Ā© Jules Faure

šŸ—žļø AprĆØs cinq ans d’absence Fishbach nous raconte son retour avec un nouvel album

Cinq ans ont passé depuis l’apparition fulĀ­guĀ­rante de FishĀ­bach marquée sous le sceau des années 1980. Le retour de la jeune femme, aperçue dans la série VerĀ­non SubĀ­uĀ­tex, éclate d’une nouĀ­velle couleur, plus futurĀ­iste et luxĀ­uĀ­riĀ­ante. Rencontre.

InterĀ­view issue du TsuĀ­gi 147 : Radio ActivĀ­iĀ­ty, La folle hisĀ­toire des radios musiĀ­cales : des pirates aux webraĀ­dios, disponible Ć  la comĀ­mande en ligne.

 

D’une Ć©lecĀ­tion prĆ©siĀ­denĀ­tielle Ć  une autre. En 2017, nous entrons en Macronie lorsque FloĀ­ra FisĀ­chbach déboule avec AĢ€ ta merĀ­ci. Évoquant autant DesireĀ­less que Depeche Mode ou SpanĀ­dau BalĀ­let, ce preĀ­mier album charisĀ­maĀ­tique repousse autant qu’il séduit. CerĀ­taineĀ­ment cliĀ­vant. Ce qui n’est pas pour nous déplaire. Cinq ans plus tard, alors que l’on s’appreĢ‚te aĢ€ glissĀ­er un nouĀ­veau bulĀ­letin dans l’urne, cette femme sauvage aĢ€ l’apparente froideur revient devant les électeurs de la chanĀ­son. Ni tout aĢ€ fait ni le meĢ‚me, ni tout aĢ€ fait un autre, Avec les yeux s’affiche beauĀ­coup plus comĀ­plexe, tant en musique que dans les textes, que le simĀ­ple décalque des années 1980 dans lequel ses détracteurs veuĀ­lent aĢ€ tout prix l’enfermer. Bien suĢ‚r, cette ā€œfameuseā€ décennie brille sur ā€œMasque d’orā€ ou ā€œTu es en vieā€, mais FishĀ­bach, désormais jeune trenteĀ­naire, démontre surtout une capacité aĢ€ s’affranchir des étiquettes pour développer sa proĀ­pre idenĀ­tité. ChanĀ­son maxĀ­iĀ­malĀ­iste, sidérante, mélancolique, ouĢ€ elle pousse non sans humour les modĀ­uĀ­laĀ­tions de sa voix dans ses derniers retrancheĀ­ments. AĢ€ fleur de peau, la chanteuse surfe sur les notes synthétiques en dessiĀ­nant des ā€œArabesquesā€ mélodiques qui posĀ­tuĀ­lent sans probleĢ€me au somĀ­met des Top 50 d’hier, d’aujourd’hui et surtout de demain.

Quand je t’ai interviewée pour ton preĀ­mier album, tu m’avais dit ā€œil faut faire attenĀ­tion aĢ€ la fulĀ­guĀ­rance, elle peut eĢ‚tre treĢ€s rapiĀ­de dans la montée comme dans la descenteā€. Ce risque existe-t-il encore ?

Je n’en sais rien. J’ai déjaĢ€ la chance de sorĀ­tir un deuxieĢ€me album parce que j’aurais pu m’arreĢ‚ter apreĢ€s le preĀ­mier. Mais comĀ­ment va-t-il eĢ‚tre reçu ? (Elle réfléchit) Forcément, cela ne sera pas la meĢ‚me chose. Tant mieux, sinon ce serait de la rouĀ­tine, et on ne fait pas ce métier pour ça. La fulĀ­guĀ­rance, c’est norĀ­mal pour un preĀ­mier album. C’est une découverte, donc c’est exciĀ­tant ausĀ­si bien pour les gens qui le reçoivent que pour les gens qui le donĀ­nent. Quand j’étais plus jeune, j’aspirais ausĀ­si aĢ€ des choses plus fulĀ­guĀ­rantes. Je ne pense pas que je sois assagie, mais je muĢ‚ris donc je me fais moins peur.

As-tu ressenĀ­ti une forme de pression ?

