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Capture d'écran du clip "This is America"
21 avril 2021

Donald Glover ne serait-il pas sur le point de changer le game à Hollywood, là ?

par Violaine Schütz

Le rappeur-acteur de 37 ans Donald Glover alias Childish Gambino sera bientôt à l’affiche de plusieurs séries Amazon Prime Video dont une aux côtés de Phoebe Waller-Bridