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4 octobre 2013

Blind-test : Stromae

par rédaction Tsugi

Avec les raz-de-marée “Alors on danse ?” ou “Formidable”, Stromae a prouvé qu’électronique et chanson populaire faisaient bon ménage. Bien moins lisse qu’il n’y paraît, le Bruxellois s’est prêté de bonne grâce au jeu du blindtest 100 % belge.

 

Johnny Hallyday
“Retiens la nuit”
extrait de l’album Retiens la nuit

Stromae : C’est sûrement les années 60, mais je ne vois pas qui c’est…

Tsugi : Le plus français des Belges…

Ah, Johnny ! C’est difficile de reconnaître sa voix sur ce vieux morceau. Ah, si, ça vient. Ouhhhh ! (rires) “Retiens la nuit”, c’est ça ? C’est vrai que c’est le plus français des Belges, il a quand même vécu en majorité en France. Ici, il y a la même ferveur qu’en France, sans le côté “fan activiste”, mais ça reste l’idole des jeunes et des vieux. Dans ma famille, personne ne l’écoutait vraiment et j’avoue que comme je n’ai pas été bercé par ses chansons, j’avais du mal à comprendre. Puis je l’ai vu en concert, et j’ai compris.

Qu’est-ce qu’on écoutait comme musique à la maison ?

Ma mère, enfin ma maman, elle n’aime pas que je dise ma mère, écoutait de la salsa, de la rumba, congolaise surtout, de la musique sud-américaine ; mon frère aîné Public Enemy et Mozart, le deuxième les BO de Ghost In The Shell et Blade Runner, un peu de Jacques Brel ; ma sœur Céline Dion, tous les soirs avant de s’endormir, Jean-Jacques Goldman et Technotronic ; et moi rien. J’écoutais leurs disques.

 

Plastic Bertrand
“Ça plane pour moi”
extrait de l’album An 1

Plastic ! (rires). C’est les années 80 ! Entre ce qu’on a lu dans la presse et les différents jugements, on ne sait pas si c’est vraiment lui qui chantait. Je préfère prendre les choses de manière positive et me rappeler qu’il a fini numéro 2 des charts américains avec une chanson en français. Ça me rassure dans mon idée fixe qu’il n’y a pas que l’anglais qui soit international. D’autres l’ont prouvé avant lui, comme France Gall qui a été numéro 1 en Allemagne. Il faut faire chanter sa langue. Je suis allé assez loin dans les charts étrangers avec mon premier album, en français, ce que je n’imaginais pas. J’espérais déjà être écouté par ceux qui comprenaient ma langue, et le succès d’“Alors on danse ?” m’a donné ce goût de l’usage du français. Après tout, pourquoi les autres ne pourraient pas danser sur une chanson qu’ils ne comprennent pas ? On le fait tout le temps avec l’anglais nous !

Et chanter en flamand ?

Pourquoi pas ? Mais ça fait encore un rapprochement avec Jacques Brel et il faut faire attention. Autant j’accepte volontiers les compliments, autant c’est mon rôle de ne pas le copier. Je m’en inspire, autant que de Cesaria Evora ou de Papa Wemba. Par contre j’aime utiliser des termes brusselaires, ce néerlandais vulgarisé mélangé à du français qu’on parle à Bruxelles. J’ai envie de défendre le brusselaire.

 

Arno
“Les Filles du bord de mer”
extrait de l’album Idiots savants

(en deux secondes). Tsoin, tsoin, c’est tonton, Arno ! Je n’ai jamais entendu la version studio, je ne la connais que live. J’aime bien Arno car il est bien de chez nous, il représente vraiment la Belgique, ce côté “on s’en fout”, il le personnifie bien. Il est né à Ostende et vit à Bruxelles, il écorche le français et s’en moque complètement, il a un recul magnifique sur lui-même. Pour moi, c’est ça la Belgique : tu t’en fous. Je continuerai à être fier d’être belge tant que la Belgique, elle, ne sera pas fière d’être belge. Tu vois un peu le truc qui ne veut rien dire, surréaliste.

 

 

Telex
“Moskow Diskow”
 extrait de l’album Looking For Saint Tropez

“Russian quelque chose”, ah oui, “Moskow Diskow”. Mais je ne sais plus qui c’est.

Telex, les Kraftwerk belges…

La classe ! C’est les papas de la new beat. J’ai découvert récemment, leur clip, c’est un clip qu’on aurait pu faire maintenant. C’était peut-être dans les années septante, mais je trouve super d’avoir osé la dance à l’époque où tout le monde était à l’organique, où l’électronique était bien plus compliquée à produire. Sans oublier ceux qui devaient penser que l’électronique “c’est n’importe quoi, la musique c’est vivant”.

