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© Liv Hamilton
31 août 2023

Puma Blue : « C’est un album sur la mort, mais j’y parle aussi d’amour »

par Tsugi

On l’a présenté comme le Chet Baker de l’âge numérique, mais sur Holy Waters, Puma Blue allie saxos, trip-hop, Radiohead et Jeff Buckley dans un grand album clair-obscur.

Jacob Allen est insomniaque depuis ses 10 ans. C’est d’abord pour tromper la solitude de ses longues nuits qu’il a commencé à écrire sous le nom de Puma Blue. De ces insomnies naquirent Swum Baby (2017), puis quatre autres EPs vaporeux, qui s’élèvent dans une nuit bleue comme la fumée d’une clope mal écrasée. « Ces EPs, c’était mon cœur qui saignait, définit Allen de sa voix de velours, à l’aise dans un cardigan gris. Mon premier album, In Praise Of Shadows, traitait du problème que les insomnies représentaient dans ma vie. Mais aussi de vaincre certaines douleurs. » Bête nocturne, Allen samplait alors un morceau de la BO d’Eternal Sunshine Of The Spotless Mind, le film de Michel Gondry dans lequel deux âmes sœurs cherchent à se retrouver dans leurs rêves. Sur son nouvel album Holy Waters, le mot « dream » revient six fois : déposé comme un baiser au cœur de la complainte à la Elliott Smith « Dream Of You » ; lâché du bout des lèvres, comme craintif, sur l’incandescente « Hounds », épique descente aux enfers trip-hop sur laquelle le fauve singe Radiohead, chante comme Jeff Buckley et distille une ambiance à la Massive Attack avant de se crasher dans une explosion jazz qui enverrait Jack Kerouac à l’hosto.

« Holy Waters vient également de sensations éprouvées tard dans la nuit ou tôt le matin. Mais dans un état plus conscient, avec plus de contrôle. C’est un album sur la mort, mais j’y parle aussi d’amour. » Allen a rencontré quelqu’un qu’il aime assez pour avoir quitté son Angleterre natale, direction Atlanta. Depuis, le crooner maussade dort mieux. Sans être totalement sorti des ténèbres pour autant. Sur « Hounds », il parle d’être éveillé dans un espace qui s’apparente à un enfer. « C’est comme être piégé dans des limbes. Je l’ai écrite alors que je me sentais très seul et dépressif. C’était comme vivre dans un niveau de l’enfer. » Si quelques éclaircies (la très douce « Pretty« ) filtrent à travers Holy Waters, ce deuxième disque demeure un nuage sombre éclairé par des lumières de lampadaires. À la fenêtre d’une barre d’immeuble, on visualise le poète fumer des cigarettes dont les fraises rougissent comme les lanternes qui coiffent les grues d’une métropole endormie, assommée par la chaleur estivale.

 

 

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À écouter « O, The Blood!« , on dirait que vous n’aimez pas trop l’été. Vous y chantez: « My blood has run cold. When the summer’s too long. Oh this summer’s too long. » Vous trouvez que les étés vont mal avec vos humeurs sombres?

On peut dire ça. Ce sang qui avait l’air de devenir froid alors qu’il faisait chaud dehors me faisait me sentir comme une coquille vide. Mais c’est une vieille chanson ! La seule de l’album. Elle date de 2016. Je me souviens de l’avoir écrite durant une période de souffrance. J’avais hâte qu’elle se termine. Maintenant, l’été est un de mes moments préférés de l’année.

 

J’ai lu que vous dormiez mieux, aussi ?

Oui ! Quand j’écrivais In Praise Of Shadows, j’éprouvais enfin un peu de soulagement après avoir rencontré ma nouvelle compagne. L’album parlait du contraste entre l’insomnie et mon état d’alors. Je me sentais en paix. Mais ma relation au sommeil est encore plus profonde qu’avant. J’ai beaucoup lu sur les rêves. Chaque nuit, j’invite des rêves. Le matin, je me réveille avec des images très vives et j’écris deux pages sur ce que je viens de voir. Les chansons viennent beaucoup de ce que je vois quand je dors. Sur « Mirage », je pense voir quelqu’un qui est en fait mort. Je suis éveillé, mais quand tu penses voir quelqu’un qui est mort, c’est un peu comme un rêve. Ça m’est arrivé l’autre jour. J’allais faire les courses et j’ai cru voir ma grand-mère. Cette dame avait les mêmes cheveux, elle se tenait de la même façon. Pour une seconde, c’était elle. J’aurais aimé traverser la route et dire bonjour à ma grand-mère. La chanson « Epitaph » parle d’elle.

 

« Holy Waters est un album sur la mort, mais j’y parle aussi d’amour. »

 

Sur « Epitaph », vous parlez de dessins au crayon de couleur sur les murs d’une cave. C’était chez elle ?

Oui. Tout ce dont je parle dans cette chanson est réel. Ma grand-mère avait un cellier très froid. J’ai encore la sensation d’être pieds nus sur ce sol. Les murs étaient couverts de petits dessins que ma sœur et moi avions faits. Et des sculptures en spaghetti de ses élèves. Elle était institutrice. C’était touchant de se souvenir d’elle pour ce titre, de comment elle devait toujours penser à nous à chaque fois qu’elle descendait à la cave.

 

Sur la fin de chaque vers de ce morceau, vous sonnez un peu comme Elliott Smith. C’était volontaire ?

