Yuksek en questions et en images
Après six années passées à faire de la musique pour les autres, Yuksek amorce son grand retour avec Nous Horizon, brillant troisième album entre disco, électro et pop. Interview en images.
Fafa Monteco
J’avais enregistré quelques démos tout seul, que j’avais décidé d’envoyer à des labels que j’aimais bien, à l’ancienne, je n’avais pas de contact. Depuis Reims, je ne connaissais pas le petit milieu. J’en ai donc envoyé à Hypnotic Music (label fondé par Fafa, ndr). Il m’a reçu chez lui, il était très sympa. Je me demande ce qu’il est devenu… Tout ça doit avoir douze ans.
Ton premier EP, Friendship Salad, date de 2002 !
Ah quand même ! Putain, c’est fou. Ces EPs ont été un peu joués par des DJs, mais c’était un début très timide, moi-même je ne jouais pas. C’est l’année où j’ai aussi lancé le festival Elektricity à Reims, mort en 2016.
Fafa Monteco était membre de Superfunk, gloire des dernières heures de la French Touch. Tu en avais conscience ?
Pas du tout, la French Touch n’était pas mon truc. J’ai découvert ça après, assez estomaqué. J’avais pourtant sûrement déjà entendu “Lucky Star”, qui est un des vrais tubes de la French Touch. Il n’y en a pas tant que ça: “Music Sounds Better With You”, “Lady”, etc.
Giorgio Moroder
Moroder n’est pas vraiment mon dieu disco. Il y a évidemment des choses fantastiques, ce qu’il a fait avec Donna Summer par exemple, mais ses bandes originales des années 80, Flashdance et compagnie, ce n’est pas du tout ma came. Je n’ai pas une vraie culture disco en fait, j’y suis plutôt venu par des gens qui l’avaient digérée, la faisaient dévier, comme James Murphy, Trevor Jackson, Ivan Smagghe, etc. À la charnière 90/2000, il y avait ce mouvement dark-disco, qui faisait référence à ce qu’était la disco du début, une musique sale, de producteur, façon Larry Levan. Une vraie musique de club, plus que radiophonique. Je préfère cet underground new-yorkais. Le dernier album de Moroder est tellement triste, je ne sais pas s’il est mal entouré ou simplement fou. Revenir à la musique pour faire du son avec Avicii… Un pionnier qui va chercher le pire de ce qui se fait aujourd’hui pour revenir, c’est tellement dommage… D’autant qu’au final, ça n’a intéressé personne.
D’où vient le côté disco de ton nouvel album ?
Il vient à la fois de ce que j’ai envie de jouer et d’entendre. Mais le disco n’est qu’une des facettes du disque. Disons que c’est une musique électronique et pop, plutôt joyeuse, influencée par le disco autant que par les débuts de Phoenix. Mon label (voir plus loin, ndlr) et les personnes qu’il m’a fait rencontrer ont nourri le disque. J’avais aussi envie de bosser avec des gens, j’avais tout fait sur l’album précédent, même chanté tout seul. Là je savais que je n’en avais plus envie. Mais je voulais quelque chose d’humain, pas comme sur le premier album où j’avais balancé des instrus par mail à des gens. Je voulais être en studio avec les invités.
Party Fine
Le label va avoir quatre ans. J’avais produit quelques albums ou morceaux pour d’autres, comme le premier Juveniles par exemple, où j’ai fait une rencontre importante, celle de Jean-Sylvain. On a noué une vraie relation, et pas seulement musicale. Quand ça s’est terminé, j’ai trouvé ça con de développer quelque chose de si enrichissant et de laisser partir le résultat comme ça. Ça a fait revenir cette envie d’avoir un label et d’aller jusqu’au bout de la création d’un disque pour d’autres.
Quatre ans plus tard, quel est le bilan ?
On continue à bosser avec la plupart des signatures, ils doivent trouver ça plutôt cool, même si on ne les a pas propulsés au rmament. On n’a pas eu de tube ou d’artiste qui a tout explosé. On s’y sent bien et il y a de gros projets, des albums comme celui de Weekend Affair et de Get A Room! Je ne cours pas après les signatures. J’ai envie de solidifier ce que l’on a. C’est humain autant que musical, j’ai envie de faire ça avec des gens dont j’aime la musique et que j’apprécie humainement, d’autant que je pro- duis la plupart des sorties du label et que ce n’est pas un projet financièrement intéressant pour moi. Il faut qu’on s’amuse.
Cathédrale de Reims
Pourquoi es-tu resté à Reims ? Pour rester isolé ?
