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Ā© Jules Faure
7 mars 2022

šŸ—žļø AprĆØs cinq ans d’absence Fishbach nous raconte son retour avec un nouvel album

par Patrice BARDOT

Cinq ans ont passeĢ depuis lā€™apparition fulgurante de Fishbach marqueĢe sous le sceau des anneĢes 1980. Le retour de la jeune femme, apercĢ§ue dans la seĢrie Vernon Subutex, eĢclate dā€™une nouvelle couleur, plus futuriste et luxuriante. Rencontre.

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D’une Ć©lection prĆ©sidentielle Ć  une autre. En 2017, nous entrons en Macronie lorsque Flora Fischbach deĢboule avec AĢ€ ta merci. EĢvoquant autant Desireless que Depeche Mode ou Spandau Ballet, ce premier album charismatique repousse autant quā€™il seĢduit. Certainement clivant. Ce qui nā€™est pas pour nous deĢplaire. Cinq ans plus tard, alors que lā€™on sā€™appreĢ‚te aĢ€ glisser un nouveau bulletin dans lā€™urne, cette femme sauvage aĢ€ lā€™apparente froideur revient devant les eĢlecteurs de la chanson. Ni tout aĢ€ fait ni le meĢ‚me, ni tout aĢ€ fait un autre, Avec les yeux sā€™affiche beaucoup plus complexe, tant en musique que dans les textes, que le simple deĢcalque des anneĢes 1980 dans lequel ses deĢtracteurs veulent aĢ€ tout prix lā€™enfermer. Bien suĢ‚r, cette Ā«Ā fameuseĀ Ā» deĢcennie brille sur Ā«Ā Masque dā€™orĀ Ā» ou Ā«Ā Tu es en vieĀ«Ā , mais Fishbach, deĢsormais jeune trentenaire, deĢmontre surtout une capaciteĢ aĢ€ sā€™affranchir des eĢtiquettes pour deĢvelopper sa propre identiteĢ. Chanson maximaliste, sideĢrante, meĢlancolique, ouĢ€ elle pousse non sans humour les modulations de sa voix dans ses derniers retranchements. AĢ€ fleur de peau, la chanteuse surfe sur les notes syntheĢtiques en dessinant des Ā«Ā ArabesquesĀ Ā» meĢlodiques qui postulent sans probleĢ€me au sommet des Top 50 dā€™hier, dā€™aujourdā€™hui et surtout de demain.

Quand je tā€™ai intervieweĢe pour ton premier album, tu mā€™avais dit Ā«Ā il faut faire attention aĢ€ la fulgurance, elle peut eĢ‚tre treĢ€s rapide dans la monteĢe comme dans la descenteĀ Ā». Ce risque existe-t-il encore ?

Je nā€™en sais rien. Jā€™ai deĢjaĢ€ la chance de sortir un deuxieĢ€me album parce que jā€™aurais pu mā€™arreĢ‚ter apreĢ€s le premier. Mais comment va-t-il eĢ‚tre recĢ§u ? (Elle reĢfleĢchit) ForceĢment, cela ne sera pas la meĢ‚me chose. Tant mieux, sinon ce serait de la routine, et on ne fait pas ce meĢtier pour cĢ§a. La fulgurance, cā€™est normal pour un premier album. Cā€™est une deĢcouverte, donc cā€™est excitant aussi bien pour les gens qui le recĢ§oivent que pour les gens qui le donnent. Quand jā€™eĢtais plus jeune, jā€™aspirais aussi aĢ€ des choses plus fulgurantes. Je ne pense pas que je sois assagie, mais je muĢ‚ris donc je me fais moins peur.

As-tu ressenti une forme de pression ?

Oui, mais surtout celle que je me colle : Ā«Ā Quā€™est-ce que je veux dire ? Quā€™est-ce que je veux faire ? Est-ce que je suis dans le controĢ‚le ou est-ce que je continue dā€™agir de manieĢ€re instinctive ?Ā Ā» Inutile de te dire que jā€™ai choisi la seconde option. Sinon, je suis assez sereine. Comme je suis de nature pessimiste, je serais presque plus rassureĢe si cā€™eĢtait plutoĢ‚t un four quā€™un succeĢ€s. (rires)

Que serait un four pour toi ?

