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Dharma Techno Festival, le premier micro-festival qui mêle méditation et musique de rave

D’un côté Spi­ral Tribe : raves, vie en com­mu­nauté, Tekni­vals, tribe tech­no et acid (house). De l’autre : médi­ta­tion, silence, nour­ri­t­ure saine et recon­nex­ion avec soi. Dif­fi­cile d’imag­in­er les deux mon­des se ren­con­tr­er. Et pour­tant : depuis quelques années, Pheen X, de Spi­ral Tribe et SP23 (le col­lec­tif de DJs issus de la com­mu­nauté Spi), et Denis, qui a passé 7 ans en Inde à étudi­er la médi­ta­tion, ont lancé Dhar­ma Tech­no, des retraites où se mélan­gent médi­ta­tion et musique tech­no — cette dernière par­tie étant occupée par les lives impro­visés de 69db, lui aus­si mem­bre de Spi­ral Tribe. Le meilleur des deux mon­des, avec médi­ta­tion la journée et con­certs le soir, pour décou­vrir la transe sans drogue ni alcool et appréhen­der la musique d’une autre manière après des heures sans piper mot. “Quand Deb­bie m’a fait part de sa dif­fi­culté à con­cili­er sa pra­tique de la médi­ta­tion avec son amour de la scène tech­no, je me suis dit qu’il devait y avoir bien des gens vivant le même tiraille­ment”, racon­te Denis. “Pour­tant, la tech­no, surtout jouée en live, est une musique qui induit la danse et la transe, c’est beau­coup pour cela qu’elle attire. Et la transe est un état agréable, dans lequel dis­parais­sent les lim­i­ta­tions imposées par nos esprits con­di­tion­nés. Pour un temps, nous faisons l’expérience de nous-même sans l’interférence réduc­trice du rationnel. Nous vivons au-delà de l’image de nous même, elle est absente, elle est tran­scendée. Et que cela soit vécu avec prise de drogue ou non importe peu, pour autant que l’on réalise que cette expéri­ence est un moment extrême­ment pré­cieux. Ce qu’on appelle ‘une bonne rave’ est une expéri­ence spir­ituelle. Tout est ques­tion d’éclairage, de com­ment nous inter­pré­tons notre expéri­ence. Ravers et médi­tants cherchent la même chose : la lib­erté. Être libre des lim­i­ta­tions imposées par nos con­struc­tions men­tales. La médi­ta­tion, ce n’est pas que chercher un espace de calme intérieur, c’est aus­si décou­vrir ce qui crée l’agitation, et s’en libérer.”

Cette année, Dhar­ma Tech­no s’ou­vri­ra à un plus grand nom­bre de curieux, qu’ils soient teuf­feurs ou yogi (ou les deux !), avec la pre­mière édi­tion d’un fes­ti­val pour 300 per­son­nes, sur 3 jours, dans le fin fond de la Bour­gogne, du 30 mai au 2 juin. En atten­dant, on a posé quelques ques­tions à 69db, pour qu’il nous racon­te cette drôle d’ex­péri­ence de mélanger l’eau et l’huile, la médi­ta­tion et la rave, la hardtech­no et une soirée sans alcool.

Com­ment a démar­ré le pro­jet de retraites Dhar­ma Techno ?

Tout a com­mencé avec Deb­bie, alias Pheen X, qui fait par­tie des mem­bres fon­da­teurs de Spi­ral Tribe. Aux alen­tours de l’an 2000, elle a com­mencé à s’intéresser à la médi­ta­tion et au Vipas­sana, des retraites de médi­ta­tion libre qui sont très sérieuses et dis­ci­plinées : tu ne manges qu’un tout petit repas au milieu de la journée, et si tu es nou­veau ils te lais­sent avoir une pomme le soir ! Il y a évidem­ment plein de sortes de médi­ta­tion dif­férentes. Et ces méth­odes très sérieuses ont vrai­ment par­lé à Deb­bie. Mais quand elle sor­tait de ces retraites très intens­es et dis­ci­plinées et qu’elle retour­nait à Spi­ral Tribe, le con­traste était assez extrême. Dix ans se passent. Et se pose un prob­lème : elle a deux amours dans sa vie. Avant, ce n’était que Spi­ral Tribe, et main­tenant il y a la médi­ta­tion en plus. Mais les deux ne vont pas très bien ensem­ble ! Avec chance, elle s’est ren­due à ce truc appelé Yatra : 200 per­son­nes, qui marchent dans les mon­tagnes en file indi­enne, pour de longues ran­don­nées de dix jours, dans le silence. Denis organ­i­sait. Et à la fin de la marche, elle s’est assise avec lui et lui a expliqué son prob­lème : com­ment con­cili­er ses deux vies ? Or Denis, qui est à la tête de l’association Dhar­ma Nature, aime mêler la médi­ta­tion à d’autres sujets : médi­ta­tion et ski, médi­ta­tion et escalade… Il est Français, a com­mencé comme maçon, et dans les années 90 a décidé d’aller en Inde – et il a adoré. Il s’est mis à fond dans la médi­ta­tion, a appris suiv­ant dif­férentes tra­di­tions et s’en est fait sa pro­pre idée. Il est aus­si intéressé par la musique tra­di­tion­nelle indi­enne et sait jouer du tabla. Et il part d’un con­stat sim­ple : à quoi sert la médi­ta­tion si une fois revenu de ces retraites on ne peut pas appli­quer ses principes à notre vie de tous les jours ? Denis et Deb­bie se sont donc retrou­vés au même endroit et au même moment, avec les mêmes ques­tions : c’est ain­si qu’ils ont eu l’envie de mêler les deux amours de Deb­bie, d’où Dhar­ma Tech­no. Deb­bie a alors cher­ché quelqu’un de Spi­ral qui puisse l’accompagner sur le pro­jet, et elle m’a trou­vé ! Notam­ment parce que j’improvise mes lives et que j’ai aus­si bien fait de la hardtek que de la dub-techno, donc je peux m’adapter. Du coup, je fais la retraite avec tout le monde, dans le silence, je me tais du mar­di matin au jeu­di soir, ce qui me change beau­coup vu comme je suis bavard !

