La riche et foisonnante 36ᵉ édition du festival, a notamment été marquée par les consécrations des Québécoises Lou-Adriane Cassidy et Ariane Roy. Et il ne fait aucun doute que l’avenir s’écrira avec elles.
Par Patrice Demailly
Se pose d’abord une question : pourquoi Gims, accueilli comme le messie au Centre Bells (l’arena où se produit l’équipe de hockey des Canadiens de Montréal) et jouissant d’une immense popularité au Québec, n’a-t-il pas daigné dépasser l’heure de jeu ? Le Franco-Congolais, qui a expédié vingt et un morceaux (parfois juste un couplet et un refrain sur certains) en 55 minutes, a amputé son set initialement prévu d’une grosse demi-heure.
Si on ignore les raisons de ce déficit de générosité — les interactions n’étant pas non plus apparemment sa priorité — difficile de reprocher l’investissement sonore d’un public déchaîné jusqu’à la douche froide finale.
En revanche, aucun accroc dans l’idylle entre Clara Luciani et le festival. Sept ans après sa première venue place des Arts, celle qui règne actuellement sur la pop française a eu le droit cette fois-ci à la grande scène extérieure. Elle a déroulé à peu près le même concert qu’à We love green, y ajoutant pour l’occasion « Cœur », « Cette vie » et « La baie » (l’adaptation du titre de Metronomy). Foule des grands soirs pour un nouveau triomphe dans sa besace.
Parmi les rangs hexagonaux, Odezenne et Yoa ont livré des prestations imparables tandis que la merveilleuse Clara Ysé a assuré deux premières parties arrache-cœur en piano-voix. Mais ce qui a surtout marqué les esprits, c’est de constater que la déferlante Théodora a déjà elle aussi gagné la Belle-Province. Et on saluera la vitesse d’exécution des organisateurs qui, à la suite du concert complet en salle à la SAT, ont reprogrammé la chanteuse pour un show gratuit le dernier jour. Riche idée puisque le site s’est retrouvé rapidement sursaturé. Le magnétisme de la jeune femme a perforé les élans d’une jeunesse en demande.
Les Francos de Montréal, c’est aussi une affaire de butinage musical et de prise de pouls de la scène locale. Un saut du côté d’Avec pas d’casque, groupe à l’élégance racée et fidèle à ses racines americana. Un autre à destination de Super Plage et sa pop aussi décontractée que synthétique (sa reprise pétaradante de Deux par deux rassemblés de Pierre Lapointe a fait son petit effet).
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Il y a aussi Corridor dont le rock tortueux et insoumis continue d’impressionner. Ou le retour gagnant de la bassiste Marie-Pierre Arthur et la progression fulgurante d’Aswell, rappeur hybride à la mélancolie prégnante. Seul à la guitare, Louis-Jean Cormier, leader du groupe Karkwa, s’est offert lui une parenthèse intimiste et à distance de son propre répertoire. Au milieu d’intermèdes savoureux, il est allé piocher des chansons de Malajube, Richard Desjardins, Jean-Pierre Ferland, Gilles Vigneault… Une belle nostalgie féconde.

Reste que le présent s’est surtout conjugué au féminin avec l’intensité rare des concerts de Lou-Adriane Cassidy et Ariane Roy. Hasard ou coïncidence ? Elles sont meilleures amies dans la vie, originaires toutes deux de la ville de Québec et ont placé le curseur du charisme très haut. Pour Cassidy, l’honneur de la scène principale après une année prolifique où elle a pété tous les plafonds.
Le succès de son album Journal d’un Loup-garou l’a propulsée dans la cour des grandes. Elle a remis le couvert quatre mois plus tard avec le disque Triste animal, plus feutré dans son emballage. De la sensualité animale, de l’énergie volcanique, du contraste, des chansons souveraines, une voix emballante. C’est un spectacle plein, impérial, renversant. Les récompenses dans les prochaines cérémonies de prix lui tendent les bras. On souhaite d’ailleurs du courage aux votants pour départager les deux jeunes filles.

Parce que dans un style plus électrique et expérimental, Ariane Roy a fait grimper la température du Club Soda. Sa grâce n’a d’égal que son autorité. Force contagieuse, feu et glace entremêlés, electro-pop tempétueuse, présence obsédante. Évidemment qu’on ne choisira pas entre elle et Lou-Adriane Cassidy. Ce sont deux tempêtes. Et les dégâts sont symboliquement magnifiques.
Par Patrice Demailly