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7 mai 2015

Dégustation à l’aveugle – Snatch Magazine (n°81)

par rédaction Tsugi

Saluons la presse indépendante en accueillant deux fondateurs du mensuel Snatch, Loïc H. Rechi et Quentin Gueériot, qui fêtent cinq ans d’activisme au service d’un journalisme centré sur l’investigation, et surtout libéré de tout formatage. Mais il a bien fallu les faire entrer dans une rubrique.

 

Lily Allen “Fuck You” – extrait de l’album It’s Not Me, It’s You

Quentin Quériot: Le Snatch du départ, c’était parler de Lilly Allen un mois avant que ça n’explose, c’est pour ça qu’elle était au sommaire du numéro 1.

Loïc H. Rechi: À l’époque, le magazine était bouclé dans le studio de Vincent (Desailly, directeur de la publication et membre fondateur, ndlr) avec trois personnes qui ne dormaient pas pendant deux jours en se nourrissant de pommes dauphine. C’était sport. Il y avait une magie et une énergie incroyable, mais ça tirait dans tous les sens et ça s’est affiné au fil du temps. Dès l’instant où on a eu des bureaux, au quatrième numéro.

Quentin : Le tout début de l’aventure, c’est l’histoire de copains après le bac qui se disent : il nous manque quelque chose à lire en kiosque donc on va essayer de le créer. On n’a pas fait de site parce que c’est plus motivant de pas- ser des nuits blanches pour finir avec un mag papier entre les mains. Et l’un n’empêche pas l’autre.

Loic : J’écrivais beaucoup pour le Web alors et ce qui est intéressant dans le papier c’est qu’on n’est pas soumis à la tyrannie du clic. Au début, c’est un peu dur à vivre : avec le Web, tu as tout de suite des partages sur Facebook, des RT sur Twitter, des réactions en direct à l’article. Le papier, il y a une sorte de combat sur la longueur pour être reconnu qui peut être vachement dur. La volonté de passer en mensuel, il y a un an et demi, découle aussi de ça. Quand on paraissait tous les deux mois, on avait beau sortir des trucs incroyables, des enquêtes de fond, on n’était jamais cité dans les autres médias. Quand nous avons été repris dans la revue de presse de Bruno Duvic sur France Inter, ça nous a fait très plaisir. Même si ça pointe une réalité : il y a beaucoup d’entre-soi dans ces gros médias. C’est un des aspects frustrants de faire de la presse indépendante.

 

DJ Mehdi “Pocket Piano”

Quentin: Avec Raphaël (Malkin, un des fondateurs, rédacteur en chef adjoint, ndlr) on discutait souvent du rôle des producteurs, sans aller jusqu’à les mettre en couv’, et puis on parlé de DJ Mehdi et on s’est rendu compte que c’était un témoin extraordinaire. Il commence sur le rap et finit sur l’électro, un parcours hors norme autant cultu- rel que social. Finalement on décide de le mettre en couv’ en faisant seize pages d’interview. Je crois que même lui, cela lui a fait un truc particulier.

Loïc : Raphaël a fait l’interview en juillet 2011 et deux jours avant d’envoyer à l’impression, il a reçu un coup de fil de Mokobé du 113 qui lui dit : “Mehdi est mort, il est passé à travers une verrière.” Je te passe le niveau de consternation, Raphaël a porté ça pendant des mois : il a fait la seule interview anthologique de DJ Mehdi qui s’est retrouvée sans le vouloir à avoir un peu valeur de testament.

Quentin : On a fait un mail à Pedro Winter en lui disant : lis le papier, fais-le passer à sa famille, et à Louise Chen (la copine de Mehdi à l’époque) pour nous dire ce que vous en pensez. Pedro nous a répondu : on aime votre travail et on vous fait confiance, maintenant que vous le proposez effectivement, je vais en parler à la famille. Famille qui a été d’accord pour une publication en changeant juste les temps. Donc la couv’ qui était légendée “c’est DJ Mehdi” est devenue “c’était DJ Mehdi.”

 

Odd Future “Oldie” – extrait de l’album The OF Tape Vol. 2

Quentin : C’est générationnel. On a bouffé pas mal de rap quand on était jeunes, comment faire autrement ? C’était l’âge d’or, les Arsenic, IAM, L’École du micro d’argent, donc il y a beaucoup de rap dans Snatch. On a même essayé de se réfréner là-dessus. Mais quand tu vois Odd Future, comment détourner le regard ? C’est fascinant.

Loïc : C’est un peu vieillot le punk-rock, ce sont plutôt des papys, et les trucs rigolos où il y a des histoires à racon- ter, c’est plutôt dans le rap. Quentin : On fait un magazine avec des histoires, “le magazine des bons et des méchants”, notre baseline, ce n’est pas un jugement de valeur. Quand on fait Charles Pasqua, ce n’est pas parce qu’on l’adore mais c’est un peu notre escroc préféré. Au final ce qui est fade et moyen, qui ne raconte pas grand-chose, ça ne nous intéresse pas.

