Dégustation à l’aveugle : King Ju de Stupeflip passe l’épreuve du blindtest

Arti­cle extrait de Tsu­gi 100, disponible en kiosque et à la com­mande ici.

On a beau l’avoir enter­ré plusieurs fois, le groupe emblé­ma­tique du rap alter­natif français Stu­pe­flip revient tou­jours plus fort. Ren­con­tre en musique avec le leader King Ju à l’occasion de la sor­tie du cinquième album.

 

  • Stu­pe­flip — “Intro”
    Extrait de l’al­bum Stup Virus.

King Ju : Trop facile…

Tsu­gi : Cette intro­duc­tion dévoile un nou­veau per­son­nage à la voix robo­t­ique qui tra­verse le disque, San­drine Cacheton.

King Ju : Stu­pe­flip s’est tou­jours un peu adressé aux mecs, ça a tou­jours par­lé de la soli­tude et de la faib­lesse des mecs, ça a tou­jours man­qué de femmes. J’ai trou­vé que c’était mar­rant d’avoir un porte-parole féminin, pour faire con­tre­poids, juguler la testostérone. Et puis les hommes se tien­nent mieux quand il y a une femme dans la pièce, c’était pour que le pub­lic se tienne mieux et con­tr­er les futurs haters. C’est la voix basique de Google qu’on a reprise, celle qu’on entend sur Google Translation.

Tsu­gi : Est-ce elle le Stup Virus qui a don­né son nom au disque ?

Non, le virus c’est l’album en lui-même, c’est la musique et ce qu’elle peut provo­quer chez les gens. Il y a pas mal de gens accrocs à Stu­pe­flip, pour eux c’est addic­tif. Et moi je tra­vaille beau­coup, tous les jours, pour essay­er de faire des sons addic­tifs, de plus en plus addic­tifs. Je veux pouss­er les gens à utilis­er le bou­ton “replay”.

 

  • Jac­no — “Rec­tan­gle”
    Extrait de l’al­bum Jac­no.

King Ju : “Rec­tan­gle”, c’est génial ! En 2000, j’ai ren­con­tré mon man­ageur, Jac­no était un de ses copains, j’ai dû le voir dix fois, il m’aimait bien et moi j’étais gaga de lui. C’est le seul mec qui arrivait à faire de la pop com­mer­ciale de qual­ité, avec peut-être Mylène Farmer. Il a mélangé branché et pop­u­laire, le goût et le super­marché. Hélas la bonne var­iété française a dis­paru, depuis dix ou quinze ans. J’aimais bien cer­tains trucs de David Hal­ly­day ou Marc Lavoine.

Tsu­gi : Vous êtes même allés chez Ardis­son ensem­ble à la télé.

King Ju : Jac­no n’était pas con­tent parce qu’il n’était pas allé à la télé depuis des années et qu’ils nous ont fait arriv­er ensem­ble dans Tout le monde en par­le. Ils nous ont liés à Jac­no, ça l’a blessé, d’autant que nous, on foutait la merde. Mais on s’aimait beau­coup. C’était une de mes idol­es, je lui dis­ais : “Pour moi, c’est comme si tu étais déjà mort.” Et il était beau, il ressem­blait à Bowie… en plus d’être gen­til et hum­ble, ce qui est si rare.

 

  • Aman­da Palmer — “The Killing Type”
    Extrait de l’al­bum The­atre Is Evil.

(Il ne trou­ve pas) 

Tsu­gi : C’est Aman­da Palmer, qui détient le record de fonds lev­és par crowd­fund­ing dans la musique. Pour cet album de Stu­pe­flip tu as levé plus de 400 000 euros, record européen !

King Ju : Ce crowd­fund­ing n’était pas du tout mon idée, moi je me con­tente de boss­er der­rière mon ordi pour faire les meilleurs morceaux pos­si­ble, je suis un acharné. Quand on entre dans la par­tie où il faut ven­dre la musique, je suis tou­jours mal à l’aise. Pour être totale­ment intè­gre, il faudrait que je ne vende pas ma musique… mais je ne me suis jamais enrichi avec Stu­pe­flip, je vais avoir cinquante bal­ais, il faudrait que je com­mence à gag­n­er un peu d’argent. J’étais gêné de cette somme, c’est trop d’argent pour ce que j’avais envie de faire. Un clip, je peux t’en faire un demain avec mon iPhone. Mais du coup, on a quand même voulu se faire plaisir, on a payé un très bon mixeur, on va pro­duire une fig­urine, réin­ve­stir pour créer de vrais beaux clips. Mais cette somme c’est un peu emmer­dant, d’autant que les médias s’intéressent à nou­veau au groupe à cause de ça, et pas pour la musique. Ceci dit, c’est une générosité très touchante, d’autant que Stu­pe­flip ne s’adresse pas aux gens friqués, c’est beau­coup de gens qui galèrent au RSA. C’est mag­nifique, mais ça me gêne, ce pognon.

Tsu­gi : En cette péri­ode élec­torale, ce suc­cès pop­u­laire n’a pas attiré le monde politique ?

King Ju : Non et je ne prendrai bien sûr jamais par­ti. Stu­pe­flip ne par­le pas de poli­tique, mais d’humain. Le nou­veau mou­ve­ment que je vais lancer c’est la Bisounours­erie, pas un truc naïf et hip­pie ou gnang­nan. Une bisounours­erie lucide et maligne, pas angélique. C’est ça que j’appelle le “ter­ror­isme bienveillant”.

 

  • MC Solaar — “RMI” 
    Extrait de l’al­bum Cinquième As.