Pourquoi le silence ?

Quand je vais jouer pen­dant ces retraites, que je passe plusieurs jours dans le silence avant de faire mon live, avec tout le monde, à partager les mêmes expéri­ences, je me suis ren­du compte de quelque chose : c’est incroy­able, à la fin de la retraite, après des jours à côtoy­er des gens sans leur par­ler, l’amour et la bien­veil­lance que l’on partage ! Parce que cha­cun est con­scient que tout le monde a tra­ver­sé les mêmes prob­lèmes de con­cen­tra­tion, rien de bien alam­biqué, mais tout de même, en tant qu’européens et à for­tiori ravers, on ne sait pas appréhen­der le silence ! Et jouer de la musique après tout ça, c’est assez fan­tas­tique. Plus le temps de silence sera long, plus l’expérience de retrou­ver la musique sera incroy­able, évidemment.

69db en live pour une retraite Dhar­ma Tech­no — © Kynsie

Tu joues quoi comme musique ?

Les lives que je pro­pose vari­ent, bien sûr. Une fois, je me suis assis pour méditer 45 min­utes, dans le silence, avec mon enreg­istreur – et un orage a éclaté. Ain­si, un des lives impro­visés de Dhar­ma démarre par cette enreg­istrement d’orage, pen­sant dis­ons un quart d’heure, avec très sub­tile­ment des effets qui com­men­cent à se rajouter, quelques delays, ensuite un syn­thé arrive, de l’ambient, du trib­al, puis house, tech­no et enfin hardtech­no. Pass­er par tous ces styles en live impro­visé pen­dant 6 heures est une expéri­ence géniale, sans compter que je joue pour 30 per­son­nes qui ne par­lent pas, ne sont pas droguées, com­men­cent par un cer­cle de médi­ta­tion et se met­tent à danser au moment où ils le sen­tent, se recon­nec­tant avec la tech­no. Ensuite, on refait une journée de silence, et on en ressort pour échang­er sur notre expéri­ence. Et après il faut retourn­er à nos vies de tous les jours.

Ta vie de tous les jours est un peu dif­férente de celle de Mon­sieur Tout-le-Monde, est-ce que c’est plus dur d’y revenir et de retourn­er en rave après ces retraites ?

Je pense que c’est dif­fi­cile pour tout le monde, je ne met­trais pas ma vie à part : nos vies mod­ernes sont quoiqu’il en soit folles. Il suf­fit de pass­er cinq min­utes sur Face­book, entre Don­ald Trump, les gilets jaunes, le Brex­it, les soupçons d’antisémitisme qui se rajoutent par dessus… Rien que pren­dre le métro ou le RER pour aller boss­er ! Nos vies de tous les jours sont dev­enues chao­tiques, effrénées, et les raves sont un miroir de tout ça. On a par­fois besoin de musique rapi­de et dure le week-end pour évac­uer toute cette énergie. En tant que musi­cien offi­ciant les ven­dredis ou samedis soirs, je n’ai qu’une règle : si les gens ne dansent pas, putain, casse-toi ! Les gens tra­vail­lent dur toute la semaine, paient leurs impôts et leurs loy­ers, ils sont pres­surisés, et ils ont besoin du week-end pour évac­uer et vivre à nou­veau quelque chose qui leur rap­pelle que ça vaut le coup d’être vivant. Jimi Hen­drix, mon artiste favori, a par­lé avant de mourir du con­cept de “The Elec­tric Church”. C’est exacte­ment ça : pas de dogme, pas de prêtre, mais un endroit où tu peux explos­er librement.

