šļø AprĆØs cinq ans dāabsence Fishbach nous raconte son retour avec un nouvel album
Cinq ans ont passeĢ depuis lāapparition fulĀguĀrante de FishĀbach marqueĢe sous le sceau des anneĢes 1980. Le retour de la jeune femme, aperçue dans la seĢrie VerĀnon SubĀuĀtex, eĢclate dāune nouĀvelle couleur, plus futurĀiste et luxĀuĀriĀante. Rencontre.
InterĀview issue du TsuĀgi 147 : Radio ActivĀiĀty, La folle hisĀtoire des radios musiĀcales : des pirates aux webraĀdios, disponible Ć la comĀmande en ligne.
Dāune Ć©lecĀtion prĆ©siĀdenĀtielle Ć une autre. En 2017, nous entrons en Macronie lorsque FloĀra FisĀchbach deĢboule avec AĢ ta merĀci. EĢvoquant autant DesireĀless que Depeche Mode ou SpanĀdau BalĀlet, ce preĀmier album charisĀmaĀtique repousse autant quāil seĢduit. CerĀtaineĀment cliĀvant. Ce qui nāest pas pour nous deĢplaire. Cinq ans plus tard, alors que lāon sāappreĢte aĢ glissĀer un nouĀveau bulĀletin dans lāurne, cette femme sauvage aĢ lāapparente froideur revient devant les eĢlecteurs de la chanĀson. Ni tout aĢ fait ni le meĢme, ni tout aĢ fait un autre, Avec les yeux sāaffiche beauĀcoup plus comĀplexe, tant en musique que dans les textes, que le simĀple deĢcalque des anneĢes 1980 dans lequel ses deĢtracteurs veuĀlent aĢ tout prix lāenfermer. Bien suĢr, cette āfameuseā deĢcennie brille sur āMasque dāorā ou āTu es en vieā, mais FishĀbach, deĢsormais jeune trenteĀnaire, deĢmontre surtout une capaciteĢ aĢ sāaffranchir des eĢtiquettes pour deĢvelopper sa proĀpre idenĀtiteĢ. ChanĀson maxĀiĀmalĀiste, sideĢrante, meĢlancolique, ouĢ elle pousse non sans humour les modĀuĀlaĀtions de sa voix dans ses derniers retrancheĀments. AĢ fleur de peau, la chanteuse surfe sur les notes syntheĢtiques en dessiĀnant des āArabesquesā meĢlodiques qui posĀtuĀlent sans probleĢme au somĀmet des Top 50 dāhier, dāaujourdāhui et surtout de demain.
Quand je tāai intervieweĢe pour ton preĀmier album, tu māavais dit āil faut faire attenĀtion aĢ la fulĀguĀrance, elle peut eĢtre treĢs rapiĀde dans la monteĢe comme dans la descenteā. Ce risque existe-t-il encore ?
Je nāen sais rien. Jāai deĢjaĢ la chance de sorĀtir un deuxieĢme album parce que jāaurais pu māarreĢter apreĢs le preĀmier. Mais comĀment va-t-il eĢtre reçu ? (Elle reĢfleĢchit) ForceĢment, cela ne sera pas la meĢme chose. Tant mieux, sinon ce serait de la rouĀtine, et on ne fait pas ce meĢtier pour ça. La fulĀguĀrance, cāest norĀmal pour un preĀmier album. Cāest une deĢcouverte, donc cāest exciĀtant ausĀsi bien pour les gens qui le reçoivent que pour les gens qui le donĀnent. Quand jāeĢtais plus jeune, jāaspirais ausĀsi aĢ des choses plus fulĀguĀrantes. Je ne pense pas que je sois assagie, mais je muĢris donc je me fais moins peur.
As-tu ressenĀti une forme de pression ?
