« Taka a totalement changé ma vie » : Ahadadream, UK music sauce pakistanaise | Interview

par | 20 08 2025 | news, interview

Ahad Elley, aka Ahadadream, est l’une des figures de proue de la scène électronique du sous-continent indien. DJ et producteur, il mêle percussions pakistanaises et musique club sauce UK. À l’occasion de son passage au Cabaret Vert édition 2025, on a pu discuter avec lui juste avant son set.

C’est la première fois que tu joues en France ?

Non, mais c’est ma première fois au Cabaret Vert. Ils ont une programmation assez folle, il y a quelques légendes ici ; ma loge est juste à côté de celle de Sean Paul ! Sinon, j’adore jouer en France. La dernière fois, c’était au Sucre, à Lyon — et j’avais vraiment apprécié.

Est-ce qu’on peut s’attendre à quelques inédits ?

Je bosse sur beaucoup de titres qui ne sont pas encore sortis. Mes derniers sets m’ont permis de les tester, et j’en tire à chaque fois quelque chose de nouveau. Si tu fouilles un peu sur Reddit ou que tu vas écouter mes sets en ligne, tu peux d’ailleurs en entendre quelques un. De nouvelles collaborations avec Skrillex notamment, ou d’autres artistes de More Time (son label co-fondé avec le DJ et producteur Sam Interface).

Justement, ce que tu fais avec More Time est très orienté percussions du monde entier. Quelle est ta vision ?

C’est marrant, la plupart des gens me demandent : « Qu’est-ce que tu joues exactement ?« . C’est dur de le résumer brièvement, parce que je mêle beaucoup d’influences. Je pense avoir un son assez distinctif, avec une grande place accordée aux percussions. C’est nouveau et différent, mais pas compliqué pour autant. Je pense que les gens comprennent assez instinctivement.

Si je devais faire simple, je dirais que tout découle de la diaspora africaine. Je suis influencé par tout ce qui en émane. Par exemple, j’adore le label Príncipe Discos, de Lisbonne. La batida — ce genre de musique créée par la diaspora des anciennes colonies portugaises — est une de mes grandes inspirations. D’autres genres aussi, tel que le baile funk.

Une chose est sûre, ce n’est pas simplement la house. Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir de la place, de l’espace pour l’exploration et m’exprimer sur le dancefloor. Pour citer d’autres noms, j’aime beaucoup DJ Plead (avec qui Ahadadream a d’ailleurs produit un featuring), et Moktar, deux DJ qui incorporent des influences de la péninsule arabique.

Et évidemment, je suis aussi beaucoup influencé par tout ce qui vient du Royaume-Uni, le garage ou la grime par exemple.

Comment as-tu eu l’idée d’inclure des influences issues du sous-continent indien ?

Je pense que c’est à partir du premier EP que j’ai fait pour More Time, Movement. C’est Sam Interface qui m’a encouragé dans cette direction. Il me disait « ce que tu fais est unique« . Avant ça, j’avais peur d’explorer cette dimension-là, je le cachais un petit peu.

Et puis j’ai aussi découvert tout un univers : la culture du West Bengal sound system, des DJ jouant de la musique à travers d’énormes systèmes sons, dans la région du Bengale à l’ouest de l’Inde. Ils poussent le son à fond, avec bien sûr des basses colossales. J’aime particulièrement le duo Baalti, un des grands nom de cette scène.

Avant de devenir DJ, avais-tu déjà entendu d’autres mélanges de musique indienne et électronique ? Je pense à Ten Ragas to a Disco Beat par exemple.

Je n’ai entendu cet album que très tardivement. Tu sais, en grandissant au Royaume-Uni, il n’y avait que le Asian Network de la BBC — station visant la communauté indienne — qui m’était directement adressée. Mais je ne me retrouvais pas vraiment dans la musique que j’entendais. C’étaient principalement des styles mainstream, du genre Bollywood ou Bhangra, mais pas du tout de la musique électronique.

J’étais dans une situation assez particulière, puisque j’ai déménagé en Angleterre lorsque j’avais 11 ans. Ça a été un véritable choc culturel. J’ai été élevé d’une façon différente de celle des gens ici ; il fallait que je comprenne quelle était ma place dans cette société, et comment prendre confiance en moi. Et c’est beaucoup passé par la culture club.

J’ai passé un cap lorsque j’ai commencé à organiser mes propres soirées, les No I.D., où je n’invite que des artistes issus du sous-continent indien. Le genre est totalement libre, on peut jouer de la grime aussi bien que de la techno et même du jazz. Au départ, elles étaient toutes petites, avec pas plus de 100 à 200 personnes. J’en ai fait trois, jusqu’à ce que la pandémie nous force à nous confiner.

À ce moment-là, j’ai été approché par le local council — entendez le conseil municipal — qui voulait organiser un évènement autour de la communauté issue du sous-continent indien. Je lui ai immédiatement dit que je voulais faire un festival. Je me disais que ça serait cool d’avoir plein de salles, chacune avec de la musique différente. Pour qu’il y ait quelque chose pour tout le monde — parce que notre communauté est diverse.

La première édition a eu lieu juste après la pandémie, c’était un moment spécial. Il y avait beaucoup de monde, les gens pleuraient : c’était comme une réunion, très joyeuse. Les gens disaient « Pourquoi ça n’existait pas avant ? ».

« Taka » — ton featuring avec Skrillex — est surement ton morceau le plus connu. Comment est-ce qu’il a impacté ta carrière ?

Il y a clairement eu un avant et un après. Grâce à ce morceau, j’ai pu trouver un agent aux États-Unis, et obtenir un visa pour y faire une tournée. Surtout, lorsque mes parents ont entendu « Taka » dans une pub Apple, ils ont véritablement compris que la musique, c’est du sérieux pour moi. La BBC, où j’ai fait une résidence, ce n’était pas assez, il a fallu que ce soit Apple ! (rires)

C’est clair que « Taka » a totalement changé ma vie. Pour être honnête, je pense que je ne serais pas au Cabaret Vert sans ça. (sourire)