🔊 Ce nouvel EP de Ben Shemie (SUUNS), ode acid à la TB-303
Ben Shemie, le chanteur de SUUNS, sort aujourÂd’hui 303 Diary, un EP solo et expĂ©riÂmenÂtal tournĂ© vers les sonoritĂ©s acid et la TB-303. L’ocÂcaÂsion de parÂler musique Ă©lecÂtronÂique, machines et du futur de SUUNS avec le Canadien.
Chanteur et guiÂtariste du groupe Suuns, Ben Shemie reste hyperÂproÂducÂtif, et le conÂfineÂment ne l’a visÂiÂbleÂment pas Ă©puisĂ© – au conÂtraire. Par le passĂ©, il nous avait habituĂ© en solo Ă des titres Ă©lectro-pop proches de ceux de son groupe Suuns, mais cette fois-ci Ben a mis tout son talÂent Ă exploiter une machine bien conÂnue des afiÂcionaÂdos de la musique Ă©lecÂtronÂique : la TB-303, celle aux sonoritĂ©s de bassÂes acides. AdĂ©quateÂment intiÂtÂulĂ© 303 Diary, cet EP de six titres dĂ©tourne l’uÂtilÂiÂsaÂtion clasÂsique de la drum machine pour la façonÂner Ă son image. Il nous a raconÂtĂ© l’hisÂtoire derÂrière ce maxi.
Salut Ben, comÂment vas-tu et comÂment as-tu vĂ©cu cette dernière annĂ©e ? J’ai cru comÂprenÂdre que tu es de retour Ă MonÂtrĂ©al après une longue pĂ©riÂode Ă Paris.
Ça va bien, j’étais Ă Paris toute l’annĂ©e dernière, sauf pour les fesÂtiÂvals et l’enregistrement de 303 Diary. Paris, c’est nouÂveau pour moi, j’y conÂnais quelques musiÂciens mais je n’ai pas les mĂŞmes ressources qu’au CanaÂda, c’est beauÂcoup plus facile d’enregistrer Ă MonÂtrĂ©al qu’à Paris, surtout parce que c’est beauÂcoup moins coĂ»Âteux et que ce sont mes amis qui gèrent les stuÂdios. Je suis Ă MonÂtrĂ©al depuis un moment maintenant.
Tu as un EP qui sort aujourÂd’hui intiÂtÂulĂ© 303 Diary, comÂment s’est passĂ© l’enregistrement ?
J’étais revenu jouer au fesÂtiÂval MUTEK Ă MonÂtrĂ©al l’automne dernier. Je l’ai enregÂistrĂ© durant une soirĂ©e dans le stuÂdio de mes amis, c’était très brut, puis j’ai ramenĂ© ça Ă Paris pour le terÂminÂer. Ce sont des prisÂes directes et je n’ai pas voulu qu’il ait une post-production trop poussĂ©e, il falÂlait juste que le mix soit proÂpre. Tout ça s’est conÂstruÂit, enregÂistrĂ© et mixĂ© très rapidement.
“J’ai besoin de conÂtraintes pour la comÂpoÂsiÂtion ; s’il y a trop de posÂsiÂbilÂitĂ©s, j’hĂ©site et je me perds.”

La TB-303 de Roland, le légendaire son acid
Tu mets la TB-303 au cĹ“ur de ton disque. Est-ce une vraie que tu as utilÂisĂ© ? On sait que c’est difÂfiÂcile d’en trouÂver de nos jours…
MalÂheureuseÂment non, c’est un clone de Behringer TD‑3. J’auÂrais sĂ»reÂment pu faire ça sur un ordiÂnaÂteur avec un plug-in mais ça aurait Ă©tĂ© trop difÂfĂ©rent de ma manière de traÂvailler, davanÂtage hardÂware. La 303 reste un instruÂment assez difÂfiÂcile Ă gĂ©rÂer, mais ce sont justeÂment ces conÂtraintes physiques qui renÂdent son utilÂiÂsaÂtion plus intĂ©resÂsante qu’avec un plug-in. J’aime jouer avec l’architecture de l’inÂstruÂment, trouÂver des manières de conÂtournÂer ou juste de traÂvailler avec peu de moyens. J’ai besoin de conÂtraintes pour la comÂpoÂsiÂtion ; s’il y a trop de posÂsiÂbilÂitĂ©s, j’hĂ©site et je me perds.
Quelle est ton hisÂtoire avec cette machine, et plus largeÂment, l’acid house ?
J’ai dĂ©couÂvert la 303 avec Aphex Twin qui faiÂsait beauÂcoup de morceaux acid Ă ses dĂ©buts, c’est ça qui a fait naĂ®tre mon intĂ©rĂŞt pour la musique Ă©lecÂtronÂique “pure”. C’était ausÂsi pour moi un truc de soirĂ©e en club. La techÂno de Detroit, la minÂiÂmale de PlasÂtikÂman, c’est ce que j’aime le plus dans ce genre de musique. Je n’ai pas achetĂ© l’instrument parce que je voulais recrĂ©er ce genre de musique, mais plutĂ´t parce que je voulais rĂ©uÂtilisÂer sa sonoritĂ©. C’est un son très conÂnu, popÂuÂlaire et mĂŞme un peu clichĂ©, je voulais donc proÂposÂer quelque chose de très direct, de rentre-dedans.
