsarmyfrance.fr

Cap­ture d’écran du site btsarmyfrance.fr

Com­ment s’organise votre association ?

Nous sommes presque 35 mem­bres act­ifs, et cha­cun a sa ou ses spé­cial­ités : tra­duc­tions, actu­al­ité, stratégie (sur tout ce qui con­cerne les charts), vidéo, graphisme, ain­si qu’un pôle actions et événe­ments. Nous avons décidé de ne pas avoir de hiérar­chie : les per­son­nes qui ont créé l’association ne vont pas avoir plus d’impact que d’autres. Nous faisons l’essen­tiel de nos réu­nions via Dis­cord, puisque nous avons des admin­is­tra­teurs un peu partout dans le monde et en France, mais nous nous ren­con­trons par­fois en vrai, les échanges sont plus effi­caces de cette façon. Nous nous déplaçons aus­si pour aller ren­con­tr­er des pro­fes­sion­nels, comme la Fnac. Par ailleurs, nous sommes tous amis dans l’as­so­ci­a­tion et il nous arrive sou­vent de nous voir de manière informelle. Il y a beau­coup de com­mu­ni­ca­tion, entre nous mais aus­si entre les fans de BTS en général. C’est un réseau en toile d’araignée qui forme un tout com­plet, et qui s’étend dans de nom­breux pays.

On le fait pour BTS, mais aus­si pour nous-mêmes.”

Qu’est-ce qui dis­tingue BTS d’autres groupes et qui vous pousse à tant vous impliquer ?

C’est vrai­ment un tout. La par­tic­u­lar­ité de BTS par rap­port à d’autres groupes de K‑pop, est qu’ils ont eu le courage de se saisir de prob­lé­ma­tiques socié­tales. Cela peut paraître anodin, mais dans un pays avec des tabous très forts comme la Corée du Sud, il fal­lait oser. Par exem­ple, le sys­tème sco­laire coréen est très ten­du, il y a un taux de sui­cide très élevé chez les étu­di­ants à cause d’une pres­sion très forte. Et juste­ment, BTS se sont sai­sis de ce sujet dans leur chan­son « No » [parue en 2013, ndr]. Beau­coup d’entre nous sont mar­qués par cet engage­ment. Il y a aus­si le fait que ce soit eux qui com­posent et écrivent la majorité de leurs chan­sons [ce qui n’est pas le cas pour tous les groupes de K‑pop dont les chan­sons sont écrites par leur mai­son de disque, ndr], et égale­ment la trans­parence de leur com­mu­ni­ca­tion sur les réseaux soci­aux [aus­si très con­trôlés par leur mai­son de disque, ndr]. Ils font beau­coup de live vidéo dans lesquels ils vont se livr­er per­son­nelle­ment, expli­quer leur vision du monde, ce qui ne se fait pas nor­male­ment pour les groupes de K‑pop.

BTS est main­tenant un groupe impor­tant, porté par un label au chiffre d’affaires de 500 mil­lions de dol­lars. Est-ce qu’il n’y a pas une dimen­sion de tra­vail gra­tu­it dans votre activité ?

Il faut savoir que les ARMYs ont tou­jours dévelop­pé ces pro­jets de manière autonome. Ni BTS ni leur label n’ont demandé aux fans de stream­er, c’est venu de nous-mêmes. En effet, nous y con­sacrons du temps, mais nous savons pourquoi nous le faisons. On le fait pour BTS mais aus­si pour nous-mêmes. Le but final, c’est de mon­tr­er pourquoi les fans de BTS ont été touchés par ce groupe. Il y a une forme de légitim­ité à con­quérir, quelque part, et on veut expli­quer pourquoi le groupe est con­nu et mérite son succès.

La plu­part des com­mu­nautés sont con­fron­tées aux com­porte­ments tox­iques de ses mem­bres. Com­ment essayez-vous de gér­er cela ?

C’est quelque chose d’assez organ­isé depuis 2018. Nous avons des mes­sageries de groupe sur Twit­ter, et lorsque nous voyons un com­men­taire choquant à pro­pos de BTS, plutôt que d’y répon­dre indi­vidu­elle­ment, nous allons nous organ­is­er entre nous et le sig­naler. Parce qu’en effet, quand on touche à une pas­sion, on a ten­dance à réa­gir à chaud, et donc amen­er de la vis­i­bil­ité au prob­lème. D’autant qu’il y a beau­coup de fans de BTS, cela peut vite pren­dre de l’ampleur. Si le prob­lème est déjà vis­i­ble, nous allons essay­er d’être au max­i­mum dans l’information. Il y a du dia­logue et de l’éducation entre ARMYs. Nous voulons égale­ment nous détach­er du mou­ve­ment K‑pop, afin d’éviter les rival­ités présentes entre les dif­férents groupes, et les « guéguer­res » de fans.

