Jasmine Azarian (DJ) et Bonnie Lisbon (VJ) @ PWFM, 2019 / ©Romain Guédé

Bientôt, un docu nécessaire sur ce qu’est être une femme dans le milieu électronique

Quelle place pour les femmes au sein des musiques élec­tron­iques ? C’est une ques­tion plus que d’ac­tu­al­ité à laque­lle les plate­formes dédiées à cette cul­ture Le Bruit de Fond et PWFM ont ten­té de répon­dre, à tra­vers le doc­u­men­taire La nuit venue, on y ver­ra plus clair, qui sor­ti­ra début 2021 en deux parties.

La nuit venue on y verra plus clair

©DR

C’est un pro­jet qui con­cerne tout le monde”, nous déclare l’équipe du Bruit de Fond à pro­pos du doc­u­men­taire. Alors que le monde de la musique sem­ble être à l’aube de sa révo­lu­tion #MeToo, Thomas Restout, Marien Hvala, Lloyd Philip­pon et Rayane Malkidu du Bruit de Fond se sont penchés sur un genre en par­ti­c­uli­er, celui qui a con­quis les nou­velles généra­tions : l’élec­tron­ique. Car même s’il respire la jeunesse, le milieu des musiques élec­tron­iques n’est pas pour autant par­i­taire et sécurisé pour les femmes, que ce soit sur scène, dans le pub­lic ou en coulisses.

Afin d’en­quêter à ce pro­pos, l’équipe du Bruit de Fond — un média dédié aux musiques élec­tron­iques — s’est asso­cié aux struc­tures PWFM (Provoca­tive Wave For Music et son volet féminin Provoca­tive Women For Music) qui organ­ise des soirées par­i­taires, et Act Right, qui lutte pour une fête plus safe. Ils nous racon­tent les couliss­es du doc­u­men­taire La nuit venue, on y ver­ra plus clair, et nous par­lent des iné­gal­ités qui per­sis­tent dans ce milieu.

 

 

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PWFM

Le pub­lic d’un événe­ment PWFM / ©Thomas Restout

Pourquoi ce doc­u­men­taire est-il néces­saire aujourd’hui ?

En sep­tem­bre 2019, Mar­i­on Delpech de PWFM et Act Right fai­sait un pre­mier événe­ment Provoca­tive Women for Music à la Plage de Glazart (Paris). Après avoir remar­qué qu’elle com­po­sait des line-ups loin d’être par­i­taires sur ses événe­ments PWFM depuis plusieurs années, alors qu’elle tan­nait ses potes sur les ques­tions fémin­istes au sein de la société, elle a souhaité rec­ti­fi­er le tir en pro­posant des pro­gram­ma­tions inté­grale­ment par­i­taires, des DJs, en pas­sant par les pho­tographes mais aus­si les VJs : les femmes invi­taient les hommes de leur choix pour com­pos­er des B2B par­i­taires. His­toire d’in­vers­er le rap­port de force.

À cette occa­sion, elle nous (Le Bruit de Fond) a demandé de réalis­er un after­movie de l’événe­ment, avec des témoignages des artistes présents, mais on s’est vite ren­dus compte que cela ne trait­erait que d’une infime par­tie de la ques­tion. Com­ment ques­tion­ner la place des femmes dans tout cet écosys­tème avec seule­ment quelques voix, lors d’un seul événe­ment ? Il a donc rapi­de­ment été ques­tion d’en­vis­ager un chantier plus gros, mais en ques­tion­nant toutes les strates de notre milieu. Et puis, cette ques­tion qui sem­ble de plus en plus pren­dre de place n’est finale­ment pas du tout doc­u­men­tée, étudiée. On en dis­cute depuis les mou­ve­ments #MeToo, #Music­Too, mais finale­ment on a encore peu de pris­es de paroles car ce sont des sujets sen­si­bles où il n’est pas encore aisé d’avoir l’en­tière lib­erté de dire ce que l’on ressent, ce que l’on vit, et ce que l’on ne souhaite plus – de peur d’être écarté d’un sys­tème qui roule lit­térale­ment sur les femmes.