Est-ce qu’il y a eu des réac­tions néga­tives à cette initiative ?

Il y a quelques semaines, on essayait de caler une inter­view avec une radio lyon­naise pour pro­mou­voir Dhar­ma Tech­no… Et ils ont refusé, pré­tex­tant qu’ils ne voulaient pas faire la pro­mo­tion d’une reli­gion. Les gens ont encore ce prob­lème d’associer médi­ta­tion et reli­gion. Alors bien sûr “Dhar­ma” est un mot issu de la reli­gion hin­douiste, mais c’est une référence, pas une affil­i­a­tion – de la même manière que si le mot “tech­no” est pour moi tou­jours asso­cié à Detroit, je ne vais pas nier que je fais de la tech­no même si je viens d’Angleterre. On n’a pas de tra­di­tion de médi­ta­tion en Europe, ou en tout cas elle n’a pas per­duré après le rouleau-compresseur du chris­tian­isme. Ce n’est ni une reli­gion ni un dogme !

Et par­mi les gens du monde de la médi­ta­tion ? Ou chez les ravers ?

Il y aura évidem­ment des gens du monde de la médi­ta­tion qui vont regarder Dhar­ma Tech­no et tout de suite se dire que c’est mal de faire ça, que ce n’est pas com­pat­i­ble. Et cer­tains mem­bres de la scène rave vont être en com­plet désac­cord sur le fait de n’avoir ni drogue ni alcool sur le fes­ti­val. Mais pourquoi pas ? Pourquoi on se pose toutes ces bar­rières ? La médi­ta­tion, c’est juste un moyen, en tout cas celui qui me con­vient, pour m’occuper de moi. Qu’est-ce qu’il y aurait de mal à ça, d’autant plus que cha­cun est libre d’appréhender cette expéri­ence comme il le souhaite ? C’est ce que j’aime chez Denis : il a énor­mé­ment appris sur la médi­ta­tion, mais il ne va jamais impos­er quoique ce soit aux gens sur leur manière de faire ou sur leurs inten­tions. Tout doit venir d’eux : on fait silence, et cha­cun trou­ve ce qui lui con­vient le mieux ensuite. Per­son­nelle­ment, c’est la médi­ta­tion allongé, même si ça m’arrive de ron­fler pen­dant ! (rires)

Est-ce que tu vois des liens aujourd’hui entre tes travaux de médi­ta­tion et ta manière d’aborder la musique ?

Via l’improvisation, oui. Car peu importe si tu t’endors pen­dant une ses­sion de médi­ta­tion, ce qui compte c’est l’intention, ou ce que tu cherch­es. C’est la même chose avec l’improvisation. Et ça touche à des ques­tions plus pro­fondes : d’où vient une idée ? Je peux jouer une demi-heure sans que rien ne se passe vrai­ment, et tout d’un coup j’ai une idée, et il se passe une heure sans que je me rende compte – c’est presque un état médi­tatif. Ou en tout cas c’est comme ça que ça se passe dans les musiques dont je suis issu. C’est pour ça que j’aime écouter Sun Ra et des musiques psychédéliques.

Pourquoi pass­er en for­mat festival ?

On peut dif­fi­cile­ment organ­is­er une retraite pour plus de 30 per­son­nes – peut-être pour 40, on espère attein­dre ce chiffre un jour. Mais le fait est que ces retraites acceptent des gens qui n’ont jamais fait de médi­ta­tion avant, on les ini­tie, et il n’y a que Denis pour les accom­pa­g­n­er s’il y a un soucis. Donc on ne peut pas être un trop grand groupe : il ne peut pas être partout ! C’est impos­si­ble de faire une retraite pour 300 per­son­nes, mais on voulait tout de même partager cette expéri­ence avec plus de monde. D’où le Dhar­ma Tech­no Fes­ti­val. 300 per­son­nes, dont 50 enfants (on pro­posera des ate­liers d’arts du cirque ouverts au 3–15 ans). On com­mencera tôt, avec des étire­ments, de la médi­ta­tion, un petit-déjeuner, de la médi­ta­tion axée sur le mou­ve­ment pour tra­vailler sur la danse et le corps, puis un déje­uner où l’on pour­ra par­ler – il n’y aura que 3 heures de silence le matin et l’après-midi. Il y aura égale­ment des talks de Denis et, si on arrive à trou­ver un inter­prète, de Gyosen Asaku­ra, qui est moine boud­dhiste et DJ. On voudrait qu’il nous racon­te com­ment son engage­ment spir­ituel cohab­ite avec la musique élec­tron­ique – un tem­ple c’est le dernier endroit où les gens imag­i­nent pou­voir pos­er des platines et du VJing ! Donc si quelqu’un con­nait un inter­prète japonais-français, mer­ci de nous contacter !