 

Jessica 93 “The French Theory” – extrait de l’album Rise

Loïc : Défricher la nouvelle scène du rock français ? On a telle- ment peu de pages. Au fond un mag’ c’est sept gros articles, et il va toujours y avoir un papier sur Ebola ou Will Smith, par exemple, qui va passer avant l’envie de faire le dernier rockeur vivant. Si on prend un mec qui serait un très bon client comme Liam Gallagher, il a été fait déjà des dizaines de fois, qu’est-ce que l’on va sortir de plus ? On va osciller entre parler de ce qu’il est aujourd’hui et trou- ver une anecdote de sa carrière qu’il n’a pas trop racontée. Cela ne nous intéresse pas. Mais peut-être qu’on pourrait être un peu plus ouvert sur une nouvelle scène, puisque là tu nous dégaines Jessica 93 que ni moi ni Quentin ne connaissons.

 

Beyoncé  – “Flawless” : extrait de l’album Beyoncé

Quentin: On fait souvent des couv’ avec des gens que l’on n’a jamais rencontrés. Si on prend Beyoncé par exemple, une inter- view ça va être deux heures de retard, un créneau de vingt minutes où elle nous balance la même tambouille et surtout nous sommes la 68e roue du carrosse. Donc dans ces cas-là, comme on veut des choses qui ne sont pas racontées ailleurs, autant aller voir ceux que personne ne contacte : sa pote de primaire, son premier manageur. C’est là qu’on obtient les vraies infos.

Loïc : On voyage souvent dans des conditions à l’arrache, avec trois escales et Airbnb. Mais la plus-value du magazine, elle est là: les gens vont lire des histoires qu’ils n’ont jamais lues ou qu’ils ont peut-être lues mais qui sont racontées de manière différente. C’est un peu revenir aux fondamentaux du journalisme, à une époque où les journalistes web ne sortent jamais de leurs bureaux.

Quentin : Nous avons aussi des profils un peu mutants de la presse où cela ne marche plus seulement en faisant des ventes et de la pub. Le magazine c’est la figure de proue d’un écosystème où l’on vient nous chercher pour du conseil, imaginer des magazines pour des marques, faire des photos pour une marque de vêtements ou écrire pour le Web pour une marque qui veut raconter une histoire.

 

Plastikman “EXhale (Dixon’s Just A Different Mixdown Version)”

Loïc : Euh c’est qui Plastikman ? Il n’a pas un autre nom ?

Quentin : J’ai essayé de le booker plein de fois, je n’ai pas réussi. Ça rejoint aussi le sujet sur les rockeurs. Si on prend en compte que la scène électro est très “normcore” et qu’elle est déjà assez couverte, qu’est-ce que l’on va rajouter ? À l’inverse, quand on fait des fêtes on va se tourner vers cette scène, parce que notre prise de parole dans la nuit doit être percutante et doit se faire via des gens comme ça.

Loïc : On a fait Jeff Mills dans le mag. Il y a une volonté dans Snatch de réinventer les formats et donc c’est sans doute trop facile de refaire la énième longue interview de Laurent Garnier. Mais comme on l’a fait dans le numéro french touch, on va aborder le phénomène d’une autre façon. Par le prisme de quatre figures de cette époque comme Pedro Winter, Philippe Zdar, David Blot et Fred Agostini, deux identifiés et deux pas du tout. On a fait une série d’entretiens qui a duré des semaines et on a raconté notre histoire de la french touch avec une vision différente, un peu romancée.

 

Jazzy Jeff & The Fresh Prince “Boom Shake The Room” – extrait de l’album Code

Red Loïc : Jazzy Jeff ! la couv’ du dernier numéro ! Heureusement que Adlane (Djied, le responsable communication qui assiste à l’inter- view tapi dans l’ombre, ndlr) est là pour nous souffler ! Depuis deux numéros, nous avons une nouvelle identité graphique, un côté un peu plus sérieux et moins foufou. On voulait fixer visuellement ce qu’est le mag dans le fond. On a viré tout ce qui était de l’ordre du grignotage, on s’est dit que cela serait mieux sur le Web.

Quentin: C’est une démarche en 2015, d’aller en kiosque, d’ache- ter et surtout de conserver un magazine. Grâce à notre position- nement, les gens font une collection, untel va te piquer un vieux numéro parce qu’il reste valable grâce à ces longs papiers. On a beaucoup de retours qui nous disent : “ah, enfin un mag qui raconte de vraies choses et qui est fait pour ma génération.” Je me souviens quand je revenais en TGV des dernières Trans Musicales de Rennes avec sur ma table un Snatch ou un So Film je me sentais bien mieux que les mecs qui regardaient un film mais qui n’avaient plus de batterie ou ceux qui étaient sur leur tablette. Il y a un truc qui va être dur à enlever à la presse papier c’est une impression de confort, et puis tu peux le prêter, le faire tomber. Aujourd’hui dans les kiosques, tu peux faire une famille indé de la presse où tu peux mettre autant un Tsugi que Snatch ou tous les mags de So Press (So Foot, So Film, Society…). On est plus nombreux à tirer dans le même sens.

Propos recueillis par Patrice Bardot.

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