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1 octobre 2015

St Germain : Une légende est de retour

par rédaction Tsugi

On n’y croyait plus trop. À intervalles réguliers dans l’histoire de ce magazine, on a tenté de percer le mystère de la disparition du plus gros carton de la french touch, St Germain. Un premier album, Boulevard, sorti en 1995 écoulé à plus d’un million d’exemplaires ; un second, Tourist, paru en 2000 qui, lui, dépasse les deux millions. Et puis plus rien. Enfin pas tout à fait. Car Ludovic Navarre fait partie de ces rares artistes, avec Bob Marley et Jimi Hendrix par exemple, qui peuvent prétendre à l’universalité intemporelle de leur musique. Euh, à la quoi ? C’est simple : vous entrez dans un bar ou un magasin à Phuket, Rio, New York, Moscou ou La Garenne-Colombes, eh bien vous avez des chances d’entendre “Deep In It” ou “Sure Thing”. Des morceaux parus il y a pourtant largement plus d’une décennie qui franchissent à l’aise l’épreuve du temps, quand tant d’imitations deep soupe ne passeront pas l’année. C’est donc avec jubilation que l’on s’est rendu par une chaude après-midi de juin du côté de Montmartre, son repaire de toujours, pour rencontrer un St Germain timide mais décontracté, très heureux de présenter sa nouvelle création. Enfin.

Sur ton nouvel album simplement nommé St Germain, le dernier titre s’appelle “Forget Me Not”. Après une aussi longue absence, c’est une crainte d’être oublié ?

Honnêtement, pas du tout. J’avoue que c’était un peu long, mais je n’ai pas senti pendant cette période que les gens avaient oublié Tourist ou ce que j’avais fait avant.

Est-ce que tu ressens de la pression ?

Plus maintenant. Mais à un moment donné, oui, j’ai eu une petite pression parce qu’il y a eu trois titres de Tourist, “Rose Rouge”, “Sure Thing” et “So Flute”, qui avaient très bien marché donc indirectement ça revenait dans mes nouvelles compositions, tout ce que je tentais pouvait leur ressembler si je partais dans le même style. Mais c’était une pression personnelle, et pas par rapport au public. J’ai donc cherché à instaurer un changement plutôt que d’installer une routine.

Juillet 2002, dernier concert à Hyde Park, tu te souviens dans quel esprit tu étais juste après avoir terminé ton dernier concert ?

Je pensais faire un break. Déjà moi qui n’aimais pas les concerts, on venait de terminer deux ans de tournée avec quasiment un concert par jour ! Et puis honnêtement je n’arrivais pas à faire évoluer le concept. Ça devenait une routine et j’avais même l’impression d’entendre un CD quand on était sur scène. Les musiciens n’arrivaient plus à être libres. Cela devenait mécanique. On était fatigués en fait.

Comment expliques-tu le silence qui a suivi ?

J’ai fait une pause pendant un an, puis j’ai produit l’album de mon trompettiste Soel. Ça nous a pris cinq,  six mois, mais je suis retombé dans la même ambiance avec les mêmes sonorités et donc je me suis dit qu’il fallait vraiment que je m’arrête pour entendre d’autres sons.

Est-ce que tu aurais pu ne plus jamais sortir d’album ?

Oui, j’aurais pu. Ce n’est pas le fait d’avoir du succès qui me motive. C’était plaisant, mais ça m’a aussi beaucoup gêné : je ne comprenais pas. J’ai toujours été un homme de l’ombre donc le succès je ne m’y attendais pas, je n’étais pas fait pour. Ce n’était pas mon objectif de faire de la scène, moi je voulais juste faire de la musique comme quand on a commencé, où on sortait des maxis à la suite sans se poser de questions.

© Benoit Peverelli

C’était aussi une crise d’inspiration…

Oui, c’est un peu ça. Au début la solution était d’aller dans ce que je savais faire, mais en évoluant. Ça m’a assez vite ennuyé. Alors je me suis dit qu’en gardant la base house/deep house il fallait que je trouve de nouvelles sonorités avec des nouveaux instruments. C’est ce qui a rendu le processus long et compliqué. Mais j’ai quand même vite pensé à l’Afrique. Je savais que ça allait être un gros chantier car j’avais déjà tenté des rapprochements entre cette musique et la house et je n’avais pas réussi. Cela devenait tout de suite vulgaire, je n’arrivais pas à mélanger les sons. Pour être honnête, sans la découverte de la deep house de l’Afrique du Sud, je ne sais pas si je serais arrivé à sortir quelque chose. Ils ont vraiment leur propre style, comme la house de Detroit ou de Chicago. J’ai adoré : les sonorités tout en finesse des pieds, des charleys, c’est jamais vulgaire et très prenant. Il y avait une piste qui commençait à prendre…

Mais comment as-tu découvert la musique malienne qui donne la couleur de l’album ?

