🔊 Ce nouvel EP de Ben Shemie (SUUNS), ode acid à la TB-303

par | 29 03 2021 | magazine

Ben Shemie, le chanteur de SUUNS, sort aujourd’hui 303 Diary, un EP solo et expérimental tourné vers les sonorités acid et la TB-303. L’occasion de parler musique électronique, machines et du futur de SUUNS avec le Canadien.

Chanteur et guitariste du groupe Suuns, Ben Shemie reste hyperproductif, et le confinement ne l’a visiblement pas épuisé – au contraire. Par le passé, il nous avait habitué en solo à des titres électro-pop proches de ceux de son groupe Suuns, mais cette fois-ci Ben a mis tout son talent à exploiter une machine bien connue des aficionados de la musique électronique : la TB-303, celle aux sonorités de basses acides. Adéquatement intitulé 303 Diary, cet EP de six titres détourne l’utilisation classique de la drum machine pour la façonner à son image. Il nous a raconté l’histoire derrière ce maxi.

Salut Ben, comment vas-tu et comment as-tu vécu cette dernière année ? J’ai cru comprendre que tu es de retour à Montréal après une longue période à Paris.

Ça va bien, j’étais à Paris toute l’année dernière, sauf pour les festivals et l’enregistrement de 303 Diary. Paris, c’est nouveau pour moi, j’y connais quelques musiciens mais je n’ai pas les mêmes ressources qu’au Canada, c’est beaucoup plus facile d’enregistrer à Montréal qu’à Paris, surtout parce que c’est beaucoup moins coûteux et que ce sont mes amis qui gèrent les studios. Je suis à Montréal depuis un moment maintenant.

Tu as un EP qui sort aujourd’hui intitulé 303 Diary, comment s’est passé l’enregistrement ?

J’étais revenu jouer au festival MUTEK à Montréal l’automne dernier. Je l’ai enregistré durant une soirée dans le studio de mes amis, c’était très brut, puis j’ai ramené ça à Paris pour le terminer. Ce sont des prises directes et je n’ai pas voulu qu’il ait une post-production trop poussée, il fallait juste que le mix soit propre. Tout ça s’est construit, enregistré et mixé très rapidement.

« J’ai besoin de contraintes pour la composition ; s’il y a trop de possibilités, j’hésite et je me perds. »

La TB-303 de Roland, le légendaire son acid

Tu mets la TB-303 au cœur de ton disque. Est-ce une vraie que tu as utilisé ? On sait que c’est difficile d’en trouver de nos jours…

Malheureusement non, c’est un clone de Behringer TD-3. J’aurais sûrement pu faire ça sur un ordinateur avec un plug-in mais ça aurait été trop différent de ma manière de travailler, davantage hardware. La 303 reste un instrument assez difficile à gérer, mais ce sont justement ces contraintes physiques qui rendent son utilisation plus intéressante qu’avec un plug-in. J’aime jouer avec l’architecture de l’instrument, trouver des manières de contourner ou juste de travailler avec peu de moyens. J’ai besoin de contraintes pour la composition ; s’il y a trop de possibilités, j’hésite et je me perds.

Quelle est ton histoire avec cette machine, et plus largement, l’acid house ?

J’ai découvert la 303 avec Aphex Twin qui faisait beaucoup de morceaux acid à ses débuts, c’est ça qui a fait naître mon intérêt pour la musique électronique « pure ». C’était aussi pour moi un truc de soirée en club. La techno de Detroit, la minimale de Plastikman, c’est ce que j’aime le plus dans ce genre de musique. Je n’ai pas acheté l’instrument parce que je voulais recréer ce genre de musique, mais plutôt parce que je voulais réutiliser sa sonorité. C’est un son très connu, populaire et même un peu cliché, je voulais donc proposer quelque chose de très direct, de rentre-dedans.

« Tout mon matos, c’est de la merde, c’est cheap. »

À part la 303, est-ce qu’il y a des machines que tu apprécies ?

J’utilise surtout des MicroKORG, ce sont des synthétiseurs que j’utilise depuis le début de ma carrière. Récemment, j’utilise de plus en plus de sampleurs. La 303, comme les sampleurs, ont des limites qui donnent beaucoup d’idées créatives, c’est très brut. Mais globalement, tout mon matos, c’est de la merde, c’est cheap. Récemment, j’ai acheté un Dave Smith Tetra, c’est le synthétiseur le plus beau que j’ai acheté mais je ne l’utilise même pas parce que je n’arrive pas à le faire sonner comme je veux. Je sais que mes amis geeks de synthés sont tous fans de Prophet et compagnie, mais moi, dès que j’appuie sur une touche, je n’aime pas le son qui en sort : c’est trop propre ! Je suis plus à l’aise avec des trucs qui plantent parce qu’ils sont mal construits, mais qui sont plus facilement remplaçables. Il y a aussi le fait que tout ce que je produis passe dans des amplis de guitare, ce qui fait qu’il y a quelque chose de très garage dans mon son à la base.

« SUUNS, c’est vraiment différent de ce que je fais en solo, c’est beaucoup plus ambitieux et lisse. »

Est-ce que tu penses que la 303 est un instrument que tu pourrais inclure dans le projet SUUNS ?