Que je me retourne sur ce que jā€™ai fait, et que je pense que ce nā€™est finalement pas terrible. Mais jā€™ai pris le temps et je nā€™ai aucun regret. Jā€™aurais bien voulu sortir des choses plus toĢ‚t, mais sur de plus petits formats. Jā€™aime bien eĢcouter des EPs quatre titres. Pour moi un album huit morceaux, cā€™est parfait, bon laĢ€ jā€™en ai mis onze. (rires) Ma vie de Fishbach a eĢteĢ treĢ€s intense. AĢ€ un moment donneĢ, on se demande qui on est, qui on est devenu. Il a fallu que je prenne un peu de recul, je me suis occupeĢ de ma vie personnelle. Ce nā€™eĢtait pas du luxe.

Comme un besoin de te retrouver avec toi-meĢ‚me ?

Oui, mais cā€™est commun aĢ€ beaucoup dā€™artistes. Il y a eu en plus cette crise. Au moment ouĢ€ jā€™eĢtais preĢ‚te aĢ€ mā€™y remettre, aĢ€ voyager, il y a eu une introspection imposeĢe. Pause. Pas trop le choix. Le premier morceau que jā€™ai eĢcrit, cā€™est Ā«Ā Masque dā€™orĀ Ā» en 2018. Puis jā€™ai composeĢ treĢ€s lentement jusquā€™en deĢcembre 2020, ouĢ€ jā€™ai eĢcrit Ā«Ā Dans un fou rireĀ«Ā . Ce nā€™est pas deux ans de travail tous les jours. Je ne suis pas une workaholic meĢ‚me si jā€™adore ce meĢtier : tous mes amis sont artistes et lā€™on en parle en permanence. Mais jā€™aime bien aussi prendre le temps, lire un bouquin, me promener en foreĢ‚t. Je crois que cā€™est treĢ€s important. Je pourrais gagner plus, toucher plus de monde, mais je suis bien avec ma petite vie calme. Jā€™aspire aĢ€ quelque chose dā€™assez ordinaire en fait. Lā€™ordinaire cā€™est merveilleux.

OuĢ€ voulais-tu nous teĢleĢporter avec ce second album ?

Pour le premier disque, comme son nom lā€™indique, jā€™eĢtais aĢ€ la merci de lā€™autre, de lā€™auditoire, aĢ€ la merci dā€™un amour assez souffreteux. Avec les yeux, cā€™est plutoĢ‚t lā€™aventure. On est un peu reĢconcilieĢe avec soi-meĢ‚me, avec le monde. On est moins amoureuse, cā€™est plus un discours inteĢrieur. Jā€™ai envie que les gens dansent avec eux-meĢ‚mes avec ce disque.

Tes textes, meĢ‚me ceux que tu nā€™as pas eĢcrits, sont toujours sujets aĢ€ de multiples interpreĢtations…

La double lecture, cā€™est important parce que les morceaux vont vieillir. Cā€™est un meĢtier quand meĢ‚me treĢ€s schizophreĢ€ne, chanteur. Tous les jours on dit la meĢ‚me chose et dans un monde ouĢ€ on doit cacher ses sentiments, eĢ‚tre dans le controĢ‚le de soi, on nous pousse aĢ€ exacerber justement nos sentiments. Et pendant des anneĢes, il va falloir chanter les meĢ‚mes chansons. Sā€™il y a un morceau que je nā€™aime plus, mais que les gens adorent, je suis obligeĢe de le jouer sur sceĢ€ne. Et pour lā€™aimer sans cesse, il faut lui laisser de lā€™espace dans son interpreĢtation. Jā€™adore quand on me demande : Ā«Ā Mais quā€™est- ce que tu as voulu dire dans cette chanson ?Ā Ā» Je leur reĢponds souvent : Ā«Ā Et toi tu penses quoi ?Ā Ā» Alors les gens me racontent des trucs beaucoup plus inteĢressants que ce que jā€™ai voulu dire aĢ€ la base. Mais je ressens la meĢ‚me chose : combien de morceaux de MyleĢ€ne Farmer ai-je eĢcouteĢs pendant des anneĢes, avant de me dire un jour que je nā€™avais pas compris ce quā€™elle avait voulu dire ? Je trouve cela geĢnial.