Et le soir il y aura de la musique…

Oui ! J’ai con­science que c’est un con­cept très bizarre de mélanger le silence et la musique de cette façon. Mais assis­ter à un con­cert sans alcool, sans drogue, sans par­ler à son voisin, c’est une expéri­ence incroy­able : tout le monde n’est là que pour la musique et la danse.

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Pourquoi cette inter­dic­tion de l’al­cool et des drogues pen­dant le festival ?

En tant qu’Eu­ropéen, et surtout pour moi qui vient d’une famille très cartési­enne, tu es tout de suite con­sid­éré comme étant quelqu’un de bizarre si tu t’in­téress­es un tant soit peu à l’é­sotérisme, à Dieu ou à quoique ce soit de mag­ique. J’ai gran­di là-dedans en tout cas. Je pense sincère­ment que j’avais besoin de pass­er par une phase psy­chédélique, et je ne la regrette pas. Cepen­dant, il y a un prob­lème. Si la drogue était vrai­ment cette clé à la com­préhen­sion du monde, il y aurait plein de gens aujour­d’hui qui seraient très intel­li­gents – mal­heureuse­ment, quand tu regardes la scène rave, ce n’est pas le cas ! La drogue n’est pas la terre promise de la per­cep­tion comme cer­tains le décrivent par­fois. A vrai dire, cer­taines raves sont un endroit très dur pour quelqu’un de frag­ile, il faut savoir gér­er car il n’y a pas tou­jours beau­coup de bien­veil­lance. Mais j’ai pris des drogues, et je ne dis pas que c’est bien ou mal. C’est arrivé c’est tout, j’é­tais jeune, j’ai pris notam­ment pas mal de champignons – c’est une par­tie cachée de notre cul­ture cel­tique, quand on y pense – et des tonnes de LSD. Ça te fait réalis­er que la con­science est un con­cept bien plus poly­va­lent que ce que tu peux imag­in­er. Mais le soucis, c’est que quoiqu’il t’ar­rive, tu peux dire que c’é­tait à cause ou grâce aux drogues. Et on peut vite ren­tr­er dans cette illu­sion qui amène à penser : “il faut que je reprenne des drogues pour retrou­ver cette magie de la dernière fois”. On peut vite oubli­er que la vie elle-même est mag­ique. Ça fait 15 ans que je n’ai pas pris de drogues de ce genre, et je con­tin­ue à sor­tir parce que c’est la musique qui me fait décoller – même quand je dois rester éveiller super longtemps. Dhar­ma Tech­no serait ridicule si on n’avait pas cette poli­tique : si les par­tic­i­pants pre­naient des drogues, com­ment sauraient-ils que ce qu’ils ont ressen­ti de fort pen­dant cette expéri­ence ne vient que d’eux ? Quand j’é­tais jeune et que je pre­nais toutes ces drogues psy­chédéliques, je pen­sais que ça m’ou­vrait et me rendait intel­li­gent. C’é­tait une époque assez dingue. Les raves illé­gales étaient énormes, les fes­ti­vals aus­si, et tout ça dégouli­nait d’acid : tout était pro­fond, on avait une con­nex­ion… Et c’est pour ça qu’on fai­sait tout ça gra­tu­ite­ment, on ne pou­vait pas touch­er d’ar­gent, ça nous dégoû­tait ! Je ne renierais jamais cette partie-là de notre his­toire, je sais ce que c’est que de vivre des expéri­ences fortes, je suis même qua­si sûr que je sais ce que c’est que de mourir. Mais au bout d’un moment, on se rend compte que ce qui peut t’ou­vrir peut égale­ment te fer­mer, notam­ment quand on par­le de LSD. La scène rave aujour­d’hui est très cor­rélée aux drogues, elle est enfer­mée dans cette image-là par les médias et les ravers, mais ce n’est pas oblig­a­toire. Il faut être prêt à chang­er, tout sim­ple­ment, et à trou­ver un équili­bre. C’est de là que vient mon nom 69db : l’équili­bre, tous les chiffres et les let­tres du nom se répon­dant en miroir. Et un des morceaux de mon album In Dub Tech­nic s’ap­pelle “Been On The Edge So Long I’d Almost For­got­ten There Was A Cen­ter” : aujour­d’hui, je cherche le centre.

Dhar­ma Tech­no Fes­ti­val, du 30 mai au 2 juin, 80 euros (pass com­prenant toutes les activ­ités, la nour­ri­t­ure, le logis) + donations 

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