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Cabaret Voltaire : vie et mort de Richard H. Kirk, pionnier de la UK techno industrielle

par Tsugi

Richard H. Kirk, mem­bre fon­da­teur de Cabaret Voltaire et démi­urge de la musique tech­no indus­trielle est mort lun­di 21 sep­tem­bre à seule­ment 65 ans. La cause du décès n’a pas encore été ren­due publique.

Par Olivi­er Richard.

La triste nou­velle a été annon­cée sur Twit­ter par son label, Mute. “C’est avec une grande tristesse que nous annonçons que notre cher et fan­tas­tique ami, Richard H. Kirk est décédé. Richard était un immense génie qui a tracé un chemin sin­guli­er et inspiré durant toute sa vie et sa car­rière musi­cale”, a com­men­té le label. C’est le moins que l’on puisse dire tant le par­cours de Kirk a été, comme on dit, sémi­nal. Pour preuve, les nom­breux hom­mages qui lui ont été ren­du au Royaume-Uni, en par­ti­c­uli­er par New Order et Orbital, qu’il a inspirés mais aus­si par tous les plus grands médias britanniques.

Kirk est né en 1956, comme John­ny Rotten/Lydon. Orig­i­naire du nord de l’An­gleterre, il n’a jamais quit­té sa ville d’o­rig­ine, l’in­dus­trielle Sheffield. Comme beau­coup d’a­dos de la région, il baigne dans la North­ern Soul puis le glam, notam­ment Roxy Music époque Bri­an Eno. “Beau­coup de gens oublient que Cabaret Voltaire a été influ­encé par ce que beau­coup de gens appel­lent la « black music » expliquait-il au site loudandquiet.com en 2013. La dance music de l’époque — des gens comme James Brown, Miles Davis et Fela Kuti. À la même époque, nous étions très influ­encés par les Alle­mands : Kraftwerk, Neu! et Can mais beau­coup de nos influ­ences étaient afro-américaines. Nous allions dans les clubs de Sheffield dans les années 70 et on dan­sait sur du funk et tous ces trucs. Pour moi, c’é­tait aus­si impor­tant que d’é­couter Stock­hausen, Bri­an Eno et l’avant-garde musi­cale européenne. Les rythmes et la répéti­tion ont tou­jours été impor­tants.” Cette cul­ture musi­cale éclec­tique l’amène à ren­con­tr­er Chris Wil­son (né en 1952) qui bidouille avec des appareils élec­tron­iques prim­i­tifs comme un mag­né­to­phone avec pour but de créer de la « musique sans instru­ments ». En 1973, le duo, bien­tôt rejoint par Stephen Mallinder, un ami de Kirk, fondent le duo Cabaret Voltaire, en hom­mage au lieu züri­chois où est né le mou­ve­ment Dada. Kirk n’a que dix-sept ans.

Je ne suis pas là pour pein­dre de jolies images, je suis là pour dire quelque chose, même si c’est fuck you !”

Dès ses débuts, Cabaret Voltaire se dis­tingue par une approche expéri­men­tale et DIY dans laque­lle les boucles sont assem­blées comme les cut-ups de William Bur­roughs. Prêt à se pro­duire n’im­porte où, le groupe joue même dans des toi­lettes ! Les « Cabs » explorent des ter­ri­toires soniques incon­nus avec leur « musique pop expéri­men­tale » (sic) qui con­stitue la bande-son par­faite de leur cité indus­trielle gan­grenée par le chô­mage de masse (Kirk sera tou­jours fier de ses orig­ines ouvrières). C’est par­fois trop pour le pub­lic rock/pop clas­sique qui, à cette époque où règ­nent Led Zep­pelin, Gen­e­sis et les Rubettes, est out­ré par l’as­saut sonore à base de machines et clar­inette (entre autres) que leur infli­gent Kirk et ses acolytes. Un con­cert de 1975 dégénère ain­si en bagarre générale, les musi­ciens, pass­able­ment bour­rés, étant qua­si­ment lynchés par le public.

L’ar­rivée du punk et son pub­lic notoire­ment vio­lent ne les découra­gent pas et Cabaret Voltaire finit par sign­er chez le légendaire label Rough Trade en 1978. Les « Cabs » tombent à pic puisque leurs expéri­men­ta­tions coïn­ci­dent avec la nais­sance du post-punk, entre autres courants musi­caux dark et élec­tron­iques. En 1979, la sor­tie du rad­i­cal sin­gle “Nag, Nag, Nag”, hybride stupé­fi­ant de musique dance, de punk et de proto-techno leur per­met de sor­tir de l’un­der­ground. Red Mec­ca, leur troisième album leur per­met d’at­tein­dre la pole posi­tion du Top indie (1981). Le départ de Wat­son la même année n’empêche pas Kirk et Mallinder de con­tin­uer leurs expéri­ences soniques dans les années 80. En 1983, les deux « Cabs » quit­tent Rough Trade pour sign­er avec le label Some Bizarre et Vir­gin en dis­tri­b­u­tion. De plus en plus dance, leur pro­duc­tion des années 80 fusionne musique expéri­men­tale et sons améri­cains, les DJs de Chica­go et Detroit jouant régulière­ment leurs dis­ques alors que Kirk s’in­spire de la house et de la tech­no naissantes.

Véri­ta­ble bour­reau de tra­vail, Kirk mul­ti­plie aus­si les pro­jets par­al­lèles, ce dès 1980. Sa discogra­phie solo compte ain­si plus d’une quar­an­taine d’al­bums. “Le boulot d’un artiste est de défi­er le putain de statu quo. Je ne suis pas là pour pein­dre de jolies images, je suis là pour dire quelque chose, même si c’est fuck you !” racontait-il, tou­jours à loudandquiet.com. En 1990, il s’as­so­cie avec DJ Par­rott pour le duo Sweet Exor­cist qui se con­cré­tise par un album (C.C.C.D.), le pre­mier pub­lié par… Warp Records. Kirk embraye ensuite avec le pro­jet XON sur lequel il tra­vaille avec Robert Gor­don, un autre natif de Sheffield, une pro­duc­tion qui a depuis acquis un statut culte (“Sweet Exor­cist et XON font par­tie des plus beaux exem­ples de tech­no bri­tan­nique” dix­it The Guardian).

Je ne veux pas faire comme tous ces vieux qui essaient de revivre leurs 20 ans”

Mallinder démé­nageant en Aus­tralie en 1995, Cabaret Voltaire devient le pro­jet solo de Richard H. Kirk. Intè­gre jusqu’au bout, il refuse une offre pharaonique de ref­or­ma­tion de Cabaret Voltaire par Coachel­la. “Je ne veux pas faire comme tous ces vieux qui essaient de revivre leurs 20 ans” commentait-il, nar­quois. Tou­jours à Sheffield, il livre pas moins de trois albums fasci­nants ces derniers mois (Shad­ow Of Fear, Dekadrone et BN9Drone lesquels por­tent bien leurs noms). Il s’est éteint peu de temps après. Nous lui lais­serons le mot de la fin : “Je ne sors plus en clubs parce qu’ils sont plein de gamins vrai­ment jeunes. Quand j’y vais, on me prend pour un deal­er. Une fois, on m’a même pris pour un flic ! Je me suis sen­ti sale­ment insulté, mec.”

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