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25 juillet 2014

Todd Terje : l’interview super disco

par rédaction Tsugi

Avril 2014, Todd Terje vous regardait droit dans les yeux sur la couverture de notre numéro 71. On vous fait une piqûre de rappel.

Jeudi 27 février, Oslo, en plein festival by:Larm. La température est plutôt clémente pour la saison, de justesse dans le positif, mais les éléments se déchaînent quand Todd Terje pénètre dans le hall du Clarion Hotel Royal Christiania au cœur de la capitale norvégienne, qui accueille comme chaque année tous les invités du festival. Terje Olsen (son vrai nom) ne joue pas cette année au by:Larm, mais y est tout de même organisée une écoute de son album. En apercevant la couverture de Tsugi, il peste de ne pas connaître plus de trois mots de français. “Je viens d’acheter un album de Cowboy Henk (une bande dessinée belge, ndlr), en version originale, je n’ai pas pu m’en empêcher la couverture était trop belle. J’essaie de le lire avec Google Translate à côté de moi, ça donne n’importe quoi, rien n’a de sens ! (rires)”

Groove venu du froid

Que Todd Terje (prononcez “terrier”) soit fan de BD et confirme sa réputation de geek n’a rien de surprenant. Ce qui l’est davantage, c’est de retrouver le Norvégien propulsé nouvelle idole des clubbeurs et son premier album, It’s Album Time, intronisé disque messie de ce premier semestre 2014. Lui qui n’a été bien longtemps qu’un représentant cosmic-house-disco du Nord parmi d’autres (Prins Thomas et Lindstrøm, pour les incontournables), avare en productions, préférant les edits de raretés disco, voit aujourd’hui les médias de tout bord et les publics du monde entier se prendre de passion pour son groove second degré venu du froid, entre chaleur et glaces scandinaves. “J’aime Todd Terje parce que ça me donne envie de danser de manière décomplexée, de boire des piña colada, que ça me met franchement le smile, nous explique un récent converti. Il y a quelque chose de communicatif. Et puis c’est un peu n’importe quoi parfois.”

Évidemment, “Inspector Norse”, sorti en 2012, n’est pas pour rien dans ce basculement de carrière, il suffit d’un tube pour créer l’attention, mais cela fait bien une décennie maintenant que Todd Terje a sorti son tout premier maxi, Eurodans, chez Soul Jazz Records. Une expérience inaugurale dont il a retiré, jusqu’à aujourd’hui, une grande méfiance vis-à-vis du music business. “Soul Jazz avait bien vu que je n’y connaissais rien alors ils ont essayé de m’imposer n’importe quoi. Pire, parmi les 90 % de gens qui écorchent mon nom de scène, les mecs de Soul Jazz ont fait la boulette la plus lourde. Ils m’ont appelé ‘Todd Turd’ (‘turd’ voulant dire merde en anglais)… J’ai quitté la table tout de suite (rires).”

Cette première mouture d’Eurodans ne sera produite qu’à 60 exemplaires avant qu’artiste et label se déchirent à jamais. Dix ans plus tard, Soul Jazz doit s’en mordre les doigts au vu de l’intérêt que provoque l’arrivée du premier album de Todd Terje. Un exercice auquel l’Osloïte songeait à s’atteler depuis des années, avant de toujours le remettre à plus tard. “J’étais de plus en plus demandé comme DJ, toujours en vadrouille à retarder l’échéance de l’album. Et puis j’avais vraiment peur que ce soit une énorme montagne impossible à gravir, j’avais cette grande idée que mon premier album serait tout à la fois, qu’il dévoilerait toutes mes émotions et toutes mes inspirations. J’avais en modèle le premier Röyksopp qui selon moi y parvenait.” C’est finalement l’année dernière qu’il s’est lancé pour de bon, motivé par une double providence. “Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis fatigué de la scène club, mais je la trouve limitée. En restant dedans, je suis cadré par des nécessités de plaire au dancefloor, de BPM, etc. En faisant un album, je suis libre. J’ai pris conscience de cela, et au même moment m’a été annoncé que j’allais devenir père. C’était le timing parfait, je pouvais rester à la maison aux côtés de ma compagne et finir le disque avant l’arrivée de l’enfant. Finalement, ça a pris un peu de retard, le gosse a déjà quatre mois. Mais choisir via cet album de me retirer quelque peu du monde de la dance music fut une idée de génie, j’étais plus disponible chez moi.”