On a donc com­mencé par réfléchir sur une bonne manière de traiter tout le sujet en pro­fondeur, et on a décidé de sépar­er le docu en deux par­ties. Une pre­mière sera axée sur le pub­lic, une deux­ième sur l’or­gan­i­sa­tion. Pour cette dernière, on a élaboré une liste com­posée de nom­breuses actri­ces du monde de la nuit : tech­ni­ci­ennes, DJs, organ­isatri­ces ou encore direc­tri­ces artis­tiques, afin d’avoir un pan­el impor­tant de pris­es de parole sur ce sujet, puis on a organ­isé un bon nom­bre d’in­ter­views. On est en cours de pro­duc­tion pour la pre­mière par­tie, et nous sommes tou­jours à la recherche de témoignages de femmes du pub­lic pour, là aus­si, avoir un max­i­mum de prise de paroles.
Notre pro­jet, c’est surtout de laiss­er ces paroles libres, à nu, pour vrai­ment mon­tr­er ce qu’est être une femme dans le monde de la nuit aujour­d’hui, et con­stru­ire un état des lieux, aus­si bien devant que der­rière la scène. En soit, on nous a beau­coup dit : « Vous êtes des mecs, vous réalisez un doc­u­men­taire sur la place de la femme »… À ça on répond tout sim­ple­ment que notre but n’est pas de dire notre avis, parce que notre avis on en n’a pas grand chose à faire. Notre volon­té c’est de met­tre en lumière des paroles de per­son­nes con­cernées, via un doc­u­men­taire, et ça s’ar­rête là. On voit vrai­ment ça comme un état des lieux, c’est pour ça qu’on utilise sou­vent cette phrase.
Pour nous, ça sem­blait impor­tant d’ou­vrir égale­ment le débat avec l’in­ter­ven­tion d’hommes pro­fes­sion­nels, tout sim­ple­ment parce que c’est une ques­tion qui se réflé­chit de manière glob­ale, tou·te·s ensem­ble et que nous sommes convaincu·e·s que c’est ensem­ble que cela changera.

Ce sont des sujets sen­si­bles où il n’est pas encore aisé d’avoir l’en­tière lib­erté de dire ce que l’on ressent, ce que l’on vit, et ce que l’on ne souhaite plus – de peur d’être écarté d’un sys­tème qui roule lit­térale­ment sur les femmes.”

La nuit venue on y verra plus clair

Cap­ture d’écran du trailer

Vous vous êtes intéressés à des acteurs.trices de la scène élec­tron­ique française seule­ment ou internationale ?

On avait envis­agé au départ de ques­tion­ner des acteur·trices internationaux.ales à l’oc­ca­sion de leur venue sur des dates parisi­ennes ou lors de fes­ti­vals. Mais l’épidémie est arrivé… On est donc resté sur des inter­venants français. Au delà de ça, on est encore une petite struc­ture, nos pro­jets sont cen­trés sur Paris pour l’in­stant. Mais à l’avenir, on aimerait beau­coup tra­vailler sur des pro­jets à plus grande échelle, et on réflé­chit déjà à cer­tains sujets hors France.

Donc la sit­u­a­tion san­i­taire a dû com­pli­quer les choses…

C’est un peu com­pliqué de réalis­er un doc­u­men­taire en cette péri­ode de pandémie, ça rajoute une dif­fi­culté, on doit bricol­er avec ce qu’on peut, c’est la croix et la ban­nière pour tourn­er. Mais on fait avec, parce que c’est un pro­jet qui nous intéresse plus que jamais, et qui con­cerne tout le monde. C’est aus­si un avan­tage, quelque part, de se pos­er toutes ces ques­tions pen­dant cette péri­ode de « pause ». Ça peut per­me­t­tre de dis­tinguer un avant, et d’e­spér­er à un meilleur après, quelque part.

Ce n’est pas parce qu’un ou deux PDG de gross­es majors démis­sion­nent et que quelques rappeurs se font met­tre à l’a­mende, que toute l’in­dus­trie va enfin revoir ses codes.”

PWFM

Anaïs Lesz­cyn­s­ka B2B Aza­mat B (DJ) et Bon­nie Lis­bon (VJ) lors de la 1ère Provoca­tive Women for Music au Glazart, sep­tem­bre 2019 / ©Romain Guédé

Après avoir pris la tem­péra­ture de la place des femmes dans les musiques élec­tron­iques, quel con­stat pouvez-vous en tir­er ? Les choses sont-elles en bonne voie pour chang­er ? Est ce qu’on peut s’at­ten­dre à un raz-de-marré #Music­Too ?