J’adore Elliott Smith. Surtout son premier album, Roman Candle. Sa manière de jouer de la guitare a beaucoup inspiré ma façon de jouer et d’écrire des chansons. Mais, étrangement, quand j’enregistrais la voix de celle-ci, je pensais à Anthony Kiedis (le chanteur des Red Hot Chili Peppers, ndr) ! À « Hard To Concentrate« , qui est sur Stadium Arcadium, à son phrasé. Presque comme du spoken word. Je me demandais comment Anthony Kiedis chanterait cette chanson. Il est sous-évalué. Il ne peut pas chanter comme Jeff Buckley ou Janis Joplin, mais il a une approche très cool. On ne prend pas les Chili Peppers assez au sérieux. Ce n’est pas grave, parce qu’ils amusent… Mais ils occupaient une grande place dans mon cœur quand j’étais ado.

 

On entend aussi du Jeff Buckley sur « Hounds ». Notamment quand vous dites « all my fears ». Il a beaucoup influencé votre chant ? 

Puma Blue

© Liv Hamilton

Attention, je peux parler de Jeff Buckley toute la journée. Il était si spécial. J’aurais aimé le rencontrer. Ou, au moins, entendre ce qu’il aurait fait s’il avait vécu plus longtemps. Il avait en lui plus que ce qu’un être humain devrait avoir. C’est de la musique pure, comme Donny Hathaway. Si vrai, si réel, si beau. Et audacieux. On parle toujours d’à quel point sa voix était jolie. Mais il savait aussi jouer avec le laid, avec les dissonances. Ses albums live font partie de ce que la musique a de plus beau. J’essaie de lui rendre hommage, de jouer avec cette idée : et si Jeff Buckley et D’Angelo avaient pu collaborer ? Et s’il existait un espace entre la musique R&B et soul que j’aime et les musiques sombres, qui te hantent, de gens comme Jeff ?

 

En parlant de sombre, sur « Falling Down« , un vers dit « some shade creeps into my heart. » Qu’est donc cette ombre qui rampe vers votre cœur ?

Une lourde bassesse. À laquelle tu penses pouvoir échapper. Quand il t’arrive d’être heureux, tu penses que tu te sentiras bien pour toujours. Cette chanson parle du sentiment de frustration que tu ressens quand tu es au fond du trou, en colère, et que tu n’arrives pas à croire que le poison s’est une nouvelle fois instillé dans ton sang. C’est moins une chanson sur la tristesse que sur la frustration qu’elle engendre. L’ombre, c’est la « dark side of the moon » qui coule sur ton cœur.

 

En 2018, vous déclariez avoir l’ambition de sonner à la fois comme le Sinatra de In The Wee Small Hours et Radiohead. Félicitations, on entend Radiohead sur plusieurs titres et votre voix rappelle celle de Thom Yorke sur « Too Much, Too Much » et « Mirage ».

C’est mon groupe préféré, alors merci ! Ils sont toujours en train d’explorer. Je ne veux pas sonner comme Radiohead au sens d’être dans le même style qu’eux. Ils sont plus rock que moi. Mais j’entends des choses dans leur musique que je veux explorer aussi. Thom Yorke est fan de Jeff Buckley. Donc on sonne comme deux fans de Jeff. Mais quand je chantais la fin de « Too Much », quand la batterie commence à frapper, que la chanson change et que la voix revient, je pensais à la façon dont Thom chante sur « House Of Cards ». À la façon dont sa voix est distendue. J’avais envie de faire quelque chose de similaire, qui prend presque trop de place. Comme si quelqu’un avait monté ma voix à onze.

 

« Les peintures classiques de quelqu’un comme Pieter Brueghel l’Ancien m’ont inspiré sur cet album. Peut-être parce qu’elles regardaient la mort de façon très simple. » Puma Blue

 

En 2021, vous disiez à Atwood Magazine que votre musique était « bleu foncé et orange brûlé », mais qu’In Praise Of Shadows avait des couleurs plus pastel, « rosied et sauvaged, presque comme un lever de soleil. » De quelles couleurs est fait Holy Waters ?

Je vois Holy Waters comme un tableau de la Renaissance. Ou une peinture d’un temps où les peintres faisaient des ciels romantiques, avec d’horribles couleurs, comme des ecchymoses : des violets, des rouges, des bleus, du mauve. Je vois l’album comme ça. Comme si quelqu’un avait pris une palette de couleurs et l’avait salopée. C’est plus viscéral. C’est la couleur la moins propre avec laquelle j’ai peint. La couleur d’une contusion. Les peintures classiques de quelqu’un comme Pieter Brueghel l’Ancien m’ont inspiré sur cet album. Peut-être parce qu’elles regardaient la mort de façon très simple. En essayant de lutter pour l’accepter. Ces peintures du XVIe siècle sont effrayantes, mais je ne sais pas si elles voulaient l’être. Elles présentaient juste les choses comme elles étaient.

 

Vous vouliez qu’In Praise Of Shadows soit plus positif que vos EPs. On ne peut pas dire qu’Holy Waters est plus positif que son prédécesseur. Il se termine par une chanson intitulée « Light Is Gone »…

La lumière n’est plus, oui. Mais deux concepts opposés peuvent être vrais au même moment. « Pretty » parle du fait
que je me sens beau grâce à ma copine. Mais je me sens laid en même temps. Sur
« Epitaph », je suis heureux de me souvenir de ma grand-mère, mais aussi triste qu’elle soit partie. La vie est sombre et lumineuse à la fois. C’est un monde très beau et très sombre que nous habitons.

 

Cet article est issu du Tsugi 162 : hymnes, anthems, bangers, hits parade : où sont les tubes ?

 

Thomas Andréi

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