King Ju : Le prob­lème de Solaar, c’est que pour moi qui écoute du rap depuis 1987, j’ai tou­jours trou­vé ça bien fait, mais pas assez ghet­to ou hard­core, trop gen­til. Je préférais NTM et IAM, ou La Cli­qua. Ce n’est pas ça le rap. C’est bien vu, bien fait, il a une belle voix, j’aime bien le pre­mier album, mais pour moi le rap c’est la rue, ça va avec la galère. Il a été adoubé par la cri­tique d’entrée, c’était la cau­tion pour faire pass­er la pilule du rap.

Tsu­gi : Ce morceau s’appelle “RMI”, RMI que tu as touché pen­dant tes années galère.

King Ju : Bien sûr, j’ai galéré pen­dant des années, entre 2005 et 2009, je suis retourné au RSA. Le milieu a été sans pitié pour moi, per­son­ne ne m’a fait de cadeau. J’ai été briève­ment pro­fesseur de dessin. Mais ce n’est pas l’argent qui va me ren­dre heureux. J’ai trop de trucs bousil­lés depuis l’enfance en moi pour être un jour vrai­ment heureux.

 

  • Stu­pe­flip — “Stu­pe­flip” 
    Extrait de l’al­bum Stu­pe­flip.

King Ju : Ça, c’est sor­ti il y a quinze ans, les tout débuts. Avant ça je voulais tra­vailler dans une boîte de graphisme, j’ai essayé quelques entre­pris­es qui ne m’ont pas gardé, j’étais bon artis­tique­ment, mais je man­quais d’attention. Je rêvais d’être accep­té sociale­ment, d’avoir un salaire. À 30 ans, je suis descen­du bas, j’ai fait des stages, je me sou­viens d’un stage pour dessin­er des pack­ag­ings, avec une fille qui tous les matins s’effondrait en larmes en s’asseyant à côté de moi. Après, j’ai galéré cinq ans d’affilée à me ronger les ongles, je vivais comme un clo­do, je fai­sais un peu d’illustrations, j’ai tra­vail­lé pas mal pour le mag­a­zine Max. C’était les meilleurs moments de ma vie, mais je n’ai jamais gag­né assez pour m’en sor­tir. Quand j’ai eu la chance de sign­er avec Stu­pe­flip, la société m’avait mis la rage, le sys­tème du tra­vail, c’était la guerre. En plus mon père venait de mourir, j’avais envie de bousiller tout le monde. C’est pour ça que dans ce morceau je dis : “À bas la hiérar­chie.” Ce n’est pas poli­tique, c’est social. Ça par­le plutôt des petits chefs, comme cette grosse dame à qui ma col­lègue qui pleu­rait avait peur d’aller deman­der une gomme.

 

  • Orgas­mic & Fuza­ti — “Sinok” 
    Extrait de l’al­bum Grand Siè­cle. 

King Ju : Klub des Loosers ? Ah non c’est Fuza­ti et le mec de TTC. De toute cette époque Fuza­ti, TTC et com­pag­nie, j’ai tou­jours trou­vé que Fuza­ti était génial, même si ce morceau que tu m’as fait écouter je le trou­ve très raté. Mais son dernier album solo avait des trucs supers, il a une espèce de rage… Je le trou­ve très touchant, j’adore son flow, son petit cheveu sur la langue, on dirait un gamin, comme moi. Mais cette bande-là, à l’époque, ils m’ont tous snobé, on ne s’est jamais vrai­ment vus.

 

  • PNL — “Da” 
    Extrait de l’al­bum Dans la légende.

King Ju : J’adore tout le rap français, je suis ce qui se passe ces dernières années, il y a une mou­vance dingue en ce moment. Mais je n’accroche pas du tout à PNL, ni la musique, ni le flow, je crois qu’il n’y a rien que j’aime chez PNL. Je préfère mille fois SCH dans les trucs con­nus. J’aime aus­si beau­coup tous les petits groupes de trap qui sor­tent et qui ne sont pas encore con­nus. C’est le renou­veau du rap, on est en train de vivre la plus grande péri­ode du rap, com­mer­ciale­ment et créa­tive­ment par­lant. C’est la seule musique qui évolue encore, je n’écoute que ça.

 

  • Maître Gims  — “Tout donner” 
    Extrait de l’al­bum A con­tre­coeur. 

King Ju : Je ne con­nais pas… c’est cool. Ah si, Maître Gims. La voix de Maître Gims, c’est la voix de chanteur de var­iété la plus dingue qu’on ait eu depuis 25 ans. Pour moi Maître Gims, c’est de la très bonne var­iété, au même titre que France Gall dans les années 70. C’est très bien fait, sa voix est dingue, elle a une émo­tion de ouf. Évidem­ment, on lui chie dessus parce que ça marche, mais tant mieux pour lui, ce n’est pas grave s’il n’est pas dans le purisme du rap. C’est com­mer­cial, mais pas dans le mau­vais sens du terme. Les refrains sont dingues.

Tsu­gi : Sur le Face­book de Stu­pe­flip, quand tu as dévoilé le sin­gle “The Anti­dote”, il y a eu pas mal de retours négat­ifs, com­para­nt le morceau à du Maître Gims justement.

King Ju : Une fois que j’ai fini ce refrain, je me suis dit que c’était un clin d’oeil à Sex­ion d’Assaut, c’est évi­dent et c’est voulu. Je suis d’accord pour dire que ce refrain est un peu éner­vant… mais il reste dans la tête, il est addic­tif. Les cou­plets tuent, le refrain peut être un peu soûlant. Quand je le réé­coute je me dis : “Quand même, c’est abusé.” Mais le petit côté par­o­dique me plaisait.