Rencontre avec Murcof & Vanessa Wagner : “On aimerait que les gens ouvrent leurs oreilles de plus en plus”

L’un est DJ et pro­duc­teur de musique élec­tron­ique et compte déjà une dizaine d’al­bums et autant d’EPs à son act­if depuis ses débuts en 2002. L’autre est une pianiste pro­fes­sion­nelle de for­ma­tion clas­sique qui tente d’ou­vrir nos oreilles à de nou­velles pos­si­bil­ités. Ensem­ble, Mur­cof et Vanes­sa Wag­n­er ont sor­ti un EP au début de l’an­née et vien­nent tout juste de dévoil­er leur pre­mier album. Statea est le fruit d’une col­lab­o­ra­tion unique entre clas­sique, ambi­ent et électronique.

Mur­cof et Vanes­sa Wag­n­er enta­ment une tournée et seront de pas­sage au Café de la Danse le 11 octo­bre. Alors qu’ils vien­nent de sor­tir un pre­mier clip pour illus­tr­er leur vision de l’oeu­vre de John Cage, “In The Land­scape”, nous avons ren­con­tré deux artistes que les dif­férences rapprochent.

Quand et com­ment vous êtes-vous rencontrés ?

Vanes­sa : Je con­nais­sais bien la musique de Fer­nan­do et on s’est ren­con­tré lors d’un work­shop organ­isé par InFiné en 2010. L’idée c’était de faire se mélanger des artistes d’horizons dif­férents donc il y avait de la musique du monde, des musi­ciens clas­siques et élec­tron­iques… Et pour ma part, j’avais don­né en début de soirée un con­cert clas­sique et puis Fer­nan­do devait jouer. On a voulu créer une liai­son entre les deux con­certs alors je lui ai pro­posé de presque impro­vis­er sur une “Gnossi­enne” de Satie, comme le rap­pel de mon con­cert, et lui a ensuite directe­ment enchaîné avec sa per­for­mance. Le pub­lic a été très mar­qué par ce moment et ça nous a don­né l’envie de com­mencer quelque chose ensemble.

Est-ce que votre pro­jet a tout de suite été de mélanger vos deux styles ?

V : Pour moi, oui. Je ne suis pas capa­ble d’improviser et je voulais con­serv­er mon rôle d’interprète clas­sique. Ca m’a tou­jours intéressée surtout depuis quelques années où l’on voit appa­raitre plein de pro­jets qui mélan­gent élec­tron­ique et clas­sique comme Ola­fur Arnalds ou Francesco Tris­tano. Et je voulais mon­tr­er com­ment l’on peut com­bin­er de la musique min­i­male avec de l’électronique. J’adore par­ticiper à ce pro­jet en tant que pianiste, c’est vrai­ment très enrichissant.

Quel a été votre pre­mier con­tact avec clas­sique et électronique ?

Mur­cof : Mon père avait un album, Jon San­to Plays Bach, qui était très sim­i­laire au tra­vail de Wendy Car­los, quand l’électronique ren­con­tre Bach. Pour moi, le tra­vail de San­to était vrai­ment mar­quant et après, j’ai dévelop­pé une cul­ture musi­cale qui allait dans les deux sens, j’écoutais aus­si bien Jean-Michel Jarre et Tan­ger­ine Dream que Stravin­sky et Pierre Boulez. La musique con­tem­po­raine m’a vrai­ment ouvert les yeux.

V : Evidem­ment, avec mon par­cours, j’ai baigné très tôt dans la musique clas­sique. Et pour ce qui est de l’électronique, j’en ai écouté quand j’ai com­mencé à sor­tir. J’ai eu une ado­les­cence très studieuse et je me suis rat­trapée tar­di­ve­ment, dans la ving­taine, en sor­tant au Queen entre autres. J’écoutais du garage et de la house et puis en gran­dis­sant je me suis tournée vers de l’électronique plus pointue. J’étais très fan de Basic Chan­nel et du cat­a­logue Warp avec Aphex Twin, Autechre… Et puis l’ambient, notam­ment fan d’un label qui n’existe plus qui s’appellait EMT, c’était formidable. 

Le pre­mier disque acheté et le dernier ?

V : Le Con­cer­to de Mozart, K488 par Daniel Baren­boim et le dernier, le nou­v­el album de Nick Cave, sublime.

M : Je ne sais vrai­ment pas… (rires). Pas­sons à la ques­tion suiv­ante et je vais réfléchir.

Que veut dire “Statea” ?

M : “Equi­li­bre” en ital­ien. On cher­chait un nom pour l’album, ce genre de chose que l’on laisse de côté jusqu’au dernier moment (rires). Il fal­lait trou­ver quelque chose qui représente nos inten­tions, en rap­prochant ces deux mon­des. On est allé à l’évidence, même si on a testé des noms plus longs, mais finale­ment on a tous accroché avec Statea.

Com­ment avez-vous com­posé la tracklist ?