J’ai commencé avec la highlife music du Niger des années 70, un peu funky à la James Brown. Après je suis passé par le Ghana où c’est un peu soul-funk avec des rythmes compliqués mais très dansants. Premier coup de foudre. Je voulais faire les chorus et les accompagnements mais je ne n’ai pas trouvé les musiciens pour s’occuper des rythmiques. Et de fil en aiguille je suis arrivé à la musique malienne il y a cinq ans environ. J’ai rencontré des musiciens maliens de Paris, j’ai trouvé des chanteurs et des chanteuses. Je me suis intéressé aussi à la musique des Touaregs aux différents rythmes. Tout ça m’a nourri. Sur le premier enregistrement que j’ai fait, il y a quatre ans – un morceau que je n’ai pas mis –, j’avais déjà un balafoniste, de la kora et un n’goni.

Tu parles des musiciens africains à Paris, mais toi, as-tu fait le voyage en Afrique ?

J’ai failli aller au Mali. On était en pleine recherche et le plus simple était d’aller là-bas mais quinze jours avant que je prenne le billet d’avion, il y a eu l’intervention française et j’ai dû renoncer. J’aimerais bien y aller même si je n’ai pas trop envie d’être confronté à la misère qu’il peut y avoir là-bas, c’est quelque chose qui peut m’atteindre. Je sais que ça existe, mais j’aurais du mal à le voir en vrai.

Le premier morceau de l’album, “Real Blues”, c’est un clin d’oeil à ton ancien morceau “Alabama Blues” où l’on retrouvait également un sample de Lightnin’ Hopkins ?

Oui, c’est la manière la moins violente de faire la transition avec l’album précédent. C’est sans doute le titre le plus évident. Après on entre dans un univers mélangé entre world et électro. C’est un clin d’oeil au Mali, j’avais vraiment la volonté de faire un pont entre l’Afrique et l’Occident. On va mettre la traduction des paroles dans le livret. Il y a des messages dans ces chansons. Cela peut évoquer des gens qui sont à Paris et qui pensent à leur pays, il y en a une aussi sur les gens qui ne pensent qu’au profit et à l’argent. J’adore ces voix, ces instruments. On vient de faire une semaine de répétitions pour le live. On adapte les anciens morceaux avec les musiciens maliens et dès les premières secondes où on a joué ensemble, on s’est tous regardés, épatés : “ah ouais d’accord…”

Est-ce que ta façon de travailler a changé depuis tes débuts ?

Il y a quatre ou cinq ans quand je me suis lancé dans cette recherche vers l’Afrique, j’ai voulu changer le processus. On a commencé à travailler tous ensemble en studio comme un groupe classique. Mais il n’y avait pas le déclic, c’était un peu tôt pour l’équipe. Certains musiciens ne connaissaient pas du tout l’électro, d’habitude ils jouent pour des baptêmes, des hommages à des familles. Donc mélanger leur rythme avec le nôtre, c’était un peu tôt. Et puis j’avoue que j’ai besoin de répéter, répéter. Quand on n’a pas l’habitude, on se fatigue assez vite. Je le comprends tout à fait. C’est pour ça que c’est impossible pour moi de composer avec quelqu’un, il faut que je sois seul. Je reconnais que je suis perfectionniste et tatillon, c’est pour ça que je ne suis pas un rapide.

On a aussi une image de toi très mystérieuse, une sorte d’ermite qui passerait son temps en studio…

C’est la réalité. Je suis heureux comme ça. C’est comme ça que j’ai grandi, c’est devenu une habitude.

Elle est vraie cette histoire d’accident de mobylette qui t’aurait immobilisé deux ans et donc permis de découvrir l’ordinateur et la musique électronique ?

Oui, c’est vrai, j’avais 14 ans et je ne pouvais pas me déplacer, je me suis formé comme ça. C’était des découvertes, on ne voit pas l’heure passer et je n’ai pas changé, je suis bien comme ça. C’est un événement dramatique qui a modifié ma vie. Je me suis parfois posé la question, sans cela est-ce que j’aurais fait carrière dans la musique ? Je ne suis pas sûr, je suis incapable en fait de dire ce que j’aurais fait, même si j’étais passionné par le sport.

C’est quoi une journée type de St Germain ?