Oui, mais surtout celle que je me colle : ā€œQu’est-ce que je veux dire ? Qu’est-ce que je veux faire ? Est-ce que je suis dans le controĢ‚le ou est-ce que je conĀ­tinĀ­ue d’agir de manieĢ€re instincĀ­tive ?ā€ Inutile de te dire que j’ai choisi la secĀ­onde option. Sinon, je suis assez sereĀ­ine. Comme je suis de nature pesĀ­simiste, je serais presque plus rassurée si c’était plutoĢ‚t un four qu’un succeĢ€s. (rires)

Que serait un four pour toi ?

Que je me retourne sur ce que j’ai fait, et que je pense que ce n’est finaleĀ­ment pas terĀ­riĀ­ble. Mais j’ai pris le temps et je n’ai aucun regret. J’aurais bien voulu sorĀ­tir des choses plus toĢ‚t, mais sur de plus petits forĀ­mats. J’aime bien écouter des EPs quaĀ­tre titres. Pour moi un album huit morceaux, c’est parĀ­fait, bon laĢ€ j’en ai mis onze. (rires) Ma vie de FishĀ­bach a été treĢ€s intense. AĢ€ un moment donné, on se demande qui on est, qui on est devenu. Il a falĀ­lu que je prenne un peu de recul, je me suis occupé de ma vie perĀ­sonĀ­nelle. Ce n’était pas du luxe.

Comme un besoin de te retrouĀ­ver avec toi-meĢ‚me ?

Oui, mais c’est comĀ­mun aĢ€ beauĀ­coup d’artistes. Il y a eu en plus cette crise. Au moment ouĢ€ j’étais preĢ‚te aĢ€ m’y remetĀ­tre, aĢ€ voyĀ­ager, il y a eu une introĀ­specĀ­tion imposée. Pause. Pas trop le choix. Le preĀ­mier morceau que j’ai écrit, c’est ā€œMasque d’orā€ en 2018. Puis j’ai comĀ­posé treĢ€s lenteĀ­ment jusqu’en décembre 2020, ouĢ€ j’ai écrit ā€œDans un fou rireā€. Ce n’est pas deux ans de traĀ­vail tous les jours. Je ne suis pas une workaĀ­holic meĢ‚me si j’adore ce métier : tous mes amis sont artistes et l’on en parĀ­le en perĀ­maĀ­nence. Mais j’aime bien ausĀ­si prenĀ­dre le temps, lire un bouquin, me promenĀ­er en foreĢ‚t. Je crois que c’est treĢ€s imporĀ­tant. Je pourĀ­rais gagĀ­nĀ­er plus, touchĀ­er plus de monde, mais je suis bien avec ma petite vie calme. J’aspire aĢ€ quelque chose d’assez ordiĀ­naire en fait. L’ordinaire c’est merveilleux.

OuĢ€ voulais-tu nous téléporter avec ce secĀ­ond album ?

Pour le preĀ­mier disque, comme son nom l’indique, j’étais aĢ€ la merĀ­ci de l’autre, de l’auditoire, aĢ€ la merĀ­ci d’un amour assez soufĀ­freĀ­teux. Avec les yeux, c’est plutoĢ‚t l’aventure. On est un peu réconciliée avec soi-meĢ‚me, avec le monde. On est moins amoureuse, c’est plus un disĀ­cours intérieur. J’ai envie que les gens dansent avec eux-meĢ‚mes avec ce disque.

Tes textes, meĢ‚me ceux que tu n’as pas écrits, sont touĀ­jours sujets aĢ€ de mulĀ­tiĀ­ples interprétations…

La douĀ­ble lecĀ­ture, c’est imporĀ­tant parce que les morceaux vont vieilĀ­lir. C’est un métier quand meĢ‚me treĢ€s schizophreĢ€ne, chanteur. Tous les jours on dit la meĢ‚me chose et dans un monde ouĢ€ on doit cacher ses senĀ­tiĀ­ments, eĢ‚tre dans le controĢ‚le de soi, on nous pousse aĢ€ exacĀ­erĀ­ber justeĀ­ment nos senĀ­tiĀ­ments. Et penĀ­dant des années, il va falĀ­loir chanter les meĢ‚mes chanĀ­sons. S’il y a un morceau que je n’aime plus, mais que les gens adorent, je suis obligée de le jouer sur sceĢ€ne. Et pour l’aimer sans cesse, il faut lui laissĀ­er de l’espace dans son interprétation. J’adore quand on me demande : ā€œMais qu’est- ce que tu as voulu dire dans cette chanĀ­son ?ā€ Je leur réponds souĀ­vent : ā€œEt toi tu pensĀ­es quoi ?ā€ Alors les gens me raconĀ­tent des trucs beauĀ­coup plus intéressants que ce que j’ai voulu dire aĢ€ la base. Mais je ressens la meĢ‚me chose : comĀ­biĀ­en de morceaux de MyleĢ€ne Farmer ai-je écoutés penĀ­dant des années, avant de me dire un jour que je n’avais pas comĀ­pris ce qu’elle avait voulu dire ? Je trouĀ­ve cela génial.