Oui, mais surtout celle que je me colle : āQuāest-ce que je veux dire ? Quāest-ce que je veux faire ? Est-ce que je suis dans le controĢle ou est-ce que je conĀtinĀue dāagir de manieĢre instincĀtive ?ā Inutile de te dire que jāai choisi la secĀonde option. Sinon, je suis assez sereĀine. Comme je suis de nature pesĀsimiste, je serais presque plus rassureĢe si cāeĢtait plutoĢt un four quāun succeĢs. (rires)
Que serait un four pour toi ?
Que je me retourne sur ce que jāai fait, et que je pense que ce nāest finaleĀment pas terĀriĀble. Mais jāai pris le temps et je nāai aucun regret. Jāaurais bien voulu sorĀtir des choses plus toĢt, mais sur de plus petits forĀmats. Jāaime bien eĢcouter des EPs quaĀtre titres. Pour moi un album huit morceaux, cāest parĀfait, bon laĢ jāen ai mis onze. (rires) Ma vie de FishĀbach a eĢteĢ treĢs intense. AĢ un moment donneĢ, on se demande qui on est, qui on est devenu. Il a falĀlu que je prenne un peu de recul, je me suis occupeĢ de ma vie perĀsonĀnelle. Ce nāeĢtait pas du luxe.
Comme un besoin de te retrouĀver avec toi-meĢme ?
Oui, mais cāest comĀmun aĢ beauĀcoup dāartistes. Il y a eu en plus cette crise. Au moment ouĢ jāeĢtais preĢte aĢ māy remetĀtre, aĢ voyĀager, il y a eu une introĀspecĀtion imposeĢe. Pause. Pas trop le choix. Le preĀmier morceau que jāai eĢcrit, cāest āMasque dāorā en 2018. Puis jāai comĀposeĢ treĢs lenteĀment jusquāen deĢcembre 2020, ouĢ jāai eĢcrit āDans un fou rireā. Ce nāest pas deux ans de traĀvail tous les jours. Je ne suis pas une workaĀholic meĢme si jāadore ce meĢtier : tous mes amis sont artistes et lāon en parĀle en perĀmaĀnence. Mais jāaime bien ausĀsi prenĀdre le temps, lire un bouquin, me promenĀer en foreĢt. Je crois que cāest treĢs imporĀtant. Je pourĀrais gagĀnĀer plus, touchĀer plus de monde, mais je suis bien avec ma petite vie calme. Jāaspire aĢ quelque chose dāassez ordiĀnaire en fait. Lāordinaire cāest merveilleux.
OuĢ voulais-tu nous teĢleĢporter avec ce secĀond album ?
Pour le preĀmier disque, comme son nom lāindique, jāeĢtais aĢ la merĀci de lāautre, de lāauditoire, aĢ la merĀci dāun amour assez soufĀfreĀteux. Avec les yeux, cāest plutoĢt lāaventure. On est un peu reĢconcilieĢe avec soi-meĢme, avec le monde. On est moins amoureuse, cāest plus un disĀcours inteĢrieur. Jāai envie que les gens dansent avec eux-meĢmes avec ce disque.
Tes textes, meĢme ceux que tu nāas pas eĢcrits, sont touĀjours sujets aĢ de mulĀtiĀples interpreĢtationsā¦
La douĀble lecĀture, cāest imporĀtant parce que les morceaux vont vieilĀlir. Cāest un meĢtier quand meĢme treĢs schizophreĢne, chanteur. Tous les jours on dit la meĢme chose et dans un monde ouĢ on doit cacher ses senĀtiĀments, eĢtre dans le controĢle de soi, on nous pousse aĢ exacĀerĀber justeĀment nos senĀtiĀments. Et penĀdant des anneĢes, il va falĀloir chanter les meĢmes chanĀsons. Sāil y a un morceau que je nāaime plus, mais que les gens adorent, je suis obligeĢe de le jouer sur sceĢne. Et pour lāaimer sans cesse, il faut lui laissĀer de lāespace dans son interpreĢtation. Jāadore quand on me demande : āMais quāest- ce que tu as voulu dire dans cette chanĀson ?ā Je leur reĢponds souĀvent : āEt toi tu pensĀes quoi ?ā Alors les gens me raconĀtent des trucs beauĀcoup plus inteĢressants que ce que jāai voulu dire aĢ la base. Mais je ressens la meĢme chose : comĀbiĀen de morceaux de MyleĢne Farmer ai-je eĢcouteĢs penĀdant des anneĢes, avant de me dire un jour que je nāavais pas comĀpris ce quāelle avait voulu dire ? Je trouĀve cela geĢnial.