Il faut vraiment le dire ? Je me lève, c’est café, studio et ainsi de suite. J’ai à peu près fait ça tous les jours pendant huit ans. C’est un besoin vital de faire de la musique, sinon je commence à être bougon. Quand je suis dedans je ne vois pas l’heure passer, je relève la tête et six heures se sont écoulées. Et c’est pire en vieillissant, je ne sais pas si c’est parce que je tourne au ralenti ! (rires) Je suis casanier, j’ai du mal à être avec les gens, ce n’est pas que je ne les supporte pas mais ça me fatigue. Je n’ai pas envie de parler des problèmes d’untel, “et lui, il a dit ça et lui a fait ça”… Ce n’est pas mon truc.

© Benoit Peverelli

Tu as grandi dans un univers musical ?

Absolument pas. Mais j’aimais la danse et la gymnastique. À cette époque il y avait l’émission télé de Sydney H-I-P-H-O-P et je faisais beaucoup de breakdance avec les copains. J’écoutais pas mal de hip-hop comme Grandmaster Flash, du funk, de la soul. Je pense que le premier disque que j’ai acheté c’était du reggae, un Bob Marley. Ce goût de la danse explique peut-être mon goût pour les musiques black. Je n’avais pas beaucoup de copains qui partageaient cette passion. Eux, c’était plus Iron Maiden, AC/DC, U2.

Est-ce que tu te tiens au courant de ce qui se passe sur la scène électronique ?

J’ai complètement lâché l’affaire à l’époque de Tourist. La house et la deep house devenaient ennuyeuses. Je me souviens que DJ Deep était d’accord avec moi. C’est sans doute pour cela qu’il est revenu à de la techno très épurée. C’est un retour aux sources assez extrême. Moi c’est moins violent, mais c’est un peu le même schéma : ne pas être dans le conventionnel, toujours évoluer pour ne pas sombrer dans la routine.

Le retour de la deep house ça te parle ?

Je peux commencer à en écouter mais au bout de cinq minutes ce n’est plus possible. Que certains m’imitent cela ne me dérange pas, moi aussi j’ai imité des gens au début pour apprendre, pour avoir une oreille. On peut le faire une fois, deux fois, mais à la troisième, il faut commencer par explorer quelque chose par soi-même.

Est-ce que tu t’es senti faire partie de la french touch ?

À l’époque, à part avec Cyril (DJ Deep), je n’étais pas trop copain avec les autres, on ne se connaissait pas. Je ne savais pas qui était dans la french touch. Les Daft Punk, on ne les voyait pas beaucoup. Quand j’arrivais dans un endroit, je m’asseyais avec mon rhum-coca et personne ne venait m’embêter ! (rires) On se disait juste bonjour mais après ça me fatiguait. Je n’allais pratiquement qu’aux soirées de Cyril au Rex. Je trouve qu’il n’a pas eu la reconnaissance qu’il mérite. Il a quand même fait découvrir la house et le garage à beaucoup de gens. Il a fait venir beaucoup de DJ’s américains pour la première fois à Paris. Maintenant il est plus reconnu pour le côté techno, c’est marrant. C’est un indépendant et un rebelle. Parfois j’avais envie de le défendre face aux gens qui le critiquaient, des jaloux. Ça me saoule ces gens-là. J’ai adoré ce personnage intelligent, il m’a aidé indirectement, il m’a inspiré.

© Benoit Peverelli

Tu es impatient de retourner sur scène ?

Après Tourist, j’avais émis l’idée d’apparaître en live par Internet et de mettre une marionnette sur scène mais l’idée n’a pas plu. (rires) Mais aujourd’hui pour la première fois, oui, je peux le dire, je suis très impatient. J’ai déjà fait une semaine de répète et à la fin je me suis dit : c’est court. Mais même quand je travaillais sur l’album, je pensais que scéniquement ça allait être incroyable. Quand le public va nous voir sur scène, les gens vont se dire : “Ah quand même, ah le petit con !” (rires)

C’est donc reparti pour deux ans de tournée ?

Oui, on m’a dit que c’était le but. Pour le moment j’ai envie de le faire, donc ça va. Ça va dépendre aussi des musiciens, s’ils se sentent à l’aise. J’aimerais quand même bien être derrière un rideau dans le noir ou peut-être en ombre chinoise, ça peut être joli… (rires) C’est pour ça que je refuse les photos et c’est pour ça qu’on est parti dans cette idée de masque pour la pochette.  Je n’aime pas ma tronche, je ne suis pas photogénique donc ça n’aide pas beaucoup pour faire des photos, dès qu’il y a un objectif je suis gêné.

On va devoir attendre quatorze ans pour un nouvel album ?

Non, j’aimerais bien continuer à approfondir cette veine, là, cet album c’est un premier jet, il faut juste que j’arrive à rencontrer d’autres musiciens africains et pousser la chose encore plus loin. Maintenant si ça se passe bien avec cette tournée, je déménagerai peut-être à l’étranger, j’aimerais bien habiter les pieds dans l’eau, faire de la voile.

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