MusiĀ­caleĀ­ment, Avec les yeux est plus luxĀ­uĀ­riĀ­ant, avec une ambiance plus futurĀ­iste je trouĀ­ve. Quel roĢ‚le a joué Michael DeclerĀ­ck (proĀ­ducĀ­teur pour GasĀ­pard Augé ou Her, ndr) ?

Il a renĀ­du le truc plus patate. AĢ€ la base, je proĀ­duis mes arrangeĀ­ments, car j’envisage les chanĀ­sons dans leur intégralité. Mais on a rejoué des synthés, on a enregĀ­istré avec de vrais musiĀ­ciens parce que je suis une pieĢ€tre guiĀ­tariste. Pareil pour les voix. On a surtout passé beauĀ­coup de temps ensemĀ­ble aĢ€ eĢ‚tre amis, aĢ€ rire, aĢ€ écouter de la musique. Ensuite, le traĀ­vail en lui-meĢ‚me est allé assez vite. On bosĀ­sait sur du sound-design, des couleurs de caisse claires. Je l’embeĢ‚tais laĢ€-dessus, je suis un peu chiĀ­ante, car une caisse claire, soit ça date une époque soit ça l’antidate. Ce disque, c’est un peu Matrix médiéval. (rires)

Les années 1980 sont quand meĢ‚me touĀ­jours présentes. Dans ā€œTu es en vieā€, il y a un coĢ‚té rock proĀ­gresĀ­sif aĢ€ la JourĀ­ney ou Foreigner…

Ça me fait super plaisir que tu me disĀ­es ça. EffecĀ­tiveĀ­ment j’ai vraiĀ­ment beauĀ­coup écouté ce genre de musique dernieĢ€rement. Parce que mainĀ­tenant, j’ai une bagĀ­nole et j’adore conĀ­duire. Je suis une fille de routiĀ­er et ma meĢ€re aurait voulu devenir pilote de ralĀ­lye. Moi ausĀ­si, j’aurais pu faire ça si j’avais passé le perĀ­mis plus toĢ‚t. La musique que l’on passe en voiture n’est pas la meĢ‚me que celle que l’on écoute en marchant ou dans son salon. C’est treĢ€s cliché, mais j’ai écouté des ā€œroad songsā€ : BonĀ­nie Tyler, des trucs treĢ€s ā€œguiĀ­tar heroā€, treĢ€s glam. Je me suis fait plaisir sur ce morceau que j’adore.

L’étiquette Fishbach/années 1980 est quelque chose qui t’agace ?

Pas du tout. Les étiquettes, on ne peut pas batailler conĀ­tre. De toute manieĢ€re, c’est vrai, je conĀ­somme beauĀ­coup de musiques des années 1980. J’adore ça. On entend souĀ­vent les gens dire : ā€œQuand est-ce que ça va se terĀ­minĀ­er ce revival années 1980 ?ā€ Mais cela fait au moins vingt ans que cela dure ! Les années 1980, ce n’est pas forcément un style. Il y a un son, une audace dans la proĀ­ducĀ­tion. Les mecs ont découvert les synthés, les effets, ils s’éclatent. Notre époque est trop sérieuse. Les années 1990 c’était cool ausĀ­si, parce que c’est une décennie ouĢ€ telleĀ­ment de styles sont apparus. C’était treĢ€s audaĀ­cieux, mais ausĀ­si treĢ€s segĀ­menté : il y avait la techĀ­no, le grunge, le hip-hop, l’eurodance. Il n’y avait pas de passerelles. Aujourd’hui, il y a l’hyper pop, avec des artistes qui puisent dans tous les styles en meĢ‚me temps. Cela donne des choses aberĀ­rantes, saturées, mais j’adore, comme ascenĀ­dant vierge. Je suis fan de Mathilde FerĀ­nanĀ­dez, je me sens treĢ€s proche d’elle artisĀ­tiqueĀ­ment, alors que l’on fait des choses treĢ€s différentes. Je suis heureuse que des artistes comme elle exisĀ­tent. Je pourĀ­rais citer ausĀ­si Hubert Lenoir, Kirin J CalĀ­lĀ­iĀ­nan ou CarĀ­oĀ­line Polachek. Ils font tous de l’hyper pop. C’est treĢ€s inspiĀ­rant. Par exemĀ­ple, je me sens plus proche musiĀ­caleĀ­ment de Kirin que de JuliĀ­ette Armanet. Je ne me consideĢ€re pas comme ā€œvariété françaiseā€. J’écris des chanĀ­sons en français parce que j’adore ça et c’est ma langue, mais je pourĀ­rais le faire ausĀ­si en anglais. C’est plus la musique qui m’intéresse et surtout j’adore les plaisirs coupables, la musique des vieilles feĢ‚tes foraines. Je n’en ai pas honte. D’ailleurs, souĀ­vent quand je cherche des paroles de morceaux que j’aime bien, je les trouĀ­ve sur le site Bide & Musique. (rires)