C’est le fantasme d’être DJ qui a amené le jeune Terje à l’électronique, mais la musique était déjà partout autour de lui. Terje a grandi à Mjøndalen, petite ville à une heure d’Oslo, avec un frère et une sœur “et beaucoup de chats, un nouveau dès que le précédent décédait”, s’amuse-t-il. Une campagne sans vie nocturne qui laissait toute la place à l’imagination. Sa mère chantait dans des chorales, son frère est encore aujourd’hui batteur pour le groupe de rock BigBang et son père grand mélomane. “Enfant, il m’emmenait dans sa voiture la nuit, je voyais défiler les lampadaires, et on passait des heures à écouter des trucs de rock à papa, les Eagles, Chris Rea, Springsteen… Ma sœur, plus âgée, ramenait de club des cassettes, des trucs horribles de dance néerlandaise, DJ Bobo… mais je m’amusais à imaginer à quoi ressemblait un club.” À 14 ans il se rêvait déjà DJ, squattait deux platines de salon de son père, tentait maladroitement de caler deux pistes. Sa sœur copinait avec DJ Erot, alias Tore Kroknes, star en devenir de la house locale et petit copain/producteur des débuts d’Annie, qui décéda malheureusement à 23 ans, suite à des problèmes cardiaques. Les cassettes d’Erot décuplèrent le fantasme de club du jeune Terje. Au même âge, il découvrait un logiciel PC sur lequel il s’exerça à faire ses premières productions, “des morceaux trance à 160 BPM, j’ai eu très peur que quelqu’un tombe dessus, je les ai donnés à mon copain Dølle Jølle. Je fais encore régulièrement des cauchemars où je le tue parce qu’il les a fait écouter. (rires)”

Des smileys sur le piano

Parallèlement à l’électronique, dès ses 7 ans et après un essai infructueux au trombone, ses parents l’ont mis au piano. “Comme tout gamin c’était la tannée pour me motiver, d’autant plus que les cours se trouvaient de l’autre côté de la rivière, à 8 heures du matin avant l’école, il faisait froid, j’étais crevé. Ma mère me faisait du chantage en échange de quelques pièces, plus tard pour le droit de passer une heure devant mon ordinateur. Mais arrivé sur place, ma prof était sympa et ça devenait agréable. Elle avait plein de smileys collés sur son piano.” L’instrument prend de l’importance, même si Terje Olsen conçoit toujours la musique comme un hobbie, craignant le côté épuisant de la vie de musicien professionnel. Il étudie le piano à l’université puis abandonne, déçu de ressasser les mêmes choses. Il se lance dans des études d’astrophysique et c’est à ce moment qu’il déniche son premier DJ-set, après cinq années passées à le fantasmer dans sa chambre. “C’était dans un pub étudiant à Oslo, il y avait peut-être deux personnes qui dansaient, mais je frissonnais, la sensation était grisante. Ils ne m’ont même pas payé. Ils m’avaient promis deux bouteilles de vin rouge, je n’en ai jamais vu la couleur.”

Les choses mettront du temps à vraiment s’accélérer, la vie nocturne d’Oslo est à l’époque assez pauvre, les DJ’s très possessifs avec les maigres places de résident. “C’est un milieu de lèche-cul, il faut serrer des paluches, être ami avec tout le monde, je suis nul à cela, j’ai toujours été trop nerd. On ne t’engage pas pour tes capacités mais pour le nombre de gens que tu peux ramener.” En 2005, encore cinq ans plus tard, il obtient avec son ami de toujours Dølle Jølle une résidence en club et crée sa première soirée, Shari Vari. La ressortie au même moment d’Eurodans chez Full Pupp lance seulement sa carrière : à sa grande surprise, un DJ, pour être demandé, doit d’abord être remarqué comme producteur. Les cachets augmentent, les premiers DJ-sets à l’étranger arrivent.