MusiĀcaleĀment, Avec les yeux est plus luxĀuĀriĀant, avec une ambiance plus futurĀiste je trouĀve. Quel roĢle a joueĢ Michael DeclerĀck (proĀducĀteur pour GasĀpard AugeĢ ou Her, ndr) ?
Il a renĀdu le truc plus patate. AĢ la base, je proĀduis mes arrangeĀments, car jāenvisage les chanĀsons dans leur inteĢgraliteĢ. Mais on a rejoueĢ des syntheĢs, on a enregĀistreĢ avec de vrais musiĀciens parce que je suis une pieĢtre guiĀtariste. Pareil pour les voix. On a surtout passeĢ beauĀcoup de temps ensemĀble aĢ eĢtre amis, aĢ rire, aĢ eĢcouter de la musique. Ensuite, le traĀvail en lui-meĢme est alleĢ assez vite. On bosĀsait sur du sound-design, des couleurs de caisse claires. Je lāembeĢtais laĢ-dessus, je suis un peu chiĀante, car une caisse claire, soit ça date une eĢpoque soit ça lāantidate. Ce disque, cāest un peu Matrix meĢdieĢval. (rires)
Les anneĢes 1980 sont quand meĢme touĀjours preĢsentes. Dans āTu es en vieā, il y a un coĢteĢ rock proĀgresĀsif aĢ la JourĀney ou Foreignerā¦
Ça me fait super plaisir que tu me disĀes ça. EffecĀtiveĀment jāai vraiĀment beauĀcoup eĢcouteĢ ce genre de musique dernieĢrement. Parce que mainĀtenant, jāai une bagĀnole et jāadore conĀduire. Je suis une fille de routiĀer et ma meĢre aurait voulu devenir pilote de ralĀlye. Moi ausĀsi, jāaurais pu faire ça si jāavais passeĢ le perĀmis plus toĢt. La musique que lāon passe en voiture nāest pas la meĢme que celle que lāon eĢcoute en marchant ou dans son salon. Cāest treĢs clicheĢ, mais jāai eĢcouteĢ des āroad songsā : BonĀnie Tyler, des trucs treĢs āguiĀtar heroā, treĢs glam. Je me suis fait plaisir sur ce morceau que jāadore.
LāeĢtiquette Fishbach/anneĢes 1980 est quelque chose qui tāagace ?