Il y a de ça bien sûr, je ne suis pas un mondain, même si je ne suis pas sociopathe non plus… en tout cas je me soigne. Mais je n’étais pas loin de l’être il y a quelques années. Et puis j’ai un beau studio confortable dans lequel je passe beaucoup de temps, j’ai une famille et un endroit sympa où habiter… Ceci dit, tous les ans depuis quinze ans, on se dit qu’on se casse, et puis finalement non. Mais ça viendra. Reims n’est pas une ville désagréable, mais je ne vais pas dire aux gens que c’est l’endroit où il faut absolument habiter.
Il y a un problème avec la politique des Smac en France (salles de musiques actuelles, ndr). La Cartonnerie est arrivée à Reims, un bel outil avec des possibilités d’accompagnement, j’y ai fait plein de résidences. Mais j’ai l’impression que c’est un alibi pour que les villes se débarrassent de la musique et des concerts : un moyen de mettre la musique dans un cadre, loin du centre-ville, où ça ne gêne personne. J’ai l’impression que c’est une volonté politique, qui a fait diminuer les petits lieux de concerts, les bars, etc. Mais il y a eu de belles choses à Reims. Pour Elektricity la première année, on a eu 500 personnes sur cinq ou six soirées, alors que la dernière édition, même si j’avais quitté le festival depuis quelques années, réunissait plusieurs milliers de personnes par soir sur le parvis de la cathédrale.
Roman de Breton
Il y a un certain nombre d’invités sur mon disque. Juveniles, bien sûr, Kim avec qui j’avais déjà collaboré. J’ai croisé Roman en tournée, on était restés en contact et il a fini par venir à Reims, j’aime bien sa façon d’aborder la musique, sa liberté, sa patte un peu sale. J’ai rencontré les Her par Juveniles, Victor de Her faisait des chœurs sur “Truth”, mon morceau avec les Juveniles enregistré pour la première référence de Party ne. Quant à Monika, j’aimais son morceau “Secret In The Dark”, c’est la seule que j’ai contactée sans la connaître.
Malgré les invités, tu chantes énormément. Tu aimes ça de plus en plus?
Je ne me considère pas chanteur… Sur scène, c’est quelque chose que je n’aime pas beaucoup faire, même si j’aime bien enregistrer des voix en studio. Cela me fait même cauchemarder (rires), ça ne m’est pas naturel. J’ai des dates qui arrivent et il faut que je travaille, la première était aux Trans en décembre, j’étais objectivement un peu limite, je l’ai pris un peu par-dessus la jambe. Pour moi, tout est un plaisir dans la musique, sauf le chant. Il faut se faire violence, c’est un travail sur soi.
Chat
C’est marrant, je détestais les chats avant d’en avoir un, un peu comme les bébés. (rires) À cause de mauvaises expé- riences, je les trouvais incon- trôlables, ippants, capables de te sauter dessus avec leurs griffes… Le premier précepte d’un chat n’est pas d’être gentil! On a décidé d’en prendre un pour ma fille et un peu aussi pour ma nana. Et du jour au lendemain, je me suis mis à les accepter, je n’ai plus peur d’aucun chat. Le nôtre s’appelle Pym, les initiales des trois membres de ma petite famille.
Marguerite & Julien (de Valérie Donzelli)
C’est une nouveauté dans ma carrière, les bandes originales, La première, c’était pour un lm italien, Senza Nessuna Pieta, un film de mafia, sur lequel j’ai travaillé avec un compositeur italien, je me chargeais des nappes, ambiances, etc. La seconde c’était un film pour Arte, une pièce de Bergman jouée par Sophie Marceau, adaptée pour un téléfilm, un monologue où elle marche pendant une heure et demie en lisant un texte de Bergman, en devenant folle petit à petit. Plutôt raide donc (rires), mais un travail très intéressant. Et enfin Marguerite & Julien. Valérie avait pris un de mes morceaux pour son film La Guerre est déclarée, je n’étais même pas au courant, je l’ai appris en voyant le film, époustouflé. Plus tard, on m’a proposé de composer pour Marguerite & Julien. J’ai commencé à travailler sur quelque chose et on s’est rendu compte que la musique n’allait pas du tout avec les images. Alors on est reparti sur une bande originale plus classique, plus baroque, j’ai su qu’ils avaient hésité à me la confier… Je ne l’avais jamais fait. Et j’ai fini par composer pour un orchestre de soixante personnes. J’ai envie de continuer à composer pour des films, c’est un plaisir incroyable.