Musicalement, Avec les yeux est plus luxuriant, avec une ambiance plus futuriste je trouve. Quel roĢ‚le a joueĢ Michael Declerck (producteur pour Gaspard AugeĢ ou Her, ndr) ?

Il a rendu le truc plus patate. AĢ€ la base, je produis mes arrangements, car jā€™envisage les chansons dans leur inteĢgraliteĢ. Mais on a rejoueĢ des syntheĢs, on a enregistreĢ avec de vrais musiciens parce que je suis une pieĢ€tre guitariste. Pareil pour les voix. On a surtout passeĢ beaucoup de temps ensemble aĢ€ eĢ‚tre amis, aĢ€ rire, aĢ€ eĢcouter de la musique. Ensuite, le travail en lui-meĢ‚me est alleĢ assez vite. On bossait sur du sound-design, des couleurs de caisse claires. Je lā€™embeĢ‚tais laĢ€-dessus, je suis un peu chiante, car une caisse claire, soit cĢ§a date une eĢpoque soit cĢ§a lā€™antidate. Ce disque, cā€™est un peu Matrix meĢdieĢval. (rires)

Les anneĢes 1980 sont quand meĢ‚me toujours preĢsentes. Dans Ā«Ā Tu es en vieĀ Ā», il y a un coĢ‚teĢ rock progressif aĢ€ la Journey ou Foreigner…

CĢ§a me fait super plaisir que tu me dises cĢ§a. Effectivement jā€™ai vraiment beaucoup eĢcouteĢ ce genre de musique dernieĢ€rement. Parce que maintenant, jā€™ai une bagnole et jā€™adore conduire. Je suis une fille de routier et ma meĢ€re aurait voulu devenir pilote de rallye. Moi aussi, jā€™aurais pu faire cĢ§a si jā€™avais passeĢ le permis plus toĢ‚t. La musique que lā€™on passe en voiture nā€™est pas la meĢ‚me que celle que lā€™on eĢcoute en marchant ou dans son salon. Cā€™est treĢ€s clicheĢ, mais jā€™ai eĢcouteĢ des Ā«Ā road songsĀ Ā» : Bonnie Tyler, des trucs treĢ€s Ā«Ā guitar heroĀ Ā», treĢ€s glam. Je me suis fait plaisir sur ce morceau que jā€™adore.

Lā€™eĢtiquette Fishbach/anneĢes 1980 est quelque chose qui tā€™agace ?

