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Jasmine Azarian (DJ) et Bonnie Lisbon (VJ) @ PWFM, 2019 / ©Romain Guédé
10 novembre 2020

Bientôt, un docu nécessaire sur ce qu’est être une femme dans le milieu électronique

par Léonie Ruellan

Quelle place pour les femmes au sein des musiques électroniques ? C’est une question plus que d’actualité à laquelle les plateformes dédiées à cette culture Le Bruit de Fond et PWFM ont tenté de répondre, à travers le documentaire La nuit venue, on y verra plus clair, qui sortira début 2021 en deux parties.

La nuit venue on y verra plus clair

©DR

« C’est un projet qui concerne tout le monde« , nous déclare l’équipe du Bruit de Fond à propos du documentaire. Alors que le monde de la musique semble être à l’aube de sa révolution #MeToo, Thomas Restout, Marien Hvala, Lloyd Philippon et Rayane Malkidu du Bruit de Fond se sont penchés sur un genre en particulier, celui qui a conquis les nouvelles générations : l’électronique. Car même s’il respire la jeunesse, le milieu des musiques électroniques n’est pas pour autant paritaire et sécurisé pour les femmes, que ce soit sur scène, dans le public ou en coulisses.

Afin d’enquêter à ce propos, l’équipe du Bruit de Fond – un média dédié aux musiques électroniques – s’est associé aux structures PWFM (Provocative Wave For Music et son volet féminin Provocative Women For Music) qui organise des soirées paritaires, et Act Right, qui lutte pour une fête plus safe. Ils nous racontent les coulisses du documentaire La nuit venue, on y verra plus clair, et nous parlent des inégalités qui persistent dans ce milieu.

 

 

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PWFM

Le public d’un événement PWFM / ©Thomas Restout

Pourquoi ce documentaire est-il nécessaire aujourd’hui ?

En septembre 2019, Marion Delpech de PWFM et Act Right faisait un premier événement Provocative Women for Music à la Plage de Glazart (Paris). Après avoir remarqué qu’elle composait des line-ups loin d’être paritaires sur ses événements PWFM depuis plusieurs années, alors qu’elle tannait ses potes sur les questions féministes au sein de la société, elle a souhaité rectifier le tir en proposant des programmations intégralement paritaires, des DJs, en passant par les photographes mais aussi les VJs : les femmes invitaient les hommes de leur choix pour composer des B2B paritaires. Histoire d’inverser le rapport de force.

À cette occasion, elle nous (Le Bruit de Fond) a demandé de réaliser un aftermovie de l’événement, avec des témoignages des artistes présents, mais on s’est vite rendus compte que cela ne traiterait que d’une infime partie de la question. Comment questionner la place des femmes dans tout cet écosystème avec seulement quelques voix, lors d’un seul événement ? Il a donc rapidement été question d’envisager un chantier plus gros, mais en questionnant toutes les strates de notre milieu. Et puis, cette question qui semble de plus en plus prendre de place n’est finalement pas du tout documentée, étudiée. On en discute depuis les mouvements #MeToo, #MusicToo, mais finalement on a encore peu de prises de paroles car ce sont des sujets sensibles où il n’est pas encore aisé d’avoir l’entière liberté de dire ce que l’on ressent, ce que l’on vit, et ce que l’on ne souhaite plus – de peur d’être écarté d’un système qui roule littéralement sur les femmes.

On a donc commencé par réfléchir sur une bonne manière de traiter tout le sujet en profondeur, et on a décidé de séparer le docu en deux parties. Une première sera axée sur le public, une deuxième sur l’organisation. Pour cette dernière, on a élaboré une liste composée de nombreuses actrices du monde de la nuit : techniciennes, DJs, organisatrices ou encore directrices artistiques, afin d’avoir un panel important de prises de parole sur ce sujet, puis on a organisé un bon nombre d’interviews. On est en cours de production pour la première partie, et nous sommes toujours à la recherche de témoignages de femmes du public pour, là aussi, avoir un maximum de prise de paroles.
Notre projet, c’est surtout de laisser ces paroles libres, à nu, pour vraiment montrer ce qu’est être une femme dans le monde de la nuit aujourd’hui, et construire un état des lieux, aussi bien devant que derrière la scène. En soit, on nous a beaucoup dit : « Vous êtes des mecs, vous réalisez un documentaire sur la place de la femme »… À ça on répond tout simplement que notre but n’est pas de dire notre avis, parce que notre avis on en n’a pas grand chose à faire. Notre volonté c’est de mettre en lumière des paroles de personnes concernées, via un documentaire, et ça s’arrête là. On voit vraiment ça comme un état des lieux, c’est pour ça qu’on utilise souvent cette phrase.
Pour nous, ça semblait important d’ouvrir également le débat avec l’intervention d’hommes professionnels, tout simplement parce que c’est une question qui se réfléchit de manière globale, tou·te·s ensemble et que nous sommes convaincu·e·s que c’est ensemble que cela changera.

« Ce sont des sujets sensibles où il n’est pas encore aisé d’avoir l’entière liberté de dire ce que l’on ressent, ce que l’on vit, et ce que l’on ne souhaite plus – de peur d’être écarté d’un système qui roule littéralement sur les femmes. »

La nuit venue on y verra plus clair

Capture d’écran du trailer

Vous vous êtes intéressés à des acteurs.trices de la scène électronique française seulement ou internationale ?

