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20 juin 2018

Chaton, pudique impudeur

par Clémence Meunier

Tout le monde aime les chatons. C’est mignon, c’est duveteux, inoffensif et ça fait des petits miaulements adorables. Mais ce Chaton-là, pas sûr. Crinière de lion (on reste dans le félin), compositions entre dub, pop et électro, voix autotunée et paroles à se tirer une balle de mélancolie : Chaton, on adore ou on déteste. Pas de tiédeur possible avec ce premier album (sous cet alias du moins) de Simon Rochon Cohen, justement nommé Possible. On y entend, en français, les états d’une âme un poil abimée et désenchantée après avoir bossé pendant 10 ans dans tout ce que la variété fait de plus gros : Yannick Noah, Natasha St-Pierre, Amel Bent, mais aussi Jenifer, Lorie, Leslie – bref, « la plupart des chanteuses qui ont un prénom comme pseudonyme » peut-on lire sur sa page Wikipédia. L’humour est toujours là, en creux, et l’amour aussi, alors que Chaton évoque sans aucun détour sa vie amoureuse et sa compagne Lola, ses parents, ses frères… En concert, c’est pareil : alors qu’il était invité à chanter sur une péniche, lors d’une tranquille et délicieuse croisière sur la Mayenne le dernier jour du festival Les 3 Eléphants, Simon-Chaton souhaite son anniversaire à sa maman en plein live via Facetime, raconte ses premiers boulots, annonce même qu’il va devenir papa pour la première fois… Tout en restant sur le fil, entre voyeurisme et poésie, tout à fait conscient de ce qu’il donne et ce qu’il retient. Une pudique impudeur dont nous avons parlé quelques heures avant la fameuse croisière, dans le jardin de la Perrine de Laval.

Si vous êtes plutôt Spotify :

On sent de grosses influences dub et reggae dans tes productions, c’est quelque chose que tu écoutais adolescent ?

Les premiers chocs musicaux que j’ai eu, c’était la musique classique, que j’ai étudié au conservatoire. Mais côté musiques plus accessibles, plus « de la vraie vie », il y a eu le tout premier concert que j’ai vu de ma vie : un live de Black Uhuru, un des pionniers du reggae-dub digital. A l’époque, c’était encore le mythique duo Sly et Robbie qui s’occupait de la basse et de la batterie. Ça a été un choc énorme. Et puis j’y étais allé avec mon grand frère et des amis à lui. J’avais 12-13 ans et je voulais tellement m’intégrer dans ce groupe de gens plus vieux que j’ai tout de suite acheté leur album Sinsemilla. Le disque est assez complexe, je l’ai saigné et me suis presque forcé à l’aimer. Et une fois que tu as aimé cet album-là de Black Uhuru, tout te semble facile à apprécier dans le reggae ou le dub ! Les concerts suivants, c’était Israel Vibration et les artistes mythiques comme Max Romeo ou LKJ, c’était bien plus simple. J’ai en tout cas été pas mal bercé par ces musiques-là, et c’est resté.

Qu’est-ce qui te plait dans le reggae et le dub ?

C’est la musique du silence. Que ce soit chez Chopin ou Marley, il y a cette même science du silence, une volonté de laisser de l’espace à la musique. C’est ce que j’aime dans les musiques à contretemps en général. Mes amours d’aujourd’hui sont toujours dans cette veine minimale, avec beaucoup d’électro, des gens comme Nicolas Jaar qui manie très bien ça. Je ne suis pas très client des couches que l’on rajoute indéfiniment sur les productions (ce qu’on appelle le « layering »), d’autant qu’en bossant 10 ans dans la variété, j’ai été en plein dans la culture inverse : plutôt que de mettre un seul synthé avec le bon son que tu as sélectionné, tu vas en mettre dix les uns sur les autres pour faire des espèces de nappes qui prendront l’espace. Tout ça car il faut capter l’attention très vite dans le cadre d’une diffusion radio. Possible est un album dans lequel je voulais vraiment me faire plaisir, et je tenais donc à revenir à cette idée de contretemps et de silences.

Ça t’a dégoûté cette surproduction de la variété ?