Oui, pourquoi pas ! Avec le groupe, c’est sûr que ça marcherait ce genre de vibe. Mais en même temps, dans le groupe, c’est vital qu’il y ait un espace pour les guitares, pour la basse. Le son de la 303 est tellement puissant que ça prendrait peut-être un peu trop de place. Je ne sais pas si je serais capable d’écrire des lignes de guitare autour de la 303. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne pourrait pas travailler avec, ça changerait juste beaucoup notre manière de travailler – non pas que cela soit une mauvaise chose, bien sûr. SUUNS, c’est vraiment différent de ce que je fais en solo, c’est beaucoup plus ambitieux, lisse, et évidemment ce n’est pas juste moi, il y a donc beaucoup plus d’idées, de sonorités. C’est différent dans l’approche surtout.

SUUNS justement, ça en est où ?

On a un EP qui est sorti en octobre, Fiction. On a aussi un album qui devait sortir cet hiver et qui est retardé depuis le début de la pandémie. Pour cet album, on est vraiment resté sur un seul concept du début à la fin, une idée succincte qu’on a maintenue à travers tout le processus d’écriture et de production de l’album. D’une certaine manière, c’est notre meilleur disque car c’est le plus cohérent, il a un fil narratif et c’est certainement notre album le plus mélodique. Il a une cohésion jamais atteinte encore, peut-être parce qu’avec la pandémie il n’y a plus la même pression qu’auparavant… Et au-delà de la pandémie, je crois que c’est l’industrie de la musique qui a changé. Quand on a commencé, on a grandi avec l’idée qu’il fallait enregistrer un album dans un studio, dans le style traditionnel du rock pour ensuite aller à Los Angeles demander à quelqu’un de connu de le mixer. Aujourd’hui, même l’idée d’enregistrer un album semble un peu ancienne. On vient de cette tradition un peu old school donc on fait toujours des albums, mais il n’y a plus de pression. On peut vraiment faire ce qu’on veut maintenant.

Tu préfères ce nouveau modèle ?

Euh… Non ! (rires) De nos jours, l’accent est mis sur les playlists et les singles : plutôt que de sortir un album, il vaut mieux sortir une chanson tous les trois mois. Ça m’attriste que les gens n’écoutent plus vraiment de disques en entier parce que j’ai l’impression qu’ils n’auront pas toute l’histoire que le groupe veut raconter. Bien sûr, les labels demandent toujours des albums car c’est le medium qui fait vendre dans la presse, et ça reste la manière traditionnelle de faire de la musique : tu auras plus de vues pour un album qu’un EP. En fait, c’est la manière dont la musique est distribuée qui empêche la concentration sur l’écoute d’un album. En tout cas, notre album est très différent de ce qu’on a fait avant et j’en suis très fier. On veut surtout le soutenir comme il faut avec une tournée, donc on repoussera la sortie tant qu’on peut jusqu’à l’automne.

« Après un an de confinement et sans tournée, l’inspiration manque et c’est de plus en plus dur de générer des idées qui me plaisent. »

Ça te manque les tournées ?

Énormément. Ça faisait tellement partie de ma vie depuis ces 12 dernières années. Ce n’est pas un rythme qu’on peut garder pour toujours, mais j’en reste addict. Même des choses que je trouvais banales et ennuyeuses, comme apporter les amplis dans le club ou faire le soundcheck, ça me manque. C’est marrant parce que, quand on pense au passé, on se souvient juste des choses positives, on devient nostalgique. Bien sûr, je n’aime pas passer huit heures dans un van jusqu’à la prochaine ville de la tournée, mais je ne m’en souviens même plus maintenant : je ne garde que le positif. La musique pour moi, c’est vraiment un art vivant, c’est un art de la scène. Écrire et produire des albums c’est cool, mais sans les concerts, c’est la moitié de mon intérêt pour la musique qui disparaît. C’est aussi pour ça que toute ma musique en solo, ce sont des prises live, exactement comme un concert. Après un an de confinement et sans tournée, l’inspiration manque et c’est de plus en plus dur de générer des idées qui me plaisent. Je suis assez productif en général, mais je ralentis de plus en plus car je me sens comme vide. Alors je me questionne : si on n’est pas en mesure de communiquer avec un public et d’autres musiciens, où est l’intérêt ? Ce n’est pas soutenable et je ne pourrais pas faire ça pour toujours.

Et en solo, tu as autre chose de prévu ?

Actuellement je travaille avec le quartet de cordes québecois Molinari, ce sont des musiciens avec une formation traditionnelle en conservatoire, donc ça me met un peu la pression ! C’est cool parce que c’est une belle opportunité, j’écris des trucs et ça sonne hyper bien ! L’idée avec ce projet était de faire une série de concerts, mais vu les circonstances on va peut-être l’enregistrer. Je travaille aussi sur un autre EP avec Chloé, c’est ma petite collaboration parisienne. Je ne sais pas quand ce sera prêt, on essaye juste de s’amuser donc il n’y a pas de deadline. Ensuite, le disque avec SUUNS arrivera à l’automne donc je serai assez occupé. Ce que j’aimerais faire pour un prochain projet, ce serait de travailler avec un réalisateur de cinéma ou un vidéaste. De manière générale, j’aimerais davantage collaborer. J’ai fait récemment un spectacle de danse contemporaine à Montréal et j’ai vraiment aimé l’expérience de travailler dans un contexte plus grand avec d’autres personnes. C’était un peu dur à Paris parce que je n’ai pas rencontré beaucoup de monde – c’était un peu la merde socialement et professionnellement à cause du Covid –, mais avec un peu de chance, quand je reviendrai cette année, les choses commenceront à rouvrir et ça sera plus simple de rencontrer des gens.

Qu’est-ce qui t’as fait venir à Paris alors ?

C’est l’amour, une fille, toujours la même histoire… En même temps, il n’y a pas vraiment de meilleure raison pour venir, donc j’ai de la chance. C’est une ville très romantique, je confirme !