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1 juin 2020

Britney Spears : ascension et chute de l’idole qui n’a jamais grandi

par Tsugi

Cette semaine, Tsugi vous invite à lire ou relire cinq articles de la série consacrée aux pop stars, initialement publiée dans le zine bordelais Le Gospel (le #6 se chope ici). Aujourd’hui, Pierre Alberici revient sur l’ascension et la chute de Britney Spears, idole adolescente restée aux portes de l’âge adulte dans un nuage de dépression et de pop songs irrésistibles.

Par Pierre Alberici

En cette période de confinement, la pop-star Britney Spears a tué l’ennui en déterrant de vieux démons. Avec le langage contemporain d’Instagram, elle s’est filmée en train de danser sur le titre « Filthy » d’un certain Justin Timberlake. Réponse de l’intéressé : « Snapchat, Instagram, TikTok, Facebook même Myspace étaient inspirés par toi. »

L’ex petit ami vise juste : il y liste en un commentaire des espaces que, successivement, la désormais pré-quadra aura su se réapproprier. Il y fait l’état des outils ayant défilé devant tous les millenials de son (mon) âge pour occuper une place médiatique. Il nous donne l’occasion de retracer le parcours sinueux et attachant, de cette icône de la génération MTV ayant dû subir tous ces changements, de l’enfance à un douloureux voire impossible passage à l’âge adulte.

Jeunesse dorée et hit à tout prix

La carrière médiatique de Britney Jean Spears naît en 1992 (elle a 11 ans) dans un haut lieu de la pop culture. Pop-star précoce, elle est animatrice du All New Mickey Mouse Club – programme de Disney Channel – aux côtés de Christina Aguilera, Ryan Gosling et Justin Timberlake. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le destin professionnel réservé aux filles fut beaucoup moins clément que celui des garçons .

Après une tentative avortée au sein du girls band Innosense, la carrière discographique de Britney Spears débute le 3 novembre 1998 avec « Baby One More Time ». Produite par l’architecte sonore des boys/girls bands Max Martin, la chanson (initialement prévue pour le groupe d’Atlanta TLC) marque les premiers pas de la jeune fille du Mississippi au sommet des charts avec ce qui reste son plus gros hit international à ce jour (plus de 490 millions de vues pour le clip officiel sur YouTube).

A l’époque, le contexte de l’industrie musicale favorise également la montée en puissance de l’artiste pouvant jouer sur deux tableaux : celui des ventes physiques grâce à l’implantation du CD et son âge d’or (R.I.P.) mais aussi celui du clip et l’économie du single (via notamment les chaînes de télévision en « M » comme MCM, MTV, M6 Music). Britney domine le jeu de la pop en s’appropriant déjà ses futurs standards : miser sur la rentabilité d’un titre plutôt que sur le pari d’un long format. Investir sur le cliché de la lolita et de son pouvoir d’influence plutôt que sur un parcours artistique plus personnel. Comme un hommage à ses racines puisées dans la pop-culture, la dernière piste de son premier effort est la reprise de « The Beat Goes On«  , composée par Sonny Bono et interprétée en compagnie de Cher, un certain modèle de pop-star américaine.

La jeunesse dorée de Britney se poursuit lorsqu’elle reproduit la performance sur le justement nommé second album Oops !… I Did It Again. Il se vend à plus de 20 millions d’exemplaires et fixe les exigences très haut. Si Britney pouvait être citée comme celle qui a réussi à transcender ce nouveau type de développement de carrière (le hit à tout prix) elle pourrait également en être la première victime concernant sa durée de vie artistique. Il faut donc se réinventer, faire des choix, s’assumer, autrement dit agir en tant qu’adulte.

Britney et In The Zone : crise d’adolescence

Alors que l’image de l’écolière sexy et provocante commence à vaciller, l’album suivant va opérer une transition importante dans l’identité de la chanteuse américaine. Contrainte désormais à la loi des tendances, Britney Spears devient Britney sur l’album du même nom. Cette mue se traduit par un renouveau salvateur artistiquement parlant avec notamment deux singles produits par The Neptunes (Pharrell Williams et Chad Hugo) et constituant une véritable rampe de lancement vers le magistral In The Zone. L’ex-lolita s’assume et ce qui pouvait être pris comme quelque chose de naïf et excusable devient dorénavant polémique et clivant.

Encore un temps d’avance pour l’artiste, dont l’agent révèle en 2014 la mise en scène du baiser entre Madonna et sa cliente lors des MTV Awards en 2003 afin de créer un buzz qui allait, dès le lendemain, se retourner contre elle. L’Amérique puritaine est choquée : c’est le premier faux-pas de la nouvelle Princess of Pop qui rêve de sortir de sa zone de confort (musicale). Elle loupe ensuite le coche des tournées (qu’elle mettra en pause momentanément en 2002). Sa vie affective devient instable et ses débuts d’actrice maladroits dans le film Crossroads sont fortement critiqués . L’artiste a du mal à passer un cap.