Non, je n’irais pas jusque là ! Comme chacune de mes expériences, ça m’a plu et m’a appris. Mais j’en ai un peu fait le tour, après avoir produit pour les autres j’avais envie d’écrire pour moi, je ne raconte évidemment pas la même chose. Et il y a autre chose. Je pense que ça date du Random Access Memories de Daft Punk. Ces mecs ont sorti un album exceptionnel en termes de production, sans pousser le volume sonore de l’album. Avec notamment l’EDM, il y avait une course à celui qui allait jouer le plus fort. Bien sûr, je n’ai jamais été un gros « layerer », j’essayais tout de même d’apporter un peu de mes goûts à mes productions, je faisais ça vraiment sincèrement et passionnément. Mais il fallait tout de même se plier aux tendances du moment, ou même à l’aspect technique : si ton morceau passant en radio est 3 décibels moins fort que le titre d’avant dans la playlist, ça la fout mal. Cet album de Daft Punk a libéré la production, et m’a permis de retourner à mes amours de musique du silence, pas surproduite, un peu plus sereinement.

Tu écris toujours pour d’autres ?

Cet album, je pensais vraiment le sortir tranquillement avec mon label, faire quelques concerts, et c’est tout. L’histoire en a décidé autrement, c’est absolument génial ! Je pensais que ça allait être un break pendant quelques mois, le temps de la composition et de l’enregistrement, puis une activité annexe. Mais aujourd’hui, c’est mon temps plein, je suis énormément sur la route et je prévois déjà de faire d’autres disques avec Chaton. Donc en ce moment, je refuse toutes les propositions pour d’autres. Simplement pour des raisons de planning, pas parce que j’en avais marre.

Tu n’en as pas marre qu’on te parle tout le temps de tes expériences dans la variété ?

Non, pas du tout. D’une part parce que c’était un plaisir, j’ai rencontré des gens géniaux. Un jour, je me suis retrouvé à Los Angeles dans le studio West Lake. Au mur, il y avait les disques d’or qui ont été enregistré là, comme souvent dans les grands studios. Sauf que là, c’était Thriller de Michael Jackson. Alors bien sûr que dans un monde idéal j’aimerais être à West Lake pour enregistrer mes propres travaux. Mais y être, déjà, c’est immense. Et puis j’ai appris énormément. Il y a un temps incompressible dans le fait d’apprendre à écrire, composer, produire, réaliser. Si j’ai pu faire cet album Possible tout seul, c’est grâce à tous ces gens avec qui j’ai travaillé dans ce qu’on appelle la variété. Si pour une question d’angle médiatique ou d’histoire à raconter tout le monde me reparle de ça, aucun problème. Je suis fier de tout ce que j’ai fait.

Les textes que tu as écris pour Possible sont très impudiques…

Oui, tout à fait. Pour être honnête, je ne pensais pas que ce disque allait être écouté par des gens. Je pensais le faire pour moi, avoir une petite sortie, pas du tout cet engouement. C’est une bonne nouvelle : ça montre que plus tu es libre, plus tu fais des choses qui trouvent écho chez les gens. Quoiqu’il en soit, avec l’avènement des réseaux sociaux, tout est devenu absolument impudique. On tend même vers une impudeur de posture, totalement maîtrisée. Des médias qui ne me connaissaient pas du tout avant ont adoré l’album, et j’en suis ravi. Mais il y a aussi pas mal de gens qui ont pensé que cette impudeur était justement une posture. La pose d’un mec qui a pris des ingrédients du rap, de l’autotune, des textes personnels… Mais, je suis franchement sincère. A tel point que, quand je chante des morceaux inédits comme dans une récente session avec Le Bruit des graviers, je peux être gêné : je racontais ma vie, et il y avait une petite mamie qui écoutait. Heureusement que j’arrive à ne pas trop y penser quand je les chante, car sinon je pourrais me dire « ah non, je ne veux pas que ma mère tombe là-dessus » (rires). Ou les parents de Lola, ma grand-mère, mon voisin qui sait maintenant qui je suis vu qu’il m’a vu sur M6… J’essaye de rester sincère tout en gérant le fait que je sois de plus en plus exposé.

C’est presque du voyeurisme parfois : on connaît le nom de ta copine, tu parles de tes parents, de tes frères… On a l’impression de connaître tout ton arbre généalogique !

Ça expliquerait peut-être la familiarité que peuvent avoir certaines personnes avec moi (rires). C’est très marrant, j’ai justement montré un mail à Lola hier : c’est un mec qui me parle comme si c’était mon cousin. Sur les réseaux sociaux, je reçois des « ouais frère/poto/ma gueule, je serai là ce soir au concert j’ai pu me libérer »… De personnes que je ne connais pas. Le pire, c’est quand c’est une meuf qui m’envoie ce genre de truc. Lola voit ça et me demande qui c’est ! (rires). C’est aussi peut-être parce que sur scène, je suis hyper nature, je suis comme dans la vie. Et les artistes que j’aime, que ce soit en musique, en littérature, en poésie, sont des gens qui ne mettent pas trop de filtre.