La triplette space

Prins Thomas, fondateur de Full Pupp et mentor de Terje à ses débuts à Oslo, y est pour beaucoup. Son coup de foudre pour la musique disco, peu avant, avec le “Sexy Disco” de son compatriote Torske (1999), joue aussi. “Avant cela j’avais une petite fascination pour les années 70, pattes d’eph et compagnie, j’ai rêvé de jouer devant un dancefloor disco comme dans Saturday Night Fever, mais en découvrant la musique j’ai haï ces clichés.” Terje tombe par hasard peu après sur une collection énorme de maxis disco : “J’ai reconnu quelques noms comme Larry Levan. Il y avait de la merde et beaucoup de choses formidables.” Sa passion de digger, fouillant les disquaires et brocantes, naît à ce moment. Il rencontre Prins Thomas en 2001, alors que ce dernier bosse chez un disquaire et a déjà sur lui une grosse longueur d’avance. “Il avait fait un prêt étudiant mais a finalement quitté ses études et tout claqué en vinyles. Quand je suis arrivé à Oslo il avait raflé toutes les belles prises avant moi ! (rires) On est vite devenus amis, j’ai eu le droit à ses doubles, découvert de gros classiques comme Chic. Il m’a aussi aidé à trouver des warm-ups avant lui et m’a poussé à faire ma propre musique.”

Pour compléter la triplette space-disco nordique, il rencontre quelques mois plus tôt Lindstrøm dans ce même pub étudiant où il a commencé. “Un jour il m’a invité à jouer avec lui dans un club. J’étais juste mineur (19 ans au lieu des 20 légaux, ndlr) mais ils ont fini par me laisser entrer, j’ai même réussi à boire de l’alcool. J’étais avec mon ex-copine, on était tous les deux fous de disco, elle était admirative de me voir jouer. Je lui ai passé en dédicace la face B de ‘I Hear Music In The Streets’ d’Unlimited Touch, j’avais tellement la classe”. Aujourd’hui, les trois partagent le même studio et passent leurs journées ensemble. Dès que Lindstrøm en a marre, il toque à la porte de son copain Terje et les deux parlent de bouffe pendant des heures. “Lindstrøm nous ramène tous les jours ses dernières créations, la dernière fois c’était des amandes caramélisées et épicées, délicieuses.”

En dix ans, ces trois-là sont devenus les (discrètes) stars nordiques du disco. Si chacun a eu ses moments de gloire, Todd Terje a fini par prendre aisément la tête du peloton, à la faveur de quelques singles surpuissants : “Ragysh” en 2011, “Inspector Norse” en 2012 et “Strandbar” l’année dernière. Le second, accompagné d’un clip mémorable mettant en scène cet inspecteur un peu trop fan de disco (et de drogues), lui vaudra un affront dont il rigole amèrement aujourd’hui. Une grosse radio nationale norvégienne refuse de passer le morceau, un journaliste déclarant à l’antenne qu’il sonne comme de la musique d’ascenseur. “Il n’a pas tellement tort, ça sonne un peu comme de la musique d’ascenseur… De toute façon je n’aime pas cette radio, elle ne passe que des trucs électroniques hyper clubs, avec de gros vocaux”, rechigne Terje. Il n’a de toute façon plus besoin de leur soutien. En 2012, il reçoit un appel d’Universal, qui s’empare d’“Eurodans” pour en faire un single de Robbie Williams. Au passage, Todd hérite du titre de coauteur. “Candy”, le morceau qui résultera de cette “collaboration”, décroche la première place du top anglais et même si entendre les couplets ont fait lâcher à Terje un “oh merde”, il ne crache pas sur l’argent. L’année suivante il collabore en studio au quatrième album des Franz Ferdinand, coproduisant deux titres. “Avant cela je ne connaissais que ‘Take Me Out’. Le groupe m’a assuré qu’il n’était pas content de ses deux précédents albums, qu’il voulait salir sa musique. Ce fut harassant mais fun”.