On avait envisagé au départ de questionner des acteur·trices internationaux.ales à l’occasion de leur venue sur des dates parisiennes ou lors de festivals. Mais l’épidémie est arrivé… On est donc resté sur des intervenants français. Au delà de ça, on est encore une petite structure, nos projets sont centrés sur Paris pour l’instant. Mais à l’avenir, on aimerait beaucoup travailler sur des projets à plus grande échelle, et on réfléchit déjà à certains sujets hors France.

Donc la situation sanitaire a dû compliquer les choses…

C’est un peu compliqué de réaliser un documentaire en cette période de pandémie, ça rajoute une difficulté, on doit bricoler avec ce qu’on peut, c’est la croix et la bannière pour tourner. Mais on fait avec, parce que c’est un projet qui nous intéresse plus que jamais, et qui concerne tout le monde. C’est aussi un avantage, quelque part, de se poser toutes ces questions pendant cette période de « pause ». Ça peut permettre de distinguer un avant, et d’espérer à un meilleur après, quelque part.

« Ce n’est pas parce qu’un ou deux PDG de grosses majors démissionnent et que quelques rappeurs se font mettre à l’amende, que toute l’industrie va enfin revoir ses codes. »

PWFM

Anaïs Leszcynska B2B Azamat B (DJ) et Bonnie Lisbon (VJ) lors de la 1ère Provocative Women for Music au Glazart, septembre 2019 / ©Romain Guédé

Après avoir pris la température de la place des femmes dans les musiques électroniques, quel constat pouvez-vous en tirer ? Les choses sont-elles en bonne voie pour changer ? Est ce qu’on peut s’attendre à un raz-de-marré #MusicToo ?

Il y a plusieurs sujets qui se croisent mais qu’il faut tout de même mentionner. Les violences que les femmes subissent (et elles ne sont malheureusement pas les seules à en subir… On pense évidemment également aux personnes racisées et du LGBTQI+), qu’elles soient physiques et/ou morales, sont enfin mises en exergue grâce à ces mouvements qui libèrent la parole et l’on se rend enfin compte, à faible échelle, de toutes les dérives de notre milieu, souvent idéalisé. Évidemment, on espère que cela va changer, mais c’est comme tout, le changement cela va lentement. Ce n’est pas parce qu’un ou deux PDG de grosses majors démissionnent, que quelques rappeurs se font mettre à l’amende, que toute l’industrie va enfin revoir ses codes. C’est un travail de pédagogie, qui va prendre du temps et c’est surtout à la jeune génération de prendre le relais avec d’autres valeurs. Mais en ce sens, on remarque qu’il y a une véritable volonté de changement.

A côté de ça, ces questions en amènent à d’autres… Il n’y a que trop peu de femmes dans les musiques électroniques, ce qui les marginalise. Elles ont beau composer la moitié de la population mondiale (à quelques chiffres près), elles sont une infime partie dans les rangs des professionnel·le·s. Pourquoi ? Compliqué de se faire une place parmi tous ces gars, peu de femmes modèles pour t’épauler et te soutenir. Si tu es artiste, tu te tapes un raz-de-marée de commentaires de haters sur les réseaux du genre « elle est là pour son physique », « ses tracks sont produits par un ghost producer », etc… Comme si une femme était moins capable d’utiliser des machines qu’un homme. Ceci dit, d’un point de vue sociologique, les machines sont des instruments d’hommes quand les femmes sont cantonnées au piano, la harpe, ce qui est plus sexy d’une certaine manière. Les machines, l’ordinateur, les câbles dans tous les sens, c’est un truc de gars quoi. L’ingé’ son d’un lieu ou festival ne va jamais (ou presque) voir spontanément une femme, qu’elle soit DJ ou VJ, pour des questions techniques. Les femmes sont cantonnées à la communication, au graphisme, au bar. Quant aux postes à responsabilité, comme la direction artistique, ce sont (presque) toujours des hommes. Citez-moi le nom d’un club français dont la D.A. est faite par une femme…

Enfin, si vous prenez le rapport égalité hommes/femmes que le Ministère de la Culture produit chaque année, les comités de subventions dans la musique sont également majoritairement masculins, et les artistes touchant des subventions, sont donc majoritairement des hommes. (Petite remarque : ces chiffres ne concernent pas la musique électronique, totalement absente de ce rapport.) Et ce ne sont que quelques éléments… Finalement, des chantiers, il y en a plus d’un. Pour l’instant, nous en sommes à l’étape de la prise de conscience et de débuts de changements. Mais on s’en reparle dans 5/10 ans !

« Comme si une femme était moins capable d’utiliser des machines qu’un homme. »

PMFW

Public lors de la 1ère Provocative Women for Music au Glazart, septembre 2019 / ©Julie Montel

Dites-nous, qui précisément est derrière ce docu ? 

On travaille à cinq. Chez Le Bruit de Fond, nous sommes quatre : Thomas Restout et Marien Hvala, qui gèrent la réalisation ainsi que la post production, Lloyd Philippon sur la musique et l’ambiance sonore, et Rayane Malki sur l’écriture : on essaye vraiment de tout produire en interne. De l’autre côté, sur la communication, la direction artistique et la coordination du projet, on retrouve Marion Delpech et ses différentes structures : PWFM et Act Right, qui sont engagées autour de la place des femmes dans le milieu électronique, la parité et la sécurité en milieu festif.

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