Néanmoins, la véritable dream team (allant de R. Kelly aux producteurs Roy Hamilton, Jimmy Harry et Mark Taylor en passant par Madonna ou encore Moby) ayant contribué à la douzaine de titres sortis (dont « Toxic » ) en novembre 2003 pour In The Zone, lui permet de garder un succès populaire . Avec ces deux albums qui pourraient être perçus comme le crépuscule de sa jeunesse, et se concluant par un chant du cygne des plus personnel, touchant et sincère (le titre « Everytime« ), Britney laisse néanmoins une nouvelle fois son empreinte sur l’attitude en devenir des pop-stars. Celle qui transformera des teenagers américains filmés dans leurs collèges en des adulescents influenceurs dans un décor à la Matrix numérisé avant-garde d’Instagram ?

La maturité loupée ou le refus de passer à l’âge adulte

Comme pour beaucoup d’artistes des années 90, Britney Spears aura du mal à retrouver sa vitesse de croisière après son (deuxième) meilleur album. Celle-ci doit également faire face aux nouveaux paris de l’industrie musicale misant sur la culture hip-hop et délaissant progressivement la culture dance de la décennie précédente. Face à de nouvelles étoiles montantes pour qui la carrière « au titre » est déjà bien enclenchée (Beyoncé et Rihanna dans une moindre mesure à l’époque), Britney sombre au moment de passer le stade de la maturité.

Justin Timberlake l’avait annoncé dans le clip de « Cry Me A River », Britney n’est plus que l’ombre d’elle-même. La promotion de son dernier album est, également, ratée suite à une malheureuse blessure sur sa tournée The Onyx Hotel Tour en 2004. Les ventes s’en ressentent et la chanteuse essaye de se redonner littéralement une seconde enfance sur le petit écran : en 2005 elle lance sa propre télé-réalité avec son compagnon (l’encore justement nommé Britney And Kevin Chaotic) mais rien n’y fait : les retours sont catastrophiques.

La presse à scandale ne l’épargne pas : prise de poids, culotte trop visible, fréquentations jugées trop peu sages (Paris Hilton et Lindsay Lohan). Comme point culminant de ce burn out bouillonnant depuis des années, le monde découvre alors une femme instable, crâne rasé, littéralement broyée par la célébrité et hantée par une nostalgie destructrice.

Signes des temps, en 2007, le plus gros site de fan de l’artiste World Of Britney ferme. Après des excuses publiques, elle entre en cure de désintoxication. Pourtant, elle trouve, pour la troisième fois, les ressources nécessaires pour offrir à son auditoire une nouvelle renaissance discographique nommée Blackout et moyennement accueilli par la critique. Paru en 2008, l’album Circus et son titre phare « Womanizer » laisse entrevoir la perspective d’une rédemption médiatique et commerciale en battant le record de la plus grande progression au Billboard 100 passant de la 96ème à la 1ère place.

En reprenant, par la suite, les mêmes ingrédients qu’au début de sa carrière (Max Martin revient dans la boucle) et les standards des courants musicaux en vogue au fil des albums (dubstep deuxième génération, musique de club édulcorée), elle parvient à rentrer dans le rang et se responsabiliser au fil des albums.

En pleine crise de la trentaine, Britney cristallise sur « Britney Jean » en 2011, la solitude de la vie d’une pop-star, tentant de régler les comptes du passé et de ce chemin de croix que représente sa carrière digne d’une héroïne scorsesienne.

L’an 2019 montrera que, malgré le fait d’avoir retrouvé une célébrité toute relative en devenant l’ambassadrice de la marque Kenzo et d’avoir pu extérioriser son mal-être dans ce précédent concept album, des névroses liées probablement à son enfance subsistent toujours. En mars de l’année passée, l’artiste s’est faite interner en hôpital psychiatrique montrant la plaie toujours ouverte que peut constituer, pour les gens de sa génération, le passage à l’âge adulte.

Ce n’est donc peut être pas forcément la musique de Britney qui touche des millenials comme moi mais bien son parcours. Là où l’ado de classe moyenne que j’étais avait pu être ébloui par la trajectoire d’un Kurt Cobain, inconnu paumé et écorché ayant bénéficié d’une ascension sociale mais l’ayant aussi stoppé de manière brutale et tragique au moment d’assumer pleinement son statut, la trajectoire de Britney Spears pourrait, plus fidèlement correspondre aux personnes de mon âge.

Un âge où l’on naissait dans la pop-culture, où l’enfance était naïve et où l’on ressassait les modèles de nos parents et dont il a fallu faire le deuil (de manière(s) radicale(s) ? en se rasant le crâne ?). Un passage vers la vie adulte qui ne s’est probablement pas fait sans mal et parsemé de toutes sortes d’adaptations (aux divers marchés qu’ils soient de l’emploi, du numérique, de l’image de soi, de la culture et des médias, et de l’entertainment)

Et où pour certains, quelque chose d’innocent s’est transformé en poison. Quelque chose qui, comme le chante cette victime d’un système dans « Everytime », nous a parfois brûlé les ailes mais dont nous essayons, comme elle, au fil des années, de nous relever ! Courage Britney !

L’article original a été publié sur Le Gospel ici. Le zine #6 est disponible par là.

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