En pleine saison des festivals, une question divise les organisateurs : faut-il autoriser le torse nu dans l’enceinte des événements ? Début juillet, Peacock Society a pris position en interdisant à son public de se dévêtir. Un choix qui fait débat au sein des professionnels et des festivaliers. On décrypte.
Dans un post Instagram Instagram publié quelques jours avant son coup d’envoi, le festival de musiques électroniques Peacock Society annonçait que le port du t-shirt serait désormais obligatoire sur son site. Pour justifier cette décision, les organisateur.ices invoquaient la nécessité d’une forme de « justice spatiale » visant à garantir à chacun.e le droit « d’exister sans subir ». Cette « politique du t-shirt » s’inscrit ans une réflexion plus large des festivals sur la manière dont l’espace public est investi, notamment en fonction du genre.
Si cette annonce a relancé le débat sur le « topless » en festival, le sujet n’est pas nouveau. En septembre dernier, DJ Schnake invitait déjà ce qu’elle appelle les « techno alphas », hommes torse nu qui s’approprient le dancefloor, à « remettre leur t-shirt » dans une vidéo devenue virale sur Tik Tok.
Tous les torses ne sont pas égaux
« On est sur une disparité de considération des corps et une prise de pouvoir qui passe par le fait de pouvoir se mettre torse nu » explique Safiatou Mendy, coordinatrice de Consentis, association de prévention et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles en milieu festif. Là où tomber le t-shirt reste un « non-sujet » pour les hommes cisgenres hétérosexuels (ceux qui s’identifient au genre qui leur a été assigné à la naissance), il en va autrement pour les femmes et les hommes transgenres, qui s’exposent à des regards sexualisants et discriminants.
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La loi elle-même entérine cet écart. Si le torse nu masculin n’est pas considéré comme une infraction pénale, le topless féminin — ou plus largement celui des personnes sexisées (personnes exposées au sexisme, incluant ainsi les personnes transgenres) — peut être sanctionné au titre de l’exhibition sexuelle (article 222-32 du Code Pénal), même en l’absence d’intention sexuelle.
Dans son enquête 2025 sur le sentiment de sécurité et les violences sexistes et discriminatoires dans les milieux festifs en France, l’association Consentis met en lumière de fortes disparités de ressentis selon les publics et les lieux de fête. Si les boites de nuit, raves et bars ressortent comme les espaces perçus comme les plus insécurisants, les festivals, pour beaucoup considérés comme des lieux plutôt « safe » ne sont pas vus de la même manière par tout le monde.
Alors que ces espaces sont identifiés par les personnes cisgenres comme parmi les plus sûrs, près de 39% des hommes transgenres déclarent ne pas s’y sentir en sécurité (contre environ 11% des femmes et 5% des hommes). « Nous ne sommes pas tous égaux sur ces questions là, y compris dans des espaces qui se présentent comme sûrs et semblent avoir des publics bienveillants. » Pour Safiatou Mendy, coordinatrice de Consentis, il est nécessaire de prendre conscience de ces disparités et d’adapter les protocoles aux groupes minorisés.
La liberté de se vêtir… ou de se dévêtir
La publication Instagram de Peacock Society a suscité des réactions contrastées. Si certain.es y voient une atteinte à leur liberté de se vêtir — ou se dévêtir — comme bon leur semble, Safiatou Mendy rappelle que dans les lieux festifs, la liberté doit se penser collectivement : « Les personnes qui parlent au ‘je’ en arborant le drapeau de la liberté sont des personnes privilégiées. Quand on est minorisé, on sait que la liberté n’est pas en lien avec l’individu, mais avec le groupe ».
Pour les hommes cisgenres gays, le torse nu fait parfois partie intégrante de la culture queer house et techno. Luis Manuel Garcia-Mispireta, ethnomusicologue spécialiste des musiques et danses électroniques expliquait ainsi à Libération dans un article du 11 juillet 2025 que prohiber le « topless » dans une soirée gay où la « libération sexuelle est centrale », serait « dommageable », tandis que cette même interdiction se justifie dans des soirées mixtes où l’espace doit être « partagé avec d’autres communautés ».
Démonstration de virilité et symboles politiques
Si ce n’est pas toujours le cas, cette nudité peut parfois revêtir une signification politique. Ces derniers mois, TikTok a été envahi de vidéos au sujet des « gormitis » ou encore « go muscu », ces hommes musclés qui débarquent torse nu dans les soirées hard techno partout en France. Ils secouent les barrières, bousculent, et imposent leur peau luisante de transpiration aux autres danseurs habitués des raves pourtant supposées « inclusives ». Dans une enquête publiée en mars 2025, Street Press observait la proximité de ce nouveau public avec l’extrême droite. Plusieurs d’entre eux arborent en effet des symboles nationalistes tels que des drapeaux français ou barrés de croix de lorraine, symbole initialement associé à la résistance et au gaullisme et détourné par l’extrême droite.
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Leur arrivée dans les festivals techno est souvent associée à une « mainstreamisation » de cette culture, largement rejetée par ses adeptes de la première heure — induisant l’idée que garder ce mouvement en vase clos permettrait d’éviter ce genre de comportements. Un constat que nuance Safiatou Mendy de Consentis : « Ce nouveau public qui ne connait pas les règles de ce milieu amène des comportements problématiques, mais le milieu techno n’est pas dénué de comportements politiques à la base. C’est un milieu politique, mais pas sur tous les sujets. »
Quelles solutions ?
La question est un casse-tête pour les lieux festifs. L’interdiction pure et simple comme à Peacock Society, au-delà de susciter des controverses, peut être difficile à mettre en place. Mais pour Consentis, l’ouverture d’un dialogue sur les rapports de pouvoir dans ces espaces marque déjà un progrès : « À partir du moment où le sujet est pris en considération dans une démarche de pédagogie, on considère que c’est une bonne chose », précise Safiatou Mendy, coordinatrice de l’association.
Certains lieux comme les clubs Mia Mao ou Essaim ont pris d’autres mesures pour endiguer le phénomène. Le premier met en place une « No Phone Policy », espérant ainsi éloigner les publics les plus problématiques, tandis que le second mise sur la capacité de chacun à « s’auto-gérer ».
Pour Consentis, l’idéal serait de faire évoluer les regards sexistes portés sur les corps pour que tout le monde puisse se mettre torse nu sans que cela ne pose problème. Le chemin est encore long.