Travaillant parallèlement à son propre disque, il demande à Nick McCarthy, le guitariste de Franz Ferdinand, de chanter sur une de ses productions. Trop content du résultat, Nick choisit de garder le morceau pour son compte. Sur It’s Album Time, Terje n’invitera finalement que Bryan Ferry. Les deux se sont côtoyés quelques fois à Oslo, avant que Ferry ne demande un remix à son nouveau camarade (pour “Don’t Stop The Dance”). “Finalement l’été dernier il m’a invité à passer un peu de temps en studio avec lui, à travailler sur des instrumentaux. Puis à dix jours du terme de la production de mon album, il m’a envoyé ses voix pour une reprise du ‘Johnny And Mary’ de Robert Palmer. Ça a complètement niqué le planning mais je ne pouvais pas ne rien en faire.” Tant pis si cela casse les formats de ce premier album, Terje voulait de toute façon se couper du dancefloor et du tout-disco. “Je ne suis plus ce digger forcené. Le disco n’a pas à prendre toute la place dans ma musique. D’ailleurs le soir quand je rentre chez moi, j’écoute tout autre chose, du Crosby, Stills & Nash par exemple.”

Mister cocktail

S’il y a par contre une chose qui ne disparaît pas sur ce premier long format, c’est l’étrange humour de Todd Terje, son goût du kitsch, ses ambiances dignes de La croisière s’amuse. Jusqu’à la pochette, hommage à la série de jeux vidéo Leisure Suit Larry : des jeux à l’humour potache et adulte mettant en scène Larry Laffer, un loser habillé en costume disco qui passe sa vie à draguer et à échouer. “Je suis trop timide pour être ce genre de personnage, mais ado, à l’époque où je jouais à ces jeux, je ne pensais comme les autres qu’au sexe, comme ce mec. Voir ce vieux gars essayer de se taper des putes était assez rafraîchissant.” Parmi l’armada de pseudos qu’il a pu utiliser par le passé (Duliatten Disco Dandia, Tangoterje ou Pitbullterje), c’est planqué sous celui de Chuck Norris qu’il a poussé loin le kitsch en allant jusqu’à reprendre le “All That She Wants” d’Ace Of Base. “C’est un genre de cadeau à ma sœur, qui était fan du groupe. Je crois même que ce morceau a tué le caisson de basse de mon père. Je suis fasciné par l’idée de reprendre un mot super cheesy et d’en faire un truc très dubby, même si le résultat est moins dub que prévu. À 16 ans j’avais en tête d’un jour faire un morceau pour l’Eurovision. Heureusement que je ne l’ai pas fait, ça aurait été sacrément embarrassant.”

Il y a un paradoxe chez Terje, comme si cet humour “un peu bouffon” était là pour cacher un léger manque de second degré quand il s’agit de son image. “Je déteste tellement de choses dans le music business, à commencer par l’Eurovision ou Boiler Room : tout ce qui éloigne l’attention de la musique”. Tatillon sur ses photos de presse et sur ce qui se dit lui, il assure n’avoir jamais pris la moindre drogue, même pas un pétard, de peur de perdre le contrôle. Il n’est pas non plus fan de déguisement. “Pour un DJ-set en Indonésie, dans une grosse soirée sponsorisée par Marlborough, ils voulaient que je débarque comme un mafieux sur un bateau entouré de filles dénudées. J’ai refusé, c’était bien trop vulgaire”. Ce que Todd veut, Todd aura. Après tout, c’est lui le seul maître à bord. (François Blanc)

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