V : On l’a créée au fil des mois. Il était évi­dent pour moi de me diriger vers ce réper­toire min­i­mal­iste, que je trou­ve plus naturel une fois lié à l’électronique. Beau­coup d’artistes se récla­ment aujourd’hui de Steve Reich, Philip Glass ou Satie, qui a vrai­ment été le pre­mier du genre, et les fron­tières sont de plus en plus ténues. Je n’ai jamais voulu faire un album de remix­es de Mozart ou Chopin. Donc ça par­tait de tout ça. J’ai pro­posé pas mal de pièces à Fer­nan­do, qu’on a ensuite expéri­men­té en live. Cer­taines mar­chaient, d’autres moins ou pas du tout et finale­ment ce qu’il reste sur l’album, c’est toutes celles sur lesquelles on a vrai­ment aimé tra­vailler en live. Ces pièces ont toutes un dénom­i­na­teur com­mun, elles ont une cer­taine mélan­col­ie, un mys­ti­cisme qui délivrent finale­ment les mes­sages de Statea.

Com­ment ça marche en live ?

M : Pour la par­tie live, on tente de rester proche de notre album mais en gar­dant une belle part de lib­erté. Notre inter­ac­tion varie suiv­ant les morceaux. Par exem­ple sur Satie, il n’y a pas vrai­ment de struc­ture, alors pen­dant que Vanes­sa joue au piano, je m’amuse à impro­vis­er avec des effets analogiques. On peut donc s’attendre à des acci­dents spon­tanés sur ce morceau. Ou sur la “Vari­a­tions” d’Ar­vo Pärt, c’est plutôt un mélange. Au début et à la fin, il y a pas mal d’impro mais au milieu, on doit être en par­faite syn­chro­ni­sa­tion le temps d’un pas­sage ryth­mique.
Et je me sou­viens, de l’album (rires) ! Je crois que le pre­mier que j’ai acheté, c’était Com­put­er World de Kraftwerk et le dernier, Sleep de Max Richter.

Tous vos albums sont sor­tis sur InFiné. Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur vos rela­tions avec le label ?

V : (Rires). En fait je vis avec le fon­da­teur du label depuis seize ans ! C’est Alex, mon mari donc, qui a per­mis cette ren­con­tre entre Mur­cof et moi-même, notam­ment grâce au work­shop de 2007. C’est un peu une his­toire de famille finale­ment. Il est vrai que ça tombe très bien, puisque le pre­mier disque qu’a sor­ti InFinéétait un album de piano de Francesco Tris­tano, du coup notre pro­jet colle vrai­ment bien à ceux pro­duits par le label depuis des années.

Qu’avez-vous appris grâce à l’autre ?

M : J’essaie de tou­jours entr­er dans le monde de Vanes­sa, finale­ment pas si dif­férent du mien. Elle m’a surtout aidé à com­pren­dre le fonc­tion­nement et l’émotion qu’une œuvre clas­sique peut apporter en la dis­séquant pour moi.

V : Je ne sais pas s’il m’apprend quelque chose, en tout cas ça m’apporte énor­mé­ment. Une car­rière clas­sique est extrême­ment struc­turée, la façon de faire ce méti­er est par­fois lim­itée et souf­fre d’un cer­tain con­formisme. Ma col­lab­o­ra­tion avec Mur­cof me per­met de me libér­er de tout ça et surtout de ne pas suiv­re une car­rière toute tracée. J’ai aus­si depuis plusieurs années dévelop­pé des pro­jets avec des vidéastes, des danseurs… J’essaie d’explorer des pistes pour sor­tir d’un chemin déter­miné et c’est vrai­ment ça que Mur­cof et notre pro­jet m’apporte au jour le jour. Si je n’avais qu’un seul souhait, ce serait que nos publics se mélan­gent, ceux que l’on côtoie cha­cun avec nos pro­jets solo et puis celui de notre col­lab­o­ra­tion. On aimerait que les gens ouvrent leurs oreilles de plus en plus.

Où en sont vos pro­jets solo et quel est le futur de votre collaboration ?

M : J’aimerai ouvrir le champ des pos­si­bles avec plus d’éléments visuels dans notre live, et plus d’outils de mon côté pour avoir plus de con­trôle par rap­port au piano de Vanes­sa. Peut-être dévelop­per l’aspect plus tech­nique du live pour avoir encore plus de lib­erté. Côté solo, j’ai plusieurs pro­jets avec des musi­ciens comme Lis­ten & Sam­ple, avec qui on tra­vaille sur une œuvre avec des sons en 3D. Avec Manuros, on a mon­té un pro­jet audio­vi­suel, “Explor­ing Life”, pour lequel on va s’isoler à la mon­tagne par exem­ple pour enreg­istr­er de la musique dans un con­texte unique, comme une bande-son d’un voy­age intime. Le dernier a été tourné en Sicile, c’était super. Et puis en tant que Mur­cof, je con­tin­ue bien sûr de pro­duire quelques sons mais rien de prévu en par­ti­c­uli­er pour le moment.

V : Oui, on tra­vaille sur l’aspect tech­nique du live et puis bien sûr on cherche à agrandir notre pub­lic, c’est pour ça qu’on alterne entre scènes clas­siques et élec­tron­iques pour plus d’impact. Et de mon côté, j’ai un disque Mozart et Clé­men­ti sur piano d’époque et piano mod­erne au pro­gramme et un enreg­istrement de Franz List. Et puis beau­coup de con­certs bien sûr.