Et ta famille, qu’est-ce qu’elle pense de ces textes qui parlent d’eux ou de ta déprime ?

La première chose que j’ai faite une fois l’album fini, c’était de l’envoyer à mes parents et à mes frères. Je ne savais pas si d’autres allaient l’écouter, mais je voulais tout de même leur montrer. En précisant que oui, j’y dis que je suis mal, mais qu’écrire cet album m’a fait du bien. C’est cathartique évidemment. Ils l’ont vaguement écouté au départ. J’ai eu tellement de projets, j’ai fait tellement de trucs qui se sont pris des murs ou qui ne sont jamais sortis… Peut-être qu’ils n’ont pas vraiment fait attention. Bon, tout de même, il y a un de mes frères qui ne m’a pas parlé pendant deux mois parce que dans une chanson je dis que je ne serai jamais comme lui ou quelque chose comme ça. Mais ça va, j’ai deux frères : ils se sont finalement tous les deux dit que ça parlait de l’autre ! Et puis le son est quand même spécial ! On s’y est habitué maintenant à l’autotune, mais au tout départ c’était particulier. Comme il y a eu des prescripteurs, notamment des médias comme Tsugi, pour dire aux gens que c’est peut-être bien ce genre de sons, c’est devenu plus « normal » aujourd’hui.

Ils ont bien fini par l’écouter ?

Quand je suis passé dans des gros médias, et même à la télé, ils ont réentendu ces morceaux. Il y avait des choses touchantes pour eux, voire inconfortables. Mais ils avaient aussi leurs potes et leurs voisins qui trouvaient ça super et venaient leur dire ! De me voir accompli, heureux comme ils ne l’ont probablement pas vu depuis des siècles, en tant que parents ça leur fait évidemment plaisir. Aujourd’hui, je suis en phase avec moi-même, je fais ce que j’aime, c’est d’autant plus facile de communiquer, y compris avec eux. C’est ce que je raconte dans « Poésies » notamment : quand tu n’es pas bien, tu as envie de te couper des autres.

Quand tu as écris Possible, tu n’avais visiblement pas trop le moral. Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux, qu’est-ce que tu vas bien pouvoir raconter dans les albums suivants ?

Dans tous les cas, je suis brisé, j’ai une énorme fêlure. Je ne sais pas pourquoi, il n’y a pas d’événement spécialement marquant dans ma vie qui pourrait l’expliquer, mais il y a quelque chose d’abimé chez moi. C’est ancré. Même dans mes périodes plutôt fastes, et là je suis dans un moment hyper épanouissant, je suis quand même sujet à d’énormes fluctuations d’humeurs et d’états d’âme. Dans l’inédit que j’ai chanté pour la session Le Bruit des graviers, je dis : « un petit tour dans les médias, tu crois que ça m’a réparé ?! ». Ok, c’est cool, je vis un moment incroyable, mais les grandes questions que je me pose restent les mêmes. Ce que les gens ne comprennent pas en écoutant « J’attends en bas », c’est que je sais de quoi je parle quand je dis « le succès ça arrange rien à l’intérieur » : pour plein de monde, il s’agit de mon premier album. Sauf que ça fait dix ans que je fais ça, et des succès j’en ai déjà eu ! Les périodes où j’avais des titres qui marchaient super bien et où je me faisais beaucoup de pognon, ça n’arrangeait rien. Socialement, j’étais plus accepté, accompli, j’allais dans des endroits de dingue. Mais quand t’es seul face à toi-même, tu repars de zéro.

Et puis c’est un milieu un peu toxique le showbiz, non ?

Je n’ai jamais vraiment été un mondain, alors ça allait. J’accompagnais mes artistes à The Voice, je pouvais fréquenter ce milieu, mais je regardais ça un peu de loin, car c’est beaucoup de postures, tout est assez faux. Sauf qu’avec cet album, j’ai accès à des milieux un peu plus underground. Et tu sais quoi ? Ce ne sont pas les mêmes boissons, voitures et médias… Mais c’est la même chose !

Chaton sera en concert ce mercredi 20 juin à l’Eglise St-Eustache dans le cadre du festival 36 Heures St Eustache.

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