Pas du tout. Les eĢtiquettes, on ne peut pas batailler contre. De toute manieĢ€re, cā€™est vrai, je consomme beaucoup de musiques des anneĢes 1980. Jā€™adore cĢ§a. On entend souvent les gens dire : Ā«Ā Quand est-ce que cĢ§a va se terminer ce revival anneĢes 1980 ?Ā Ā» Mais cela fait au moins vingt ans que cela dure ! Les anneĢes 1980, ce nā€™est pas forceĢment un style. Il y a un son, une audace dans la production. Les mecs ont deĢcouvert les syntheĢs, les effets, ils sā€™eĢclatent. Notre eĢpoque est trop seĢrieuse. Les anneĢes 1990 cā€™eĢtait cool aussi, parce que cā€™est une deĢcennie ouĢ€ tellement de styles sont apparus. Cā€™eĢtait treĢ€s audacieux, mais aussi treĢ€s segmenteĢ : il y avait la techno, le grunge, le hip-hop, lā€™eurodance. Il nā€™y avait pas de passerelles. Aujourdā€™hui, il y a lā€™hyper pop, avec des artistes qui puisent dans tous les styles en meĢ‚me temps. Cela donne des choses aberrantes, satureĢes, mais jā€™adore, comme ascendant vierge. Je suis fan de Mathilde Fernandez, je me sens treĢ€s proche dā€™elle artistiquement, alors que lā€™on fait des choses treĢ€s diffeĢrentes. Je suis heureuse que des artistes comme elle existent. Je pourrais citer aussi Hubert Lenoir, Kirin J Callinan ou Caroline Polachek. Ils font tous de lā€™hyper pop. Cā€™est treĢ€s inspirant. Par exemple, je me sens plus proche musicalement de Kirin que de Juliette Armanet. Je ne me consideĢ€re pas comme Ā«Ā varieĢteĢ francĢ§aiseĀ Ā». Jā€™eĢcris des chansons en francĢ§ais parce que jā€™adore cĢ§a et cā€™est ma langue, mais je pourrais le faire aussi en anglais. Cā€™est plus la musique qui mā€™inteĢresse et surtout jā€™adore les plaisirs coupables, la musique des vieilles feĢ‚tes foraines. Je nā€™en ai pas honte. Dā€™ailleurs, souvent quand je cherche des paroles de morceaux que jā€™aime bien, je les trouve sur le site Bide & Musique. (rires)

Que tā€™a apporteĢ ton expeĢrience dā€™actrice dans Vernon Subutex ?

En 2018, jā€™ai termineĢ ma tourneĢe et enchaiĢ‚neĢ direct avec la seĢrie. Du coup, je nā€™ai pas eu le spleen de passer dā€™une sorte de rouleau compresseur aĢ€ une peĢriode de totale inactiviteĢ. Cela mā€™a permis aussi de ne pas eĢ‚tre moi. Et cĢ§a fait du bien, car cā€™est un meĢtier treĢ€s eĢgocentreĢ chanteuse. DernieĢ€rement, jā€™ai eu dā€™autres expeĢriences dā€™actrice et jā€™ai trouveĢ cela super. Mais je nā€™eĢchangerais pas cela contre chanteuse. Ce qui est geĢnial dans la musique, cā€™est que meĢ‚me si personne ne nous eĢcoute, on peut continuer aĢ€ en faire, alors que la comeĢdie, si personne ne veut nous faire jouer…

Pourquoi es-tu revenue habiter dans les Ardennes ?

Jā€™y suis retourneĢe en 2018 apreĢ€s Vernon Subutex. Jā€™avais un appart aĢ€ Paris et jā€™avais un voisin vraiment horrible qui me pourrissait la vie. Pourtant, je ne suis pas chiante, les gens qui font du bruit, je mā€™en fous. Mais jā€™eĢtais obligeĢe de deĢmeĢnager et je me suis demandeĢ : Ā«Ā Pourquoi je reste aĢ€ Paris, quā€™est-ce que jā€™en ai aĢ€ foutre en fait ?Ā Ā» Ces dernieĢ€res anneĢes, jā€™ai malheureusement eu beaucoup de deĢceĢ€s dans ma famille, donc il fallait que je profite des personnes que jā€™aime. Cā€™eĢtait le moment de revenir un peu sur mes terres. Avec ce meĢtier, jā€™ai le luxe de pouvoir habiter nā€™importe ouĢ€. Je suis neĢe aĢ€ la campagne et jā€™aime bien cĢ§a. Paris cā€™est super, jā€™adore les clubs, les restaurants, mais cā€™est intense et il y a une sorte de mondaniteĢ qui ne me plaisait pas. Ce que jā€™aime cā€™est jouer, composer de la musique et je voulais eĢ‚tre dans lā€™introspection, la nature. Comme je lā€™ai dit, jā€™aspire aĢ€ une vie ordinaire. Peut-eĢ‚tre que je ne resterai pas toujours laĢ€-bas, mais jā€™eĢprouve un grand eĢquilibre dans ma maison en bois dans la foreĢ‚t, avec mon chien et des potes qui viennent faire un barbecue et boire un verre de vin.

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