BTS nous influ­ence et nous motive pour les actions à grande échelle.”

Quels sont vos moyens d’action ?

Ils sont dif­férents, main­tenant que le groupe est con­nu. Aujour­d’hui, il s’agit non seule­ment de pop­u­laris­er le groupe, mais aus­si de répon­dre aux engage­ments qu’ont pris les dif­férentes fan­bas­es autour du globe. Nous avons relayé de nom­breux appels aux dons, notam­ment à l’initiative de One In An Army, une branche inter­na­tionale des ARMYs spé­cial­isée dans les actions human­i­taires [en faveur de ban­ques ali­men­taires, d’associations d’aide au réfugiés d’Europe, ou aux enfants hos­pi­tal­isés, par exem­ple, ndr]. L’initiative peut aus­si venir de notre groupe, par exem­ple notre admin­is­tra­teur JJ a lancé un pro­jet pour inciter les ARMYs à faire des dons du sang. Il y a aus­si eu des cagnottes pour l’UNICEF, pour le COVID-19, et beau­coup de journées de ramas­sages de déchets. Les exem­ples sont très nom­breux et globaux, en France comme ailleurs, car les com­mu­nautés sont très autonomes là-dessus. Donc BTS nous influ­ence et nous motive pour les actions à grande échelle (Unicef, Black Lives Mat­ter, etc) et à côté nous organ­isons des pro­jets selon les envies des ARMYs et les besoins actuels.

Con­crète­ment, com­ment s’organisent ces actions ?

Si l’idée du pro­jet vient de nous-mêmes, nous organ­isons tout. Cela peut pren­dre des semaines ou des mois. Par exem­ple, en ce moment, nous souhaitons dis­tribuer des coffrets-cadeaux à des fans du groupe hos­pi­tal­isés ou dans le besoin. Si nous ter­mi­nons de dis­tribuer tous les cof­frets d’i­ci la fin de l’été, alors nous aurons mis neuf mois à lancer, dévelop­per et clô­tur­er le pro­jet. Si l’ini­tia­tive vient d’une autre ARMY, alors nous nous ser­vons de notre fan­base, qui a beau­coup de fol­low­ers et d’en­gage­ment [en par­ti­c­uli­er sur Twit­ter, ndr], pour don­ner de la vis­i­bil­ité au pro­jet et éventuelle­ment aider à l’organiser. C’est exacte­ment ce qu’il s’est passé pour les dons faits au mou­ve­ment Black Lives Mat­ter. Des ARMYs de plusieurs pays ont fait la demande, c’est remon­té à la branche inter­na­tionale One In An Army qui a mis en place la cagnotte, redescen­du chez nous en France à un niveau local, et les fans ont par­ticipé, dépas­sant rapi­de­ment le mil­lion de dol­lars. C’est une boucle d’échanges constants.

Les ARMYs ne sont pas des mou­tons qui vont suiv­re BTS aveuglé­ment. Nous sommes des indi­vidus qui réfléchissent par eux-mêmes.”

N’avez-vous pas peur que des mou­ve­ments poli­tiques ou des per­son­nes malveil­lantes cherchent à récupér­er, manip­uler ou noy­auter votre mouvement ?

Ça pour­rait arriv­er, bien sûr, mais je pense que ce serait com­pliqué. Nous avons déjà con­nu des ten­ta­tives de manip­u­la­tion, même si ce n’était pas à des fins poli­tiques, et il y a tou­jours eu quelqu’un pour lancer un sig­nal d’alarme. Beau­coup de gens cherchent à entach­er l’image de BTS, et les fans sont atten­tifs à cela. Comme je dis­ais, le réseau n’est pas linéaire, mais en toile d’araignée, et très organ­isé. C’est donc dif­fi­cile de nous manip­uler. Il faut bien com­pren­dre que les ARMYs ne sont pas des mou­tons qui vont suiv­re BTS aveuglé­ment. Nous sommes des indi­vidus qui réfléchissent par eux-mêmes. Si le groupe allait jusqu’à tenir un dis­cours qui ne nous sem­ble pas appro­prié, peut-être que nous arrê­te­ri­ons de les suiv­re. Mais cela me sem­ble peu plau­si­ble, car il y a une cohérence entre les fans et le groupe. Dans le cas où le groupe s’associe à des mar­ques qui ne cor­re­spon­dent pas tout à fait à leur image, comme Hyundai [en 2018, BTS est devenu ambas­sadeur de la mar­que auto­mo­bile coréenne, amenant une hausse sig­ni­fica­tive de ses ventes, ndr], nous ne sommes pas com­plète­ment dupes. Nous savons que le groupe fait par­tie d’une indus­trie, ce qui amène des engage­ments et des oblig­a­tions, et il faut savoir dif­férenci­er cela des engage­ments per­son­nels de ses mem­bres. C’est à cha­cun de peser le pour et le contre.