“Tout mon matos, c’est de la merde, c’est cheap.”
À part la 303, est-ce qu’il y a des machines que tu apprécies ?
J’uÂtilise surtout des MicroKOÂRG, ce sont des synÂthĂ©Âtiseurs que j’utilise depuis le dĂ©but de ma carÂrière. RĂ©cemÂment, j’utilise de plus en plus de samÂpleurs. La 303, comme les samÂpleurs, ont des limÂites qui donÂnent beauÂcoup d’idĂ©es crĂ©aÂtives, c’est très brut. Mais globÂaleÂment, tout mon matos, c’est de la merde, c’est cheap. RĂ©cemÂment, j’ai achetĂ© un Dave Smith Tetra, c’est le synÂthĂ©Âtiseur le plus beau que j’ai achetĂ© mais je ne l’utilise mĂŞme pas parce que je n’arrive pas Ă le faire sonÂner comme je veux. Je sais que mes amis geeks de synÂthĂ©s sont tous fans de Prophet et comÂpagÂnie, mais moi, dès que j’appuie sur une touche, je n’aime pas le son qui en sort : c’est trop proÂpre ! Je suis plus Ă l’aise avec des trucs qui plantent parce qu’ils sont mal conÂstruÂits, mais qui sont plus facileÂment remÂplaçables. Il y a ausÂsi le fait que tout ce que je proÂduis passe dans des amplis de guiÂtare, ce qui fait qu’il y a quelque chose de très garage dans mon son Ă la base.
“SUUNS, c’est vraiÂment difÂfĂ©rent de ce que je fais en solo, c’est beauÂcoup plus ambitieux et lisse.”
Est-ce que tu pensÂes que la 303 est un instruÂment que tu pourÂrais inclure dans le proÂjet SUUNS ?
Oui, pourquoi pas ! Avec le groupe, c’est sĂ»r que ça marcherait ce genre de vibe. Mais en mĂŞme temps, dans le groupe, c’est vital qu’il y ait un espace pour les guiÂtares, pour la basse. Le son de la 303 est telleÂment puisÂsant que ça prendrait peut-ĂŞtre un peu trop de place. Je ne sais pas si je serais capaÂble d’écrire des lignes de guiÂtare autour de la 303. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne pourÂrait pas traÂvailler avec, ça changÂerait juste beauÂcoup notre manière de traÂvailler – non pas que cela soit une mauÂvaise chose, bien sĂ»r. SUUNS, c’est vraiÂment difÂfĂ©rent de ce que je fais en solo, c’est beauÂcoup plus ambitieux, lisse, et Ă©videmÂment ce n’est pas juste moi, il y a donc beauÂcoup plus d’idĂ©es, de sonoritĂ©s. C’est difÂfĂ©rent dans l’approche surtout.
SUUNS justeÂment, ça en est oĂą ?
On a un EP qui est sorÂti en octoÂbre, FicÂtion. On a ausÂsi un album qui devait sorÂtir cet hivÂer et qui est retardĂ© depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie. Pour cet album, on est vraiÂment restĂ© sur un seul conÂcept du dĂ©but Ă la fin, une idĂ©e sucÂcincte qu’on a mainÂtenue Ă traÂvers tout le procesÂsus d’écriture et de proÂducÂtion de l’album. D’une cerÂtaine manière, c’est notre meilleur disque car c’est le plus cohĂ©rent, il a un fil narÂratif et c’est cerÂtaineÂment notre album le plus mĂ©lodique. Il a une cohĂ©Âsion jamais atteinte encore, peut-ĂŞtre parce qu’avec la pandĂ©mie il n’y a plus la mĂŞme presÂsion qu’auparavant… Et au-delĂ de la pandĂ©mie, je crois que c’est l’industrie de la musique qui a changĂ©. Quand on a comÂmencĂ©, on a granÂdi avec l’idĂ©e qu’il falÂlait enregÂistrÂer un album dans un stuÂdio, dans le style traÂdiÂtionÂnel du rock pour ensuite aller Ă Los AngeÂles demanÂder Ă quelqu’un de conÂnu de le mixÂer. AujourÂd’hui, mĂŞme l’idĂ©e d’enregistrer un album semÂble un peu anciÂenne. On vient de cette traÂdiÂtion un peu old school donc on fait touÂjours des albums, mais il n’y a plus de presÂsion. On peut vraiÂment faire ce qu’on veut maintenant.
Tu prĂ©fères ce nouÂveau modèle ?