Pas du tout. Les eĢtiquettes, on ne peut pas batailler conĀtre. De toute manieĢre, cāest vrai, je conĀsomme beauĀcoup de musiques des anneĢes 1980. Jāadore ça. On entend souĀvent les gens dire : āQuand est-ce que ça va se terĀminĀer ce revival anneĢes 1980 ?ā Mais cela fait au moins vingt ans que cela dure ! Les anneĢes 1980, ce nāest pas forceĢment un style. Il y a un son, une audace dans la proĀducĀtion. Les mecs ont deĢcouvert les syntheĢs, les effets, ils sāeĢclatent. Notre eĢpoque est trop seĢrieuse. Les anneĢes 1990 cāeĢtait cool ausĀsi, parce que cāest une deĢcennie ouĢ telleĀment de styles sont apparus. CāeĢtait treĢs audaĀcieux, mais ausĀsi treĢs segĀmenteĢ : il y avait la techĀno, le grunge, le hip-hop, lāeurodance. Il nāy avait pas de passerelles. Aujourdāhui, il y a lāhyper pop, avec des artistes qui puisent dans tous les styles en meĢme temps. Cela donne des choses aberĀrantes, satureĢes, mais jāadore, comme ascenĀdant vierge. Je suis fan de Mathilde FerĀnanĀdez, je me sens treĢs proche dāelle artisĀtiqueĀment, alors que lāon fait des choses treĢs diffeĢrentes. Je suis heureuse que des artistes comme elle exisĀtent. Je pourĀrais citer ausĀsi Hubert Lenoir, Kirin J CalĀlĀiĀnan ou CarĀoĀline Polachek. Ils font tous de lāhyper pop. Cāest treĢs inspiĀrant. Par exemĀple, je me sens plus proche musiĀcaleĀment de Kirin que de JuliĀette Armanet. Je ne me consideĢre pas comme āvarieĢteĢ françaiseā. JāeĢcris des chanĀsons en français parce que jāadore ça et cāest ma langue, mais je pourĀrais le faire ausĀsi en anglais. Cāest plus la musique qui māinteĢresse et surtout jāadore les plaisirs coupables, la musique des vieilles feĢtes foraines. Je nāen ai pas honte. Dāailleurs, souĀvent quand je cherche des paroles de morceaux que jāaime bien, je les trouĀve sur le site Bide & Musique. (rires)
Que tāa apporteĢ ton expeĢrience dāactrice dans VerĀnon SubĀuĀtex ?
En 2018, jāai terĀmineĢ ma tourneĢe et enchaiĢneĢ direct avec la seĢrie. Du coup, je nāai pas eu le spleen de passĀer dāune sorte de rouleau comĀpresseur aĢ une peĢriode de totale inacĀtiviteĢ. Cela māa perĀmis ausĀsi de ne pas eĢtre moi. Et ça fait du bien, car cāest un meĢtier treĢs eĢgocentreĢ chanteuse. DernieĢrement, jāai eu dāautres expeĢriences dāactrice et jāai trouĀveĢ cela super. Mais je nāeĢchangerais pas cela conĀtre chanteuse. Ce qui est geĢnial dans la musique, cāest que meĢme si perĀsonĀne ne nous eĢcoute, on peut conĀtinĀuer aĢ en faire, alors que la comeĢdie, si perĀsonĀne ne veut nous faire jouerā¦
Pourquoi es-tu revĀenue habiter dans les Ardennes ?
Jāy suis retourneĢe en 2018 apreĢs VerĀnon SubĀuĀtex. Jāavais un appart aĢ Paris et jāavais un voisin vraiĀment horĀriĀble qui me pourĀrisĀsait la vie. PourĀtant, je ne suis pas chiĀante, les gens qui font du bruit, je māen fous. Mais jāeĢtais obligeĢe de deĢmeĢnager et je me suis demandeĢ : āPourquoi je reste aĢ Paris, quāest-ce que jāen ai aĢ foutre en fait ?ā Ces dernieĢres anneĢes, jāai malĀheureuseĀment eu beauĀcoup de deĢceĢs dans ma famille, donc il falĀlait que je profĀite des perĀsonĀnes que jāaime. CāeĢtait le moment de revenir un peu sur mes terĀres. Avec ce meĢtier, jāai le luxe de pouĀvoir habiter nāimporte ouĢ. Je suis neĢe aĢ la camĀpagne et jāaime bien ça. Paris cāest super, jāadore les clubs, les restauĀrants, mais cāest intense et il y a une sorte de monĀdanĀiteĢ qui ne me plaiĀsait pas. Ce que jāaime cāest jouer, comĀposĀer de la musique et je voulais eĢtre dans lāintrospection, la nature. Comme je lāai dit, jāaspire aĢ une vie ordiĀnaire. PeutāeĢtre que je ne resterai pas touĀjours laĢ-bas, mais jāeĢprouve un grand eĢquilibre dans ma maiĀson en bois dans la foreĢt, avec mon chien et des potes qui vienĀnent faire un barĀbeĀcue et boire un verre de vin.
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