 

 

Confetti’s
“The Sound Of C”
extrait de l’album 92… Our First Album

(il mime les mouvements robotiques du chanteur) Confetti’s ! Ils avaient tourné leur clip place de Brouckère, c’est là que j’aurais dû faire celui de “Formidable”. En plein milieu du carrefour, un happening. Ils avaient inventé le flashmob. Confetti’s, c’est new beat. Elle tue cette musique, elle groove. Ça aussi, ça venait de la lune. Comme Technotronic… C’était électronique mais ça ne rejetait rien, ça intégrait du hip-hop, comme la rappeuse de Technotronic avec ses danses hip-hop. C’était singulier, et ça a payé. La singularité prime toujours sur l’imitation.

 

De Puta Madre
“Une ball dans la tête”
extrait de l’album Une ball dans la tête

(long silence) Je ne vois pas du tout.

De Puta Madre…

Ah, merde. J’aurais dû attendre un peu, je n’ai pas de patience. (il remet son casque) C’est notre NTM à nous ! C’est la génération de mes grands frères, ils se connaissaient et se côtoyaient. J’ai connu le milieu hip-hop surtout par mes frères. C’est par eux que j’ai rencontré R.A.B ou Souterrain. Il y avait un côté “petit frère”. Les quartiers populaires sont moins chauds en Belgique qu’en France, c’est plus en fonction de l’heure qu’ils se réchauffent. Je vivais dans un quartier modeste qui n’était vraiment pas chaud, situé près de Schaerbeek, d’où venait De Puta Madre je crois. Par contre, là où mes frères ont grandi, c’était des immeubles avec les seringues au pied des tours, et ma mère, qui n’en pouvait plus, s’est saignée pour acheter une maison avec un jardin, pour qu’on ne traîne pas dans la rue.

 

Soulwax
“E-Talking”
extrait de l’album Any Minute Now

Je ne savais même pas que c’était belge. En même temps, c’est très belge d’ignorer ce genre de choses. Tu connais les morceaux, mais tu mets dix ans à réaliser que c’est des compatriotes. Sans faire mon insolent – j’ai eu la chance d’être d’abord soutenu en Belgique -, les Belges sont généralement beaucoup plus connus à l’étranger que chez eux, quand ils ne sont pas complètement inconnus dans leur pays natal.

Ils sont aussi connus en tant que 2 Many DJ’s… toi-même, tu es un clubbeur ?

Je n’allais pas en soirées house quand j’étais jeune, car quand on écoutait du hip-hop comme moi, c’était la honte d’aimer la house (raccourci idiot soit dit en passant), mais je sais que la Belgique a une grosse culture club, avec le Fuse à Bruxelles ou encore le Boccaccio à Gand, mais ce ne sont pas des lieux que j’ai fréquentés. Mon frère aîné a travaillé au Vooruit, j’y suis allé une fois, et j’ai été très surpris, car cette culture m’était inconnue. Je connaissais la club attitude hip-hop, où tu arrivais propre sur toi, alors que là c’était déjà plus un truc de défoncé. Cet aspect “drogues”, moins glamour, ne m’a jamais attiré. Je suis beaucoup sorti pendant la composition du deuxième album et j’avoue que je n’avais jamais vu autant de drogues. C’est la joie de vivre. (rires) Quand on me demande où je vais chercher la mélancolie de certains titres, eh bien dans les clubs. Sous la joie et l’ambiance, il y a la tristesse et la solitude. Avant dans les dancings, on dansait à deux. Maintenant, on danse tout seul.

 

Goose
“Control”
 extrait de l’album Control Control Control

Ça sonne ! dEUS ? Venus ?

Goose…

Magnifique, super bon choix. Je suis récemment allé les voir en concert, et c’est des tueurs les enfoirés. C’est Arno qui m’a conseillé d’aller les voir. C’est vraiment mon tonton de la vie. Un ami m’a aussi encouragé à les voir sur scène, parce que ça allait me donner des idées pour mon live. Et c’est vrai que leur live est canon. Ils sont en place, les lumières sont terribles, et musicalement c’est bien, entre électronique et rock. J’ai pris une claque.

 

Stromae
“Papaoutai”
extrait de l’album Racine carrée

Ben tiens, c’est qui ? C’est moi quand même ? Ou c’est un titre de Brel que j’ai plagié. Ah, schizophrénie. (rires) “Papaoutai” est plus waka-waka que Brel. Je ne sais pas trop quoi dire. C’est une chanson point d’interrogation, qui ne juge pas. “Papaoutai” dépasse dans mon esprit le stade de l’enfant qui en veut à son père d’être très peu présent. Les adultes trouvent le clip déchirant, alors que pour les enfants il est drôle, mais ils en comprennent le message. Racine carrée est un album aux textes réalistes, car la vie n’est pas qu’un clip de Rick Ross, avec une grosse voiture, des meufs à moitié à poil et une piscine, même lui n’a pas cette vie-là. Arrêtez de nous mentir ! Lui aussi a des galères. J’ai envie de défendre la vraie vie. On peut danser dessus, en rire, en pleurer. Sans pleurs, pas de rires. On se ferait chier si on n’avait pas de problèmes.

Racine carrée (Mosaert/Island/Universal)
www.stromae.net

Article paru dans le numéro 65 de Tsugi (septembre 2013).

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