Euh… Non ! (rires) De nos jours, l’acÂcent est mis sur les playlists et les sinÂgles : plutĂ´t que de sorÂtir un album, il vaut mieux sorÂtir une chanÂson tous les trois mois. Ça m’atÂtriste que les gens n’écoutent plus vraiÂment de disÂques en entier parce que j’ai l’impression qu’ils n’auront pas toute l’histoire que le groupe veut raconÂter. Bien sĂ»r, les labels demanÂdent touÂjours des albums car c’est le mediÂum qui fait venÂdre dans la presse, et ça reste la manière traÂdiÂtionÂnelle de faire de la musique : tu auras plus de vues pour un album qu’un EP. En fait, c’est la manière dont la musique est disÂtribuĂ©e qui empĂŞche la conÂcenÂtraÂtion sur l’écoute d’un album. En tout cas, notre album est très difÂfĂ©rent de ce qu’on a fait avant et j’en suis très fier. On veut surtout le soutenir comme il faut avec une tournĂ©e, donc on repoussera la sorÂtie tant qu’on peut jusqu’à l’automne.
“Après un an de conÂfineÂment et sans tournĂ©e, l’inspiration manque et c’est de plus en plus dur de gĂ©nĂ©rÂer des idĂ©es qui me plaisent.”
Ça te manque les tournées ?
ÉnorÂmĂ©Âment. Ça faiÂsait telleÂment parÂtie de ma vie depuis ces 12 dernières annĂ©es. Ce n’est pas un rythme qu’on peut garder pour touÂjours, mais j’en reste addict. MĂŞme des choses que je trouÂvais banales et ennuyeuses, comme apporter les amplis dans le club ou faire le soundÂcheck, ça me manque. C’est marÂrant parce que, quand on pense au passĂ©, on se souÂvient juste des choses posÂiÂtives, on devient nosÂtalÂgique. Bien sĂ»r, je n’aime pas passÂer huit heures dans un van jusqu’à la prochaine ville de la tournĂ©e, mais je ne m’en souÂviens mĂŞme plus mainÂtenant : je ne garde que le posiÂtif. La musique pour moi, c’est vraiÂment un art vivant, c’est un art de la scène. Écrire et proÂduire des albums c’est cool, mais sans les conÂcerts, c’est la moitiĂ© de mon intĂ©rĂŞt pour la musique qui disÂparaĂ®t. C’est ausÂsi pour ça que toute ma musique en solo, ce sont des prisÂes live, exacteÂment comme un conÂcert. Après un an de conÂfineÂment et sans tournĂ©e, l’inspiration manque et c’est de plus en plus dur de gĂ©nĂ©rÂer des idĂ©es qui me plaisent. Je suis assez proÂducÂtif en gĂ©nĂ©ral, mais je ralenÂtis de plus en plus car je me sens comme vide. Alors je me quesÂtionne : si on n’est pas en mesure de comÂmuÂniÂquer avec un pubÂlic et d’autres musiÂciens, oĂą est l’intĂ©rĂŞt ? Ce n’est pas soutenÂable et je ne pourÂrais pas faire ça pour toujours.
Et en solo, tu as autre chose de prévu ?
ActuelleÂment je traÂvaille avec le quarÂtet de cordes quĂ©beÂcois MoliÂnari, ce sont des musiÂciens avec une forÂmaÂtion traÂdiÂtionÂnelle en conÂserÂvaÂtoire, donc ça me met un peu la presÂsion ! C’est cool parce que c’est une belle opporÂtuÂnitĂ©, j’écris des trucs et ça sonne hyper bien ! L’idĂ©e avec ce proÂjet Ă©tait de faire une sĂ©rie de conÂcerts, mais vu les cirÂconÂstances on va peut-ĂŞtre l’enÂregÂistrÂer. Je traÂvaille ausÂsi sur un autre EP avec ChloĂ©, c’est ma petite colÂlabÂoÂraÂtion parisiÂenne. Je ne sais pas quand ce sera prĂŞt, on essaye juste de s’amuser donc il n’y a pas de deadÂline. Ensuite, le disque avec SUUNS arrivera Ă l’automne donc je serai assez occupĂ©. Ce que j’aimerais faire pour un prochain proÂjet, ce serait de traÂvailler avec un rĂ©alÂisaÂteur de cinĂ©Âma ou un vidĂ©aste. De manière gĂ©nĂ©rale, j’aimerais davanÂtage colÂlaÂborÂer. J’ai fait rĂ©cemÂment un specÂtaÂcle de danse conÂtemÂpoÂraine Ă MonÂtrĂ©al et j’ai vraiÂment aimĂ© l’expĂ©rience de traÂvailler dans un conÂtexte plus grand avec d’autres perÂsonÂnes. C’éÂtait un peu dur Ă Paris parce que je n’ai pas renÂconÂtrĂ© beauÂcoup de monde – c’était un peu la merde socialeÂment et proÂfesÂsionÂnelleÂment Ă cause du Covid –, mais avec un peu de chance, quand je reviendrai cette annĂ©e, les choses comÂmenceront Ă rouÂvrir et ça sera plus simÂple de renÂconÂtrÂer des gens.
Qu’est-ce qui t’as fait venir à Paris alors ?
C’est l’amour, une fille, touÂjours la mĂŞme hisÂtoire… En mĂŞme temps, il n’y a pas vraiÂment de meilleure raiÂson pour venir, donc j’ai de la chance. C’est une ville très romanÂtique, je confirme !
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