Que t’a apporté ton expérience d’actrice dans VerĀ­non SubĀ­uĀ­tex ?

En 2018, j’ai terĀ­miné ma tournée et enchaiĢ‚né direct avec la série. Du coup, je n’ai pas eu le spleen de passĀ­er d’une sorte de rouleau comĀ­presseur aĢ€ une période de totale inacĀ­tivité. Cela m’a perĀ­mis ausĀ­si de ne pas eĢ‚tre moi. Et ça fait du bien, car c’est un métier treĢ€s égocentré chanteuse. DernieĢ€rement, j’ai eu d’autres expériences d’actrice et j’ai trouĀ­vé cela super. Mais je n’échangerais pas cela conĀ­tre chanteuse. Ce qui est génial dans la musique, c’est que meĢ‚me si perĀ­sonĀ­ne ne nous écoute, on peut conĀ­tinĀ­uer aĢ€ en faire, alors que la comédie, si perĀ­sonĀ­ne ne veut nous faire jouer…

Pourquoi es-tu revĀ­enue habiter dans les Ardennes ?

J’y suis retournée en 2018 apreĢ€s VerĀ­non SubĀ­uĀ­tex. J’avais un appart aĢ€ Paris et j’avais un voisin vraiĀ­ment horĀ­riĀ­ble qui me pourĀ­risĀ­sait la vie. PourĀ­tant, je ne suis pas chiĀ­ante, les gens qui font du bruit, je m’en fous. Mais j’étais obligée de déménager et je me suis demandé : ā€œPourquoi je reste aĢ€ Paris, qu’est-ce que j’en ai aĢ€ foutre en fait ?ā€ Ces dernieĢ€res années, j’ai malĀ­heureuseĀ­ment eu beauĀ­coup de déceĢ€s dans ma famille, donc il falĀ­lait que je profĀ­ite des perĀ­sonĀ­nes que j’aime. C’était le moment de revenir un peu sur mes terĀ­res. Avec ce métier, j’ai le luxe de pouĀ­voir habiter n’importe ouĢ€. Je suis née aĢ€ la camĀ­pagne et j’aime bien ça. Paris c’est super, j’adore les clubs, les restauĀ­rants, mais c’est intense et il y a une sorte de monĀ­danĀ­ité qui ne me plaiĀ­sait pas. Ce que j’aime c’est jouer, comĀ­posĀ­er de la musique et je voulais eĢ‚tre dans l’introspection, la nature. Comme je l’ai dit, j’aspire aĢ€ une vie ordiĀ­naire. Peut‑eĢ‚tre que je ne resterai pas touĀ­jours laĢ€-bas, mais j’éprouve un grand équilibre dans ma maiĀ­son en bois dans la foreĢ‚t, avec mon chien et des potes qui vienĀ­nent faire un barĀ­beĀ­cue et boire un verre de vin.

ā

Retrouvez plus d’articles dans le  Tsugi 147 : Radio Activity, La folle histoire des radios musicales : des pirates aux webradios disponible maintenant en kiosque et Ć  la commande en ligne.

Tsugi 147

(VisĀ­itĆ© 1 005 fois)