En vigueur depuis 2017, la réglementation du « décret son » est jugée intenable par les organisateurs-trices de festivals en plein air et menace la tenue de la plupart d’entre eux. Face aux critiques, le gouvernement a annoncé la création d’un groupe de travail interministériel sur le sujet. On explique.
« Aujourd’hui, tous les festivals sont hors-la-loi. » Depuis 2017, une réglementation impose aux évènements musicaux une série d’obligations strictes en matière de nuisances sonores. Sous peine de sanctions, les organisateurs doivent notamment prévoir des « zones de repos auditif » et veiller à limiter l’émergence sonore globale à 3 décibels. En clair : la différence entre le niveau sonore généré par l’évènement et celui, « résiduel », du site où il est implanté, ne doit pas excéder ce seuil. Une contrainte difficilement applicable pour les festivals en plein air.
« Le niveau d’émergence imposé se rapproche de celui exigé pour des lieux fermés. Or, en extérieur, sans murs ni plafonds pour contenir le son, on n’est pas du tout dans les mêmes conditions » explique Angélique Duchemin, directrice d’Agi-son, une association qui milite pour une gestion sonore équilibrée, alliant santé auditive, respect de l’environnement et conditions optimales pour la pratique musicale.
Normes inadaptées à la réalité du terrain
Les organisateurs doivent en outre composer avec les aléas de la météo, notamment le vent, susceptible de dévier ou amplifier la propagation du son. Depuis la promulgation du texte, Agi-Son tente d’identifier des solutions viables pour que les festivals puissent se conformer à la loi. En vain. « Il semblerait que les principes de la physique, du son et de l’acoustique tels qu’ils sont aujourd’hui rendent ces émergences impossibles à tenir » souligne Angélique Duchemin.
Pour Pauline Auberger, directrice du pôle des affaires juridiques d’Ekhoscènes, la limite de décibels imposée impacterait grandement l’expérience des festivaliers : « Avec 3 décibels, la qualité sonore serait vraiment médiocre ».
La réglementation est d’autant plus frustrante que, selon Ekhoscènes, premier syndicat national du spectacle vivant privé, la plupart des festivals n’ont jamais ignoré la question des nuisances sonores. « Il y a toujours eu des inspections, même avant le décret. Nos adhérents ont toujours essayé de faire au mieux. »
Risque persistant pour les festivals « hors-la-loi »
Bien que le gouvernement ait reconnu les « difficultés » rencontrées par les professionnels du secteur, les risques persistent. « Tant que le texte n’aura pas changé, le risque demeure que des riverains se portent partie civile et que la loi leur donne raison » précise Angélique Duchemin, directrice d’Agi-Son. Une « Epée de Damoclès » selon Pauline Auberger. « Les sanctions peuvent aller d’une amende qui va jusqu’à 45 000 euros, à des fermetures de festivals. » Avec le texte tel qu’il existe, la survie de tous les festivals, notamment les plus grands mais pas que -du Hellfest à We Love Green en passant par Rock en Seine– est menacée.
Vers un consensus?
Face à la pression croissante, et constatant le sérieux des travaux d’Agi-Son et des expérimentations notamment menées au festival Marsatac, le gouvernement a annoncé en juin dernier la mise en place d’un groupe de travail interministériel sur le sujet. Agi-Son, conviée aux discussions, se veut confiante : « On essaie vraiment de trouver un consensus adapté à toutes les configurations de festivals, facile à contrôler et qui prenne en considération la gêne des riverains » affirme la directrice de l’association.
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À l’instar d’Agi-Son, Ekhoscènes milite pour que le texte évolue vers une exigence de mise en œuvre concrète de dispositifs de protection, plutôt qu’une obligation stricte d’atteindre un résultat. « Ce que nous demandons, c’est la suppression du seuil strict des 3 décibels. À la place, il faudrait un cadre dans lequel les festivals démontrent, justificatifs techniques à l’appui, qu’ils ont mis en œuvre tous les moyens possibles pour limiter les nuisances », détaille la représentante du syndicat.
Ce travail collectif devrait aboutir d’ici le 31 octobre prochain avant d’être examiné par les instances consultatives, à savoir le Conseil National du Bruit, le Haut conseil à la santé publique et le Conseil national d’évaluation des normes) puis présenté au Conseil d’Etat.
Des pistes sont déjà explorées : la directivité du son — c’est-à-dire la manière dont il se propage — et sur le traitement spécifique des basses fréquences, souvent perçues comme les plus invasives par les riverains. Affaire à suivre, donc.
Questionné sur des points précis du sujet, le ministère de la Culture s’est contenté de rappeler qu’il est « prématuré d’anticiper sur les préconisations précises du groupe de travail », tout en saluant les premières réunions de ce dernier, qui ont permis, « dans un esprit très constructif, de conduire un état des lieux partagé de la réglementation en vigueur, de son application et des difficultés rencontrées ». Il ne répond cependant pas pleinement aux interrogations soulevées.