Il y a plusieurs sujets qui se croisent mais qu’il faut tout de même men­tion­ner. Les vio­lences que les femmes subis­sent (et elles ne sont mal­heureuse­ment pas les seules à en subir… On pense évidem­ment égale­ment aux per­son­nes racisées et du LGBTQI+), qu’elles soient physiques et/ou morales, sont enfin mis­es en exer­gue grâce à ces mou­ve­ments qui libèrent la parole et l’on se rend enfin compte, à faible échelle, de toutes les dérives de notre milieu, sou­vent idéal­isé. Évidem­ment, on espère que cela va chang­er, mais c’est comme tout, le change­ment cela va lente­ment. Ce n’est pas parce qu’un ou deux PDG de gross­es majors démis­sion­nent, que quelques rappeurs se font met­tre à l’a­mende, que toute l’in­dus­trie va enfin revoir ses codes. C’est un tra­vail de péd­a­gogie, qui va pren­dre du temps et c’est surtout à la jeune généra­tion de pren­dre le relais avec d’autres valeurs. Mais en ce sens, on remar­que qu’il y a une véri­ta­ble volon­té de changement.

A côté de ça, ces ques­tions en amè­nent à d’autres… Il n’y a que trop peu de femmes dans les musiques élec­tron­iques, ce qui les mar­gin­alise. Elles ont beau com­pos­er la moitié de la pop­u­la­tion mon­di­ale (à quelques chiffres près), elles sont une infime par­tie dans les rangs des professionnel·le·s. Pourquoi ? Com­pliqué de se faire une place par­mi tous ces gars, peu de femmes mod­èles pour t’é­pauler et te soutenir. Si tu es artiste, tu te tapes un raz-de-marée de com­men­taires de haters sur les réseaux du genre « elle est là pour son physique », « ses tracks sont pro­duits par un ghost pro­duc­er », etc… Comme si une femme était moins capa­ble d’u­tilis­er des machines qu’un homme. Ceci dit, d’un point de vue soci­ologique, les machines sont des instru­ments d’hommes quand les femmes sont can­ton­nées au piano, la harpe, ce qui est plus sexy d’une cer­taine manière. Les machines, l’or­di­na­teur, les câbles dans tous les sens, c’est un truc de gars quoi. L’ingé’ son d’un lieu ou fes­ti­val ne va jamais (ou presque) voir spon­tané­ment une femme, qu’elle soit DJ ou VJ, pour des ques­tions tech­niques. Les femmes sont can­ton­nées à la com­mu­ni­ca­tion, au graphisme, au bar. Quant aux postes à respon­s­abil­ité, comme la direc­tion artis­tique, ce sont (presque) tou­jours des hommes. Citez-moi le nom d’un club français dont la D.A. est faite par une femme…

Enfin, si vous prenez le rap­port égal­ité hommes/femmes que le Min­istère de la Cul­ture pro­duit chaque année, les comités de sub­ven­tions dans la musique sont égale­ment majori­taire­ment mas­culins, et les artistes touchant des sub­ven­tions, sont donc majori­taire­ment des hommes. (Petite remar­que : ces chiffres ne con­cer­nent pas la musique élec­tron­ique, totale­ment absente de ce rap­port.) Et ce ne sont que quelques élé­ments… Finale­ment, des chantiers, il y en a plus d’un. Pour l’in­stant, nous en sommes à l’é­tape de la prise de con­science et de débuts de change­ments. Mais on s’en repar­le dans 5/10 ans !

Comme si une femme était moins capa­ble d’u­tilis­er des machines qu’un homme.”

PMFW

Pub­lic lors de la 1ère Provoca­tive Women for Music au Glazart, sep­tem­bre 2019 / ©Julie Montel

Dites-nous, qui pré­cisé­ment est der­rière ce docu ? 

On tra­vaille à cinq. Chez Le Bruit de Fond, nous sommes qua­tre : Thomas Restout et Marien Hvala, qui gèrent la réal­i­sa­tion ain­si que la post pro­duc­tion, Lloyd Philip­pon sur la musique et l’am­biance sonore, et Rayane Mal­ki sur l’écri­t­ure : on essaye vrai­ment de tout pro­duire en interne. De l’autre côté, sur la com­mu­ni­ca­tion, la direc­tion artis­tique et la coor­di­na­tion du pro­jet, on retrou­ve Mar­i­on Delpech et ses dif­férentes struc­tures : PWFM et Act Right, qui sont engagées autour de la place des femmes dans le milieu élec­tron­ique, la par­ité et la sécu­rité en milieu festif.

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