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Björk à We Love Green - Crédit : Santiago Felipe
4 juin 2018

We Love Green : Les feux de l’amour

par Patrice BARDOT

“Allo mon amour, je suis dans votre cour, donne-moi le code du bâtiment mon amour”. Le rappeur-chanteur Myth Syzer n’a peut-être pas les clés pour entrer chez sa meuf, comme il le chante dans son hit, mais il connaît parfaitement le code pour s’ouvrir les cœurs (avec les doigts) de cette septième édition de We Love Green. Son album s’appelle Bisous et cela pourrait même être le mot d’ordre d’un festival qui a baigné dans l’amour tout le week-end. Amour du public pour les artistes, amour des artistes pour le public, un échange de tous les instants qui nous a fait voir carrément la vie en rose l’espace de quarante-huit heures. Une incontestable réussite qui prend sa source dans une organisation sans faille. Alors que depuis sa création en 2011, on souvent raillé les queues interminables pour entrer, sortir, manger, boire et faire pipi – au point de rater des concerts entiers – cette année ces points (très) noirs ont été enfin résolus. Bon d’accord, si vous aviez envie d’un burger sur les 20 heures, il fallait quand même prévoir sa petite demi-heure d’attente, mais le choix était tellement vaste qu’il y avait moyen de trouver plus original comme bouffe. Comme ce stand “poisson” qui affichait au menu un savoureux “laisse pas traîner ton fish”.

Complet le samedi, bien rempli le dimanche, donc très proche de l’ambition de rassembler 70 000 personnes. Mais qui sont ces gens ? Et bien il y a de tout. Des bébés, des enfants, des familles (mention spéciale à ce couple de trentenaires bien trempés et leurs deux bambins de 4 et 6 ans, tous à fond sur Migos), des ados à boutons, des bobos “moyen vieux”, des très ieuvs, des nanas surlookées, certaines en haut talons, pratique pour se planter dans l’herbe. On a repéré aussi des mecs déguisés en sioux, plus quelques licornes gonflables, l’inévitable keum drapé dans son drapeau breton, un sac à dos Bob l’éponge, d’innombrables (dont des innommables) chemises hawaïennes, des “tongistes”, des filles en quasi-maillot de bain, une en doudoune (c’était Bonnie Banane sur scène avec Myth Syzer). Et pile vingt ans après la France qui gagne de 98, on sentait aussi un retour à la formule “black, blanc, beur” pendant ce WLG joyeusement fédérateur où on avait l’impression que tout le monde fumait le calumet de la paix. Au propre comme au figuré. Cette foule chatoyante, joliment mixée, plus le soleil, la chaleur, et les oriflammes colorés, nous ont rappelé le Coachella hédonistiquement foutraque d’il y a une quinzaine d’années, avant que les blancs friqués et surmusculés ne prennent hélas le pouvoir dans la plaine d’Indio.

Excellent baromètre pour mesurer la réussite des concerts : le nombre de personnes qui connaissent les paroles par cœur. À ce petit jeu, il y a pas mal de gagnants et on frise le carton plein. Avec des artistes dont les gens entonnent les chansons qui ne sont pas encore sorties, genre Angèle et “La Flemme” (enfin, on écrit “la flemme” mais est-ce que c’est bien le titre ?). Le samedi, Myth Syzer et Lomepal ont lancé le raz de marée hip-hop devant un parterre chantant à pleins poumons. Majoritairement féminins pour le second. Plus surprenant, pendant la tornade Migos (concert du week-end ? de l’année ?) le show est aussi dans le chapiteau (beaucoup trop petit) et à l’extérieur, où tout le monde s’égosille en pogotant sous les regards un brin épatés des rappeurs. Quelle hystérie ! Et dire qu’on prend les Français pour des quiches en anglais ! Pas de surprises du côté d’Orelsan qui a rameuté devant lui plusieurs dizaines de milliers de personnes connaissant sur le bout de leurs cordes vocales le mode “simple et basique”, malgré un Caennais un peu en pilotage automatique. On s’est aperçu aussi que les “Poésies” de Chaton comptaient nombre de fans. Grosse performance surtout qu’en face “La Fête est finie” battait son plein.

Moins de choristes le dimanche. Quelques belles envolées vocales cependant sur la hip soul de The Internet, trop indolent les Californiens pour réellement soulever l’enthousiasme. Le rageur King Krule, pas très aidé par un groupe qui se regarde trop jouer, a quand même su rallier à sa cause les idolâtres du “Dum Surfer”. Mais c’est bien le survolté Tyler, The Creator qui a raflé la mise dans un chapiteau ras la gueule, hurlant comme si c’était le dernier concert de la journée (euh, c’était le cas d’ailleurs). Ça n’a pas beaucoup chanté par contre devant Björk. Recueillement oblige. Comme prévu, cette messe dominicale a satisfait les adorateurs de la Castafiore islandaise et bien cassé les bonbons des autres. Même si la scénographie entre Peter Pan et le Livre de la jungle était ravissante, et sa robe papillon rose trop chou.

On ne fait pas que chanter à We Love Green : on y danse beaucoup également. C’est comme ça que le festival cultive sa différence avec une programmation électronique au poil. Au premier rang, Nina Kraviz : efficacité bluffante, classe sidérante, et très fun avec son jeu de capuche, un coup je te la mets, un coup je te l’enlève. L’amour pour la house de Honey Dijon fut total (on a entendu des “trop biiiiien”) et pas seulement parce qu’elle a passée l’impérissable “I Feel Love” de Donna Summer. Dan Snaith alias Caribou alias Daphni a beau avoir un look de voyageur de commerce quarantenaire (on n’a rien contre eux hein) son mix étonnement brutal a ravi. On sera indulgent avec Agoria dont c’était la première par ici de son nouveau live censé soutenir son prochain album (prévu en 2019 quand même). Un peu trop “montagnes russes” dans le rythme, un peu trop “Ibiza Style” aussi, même si ça fait toujours plaisir d’entendre “Scala” pour de vrai. À revoir vite. Et Dixon ? Bon, ben, en mode mollasson pour celui que l’on qualifie de “meilleur DJ du monde” qui heureusement ne mettait pas son titre en jeu ce week-end dans le chapiteau Lalaland. Voilà, il paraît qu’il y a eu un after. On est sagement rentré se coucher. On travaillait le lendemain. Sans aucun doute we love We Love Green. Définitivement.

Meilleur moment : Migos.  Le spectacle sur la scène et surtout devant.

Pire moment : Pas d’écran vidéo sur la grande scène. C’est con on avait oublié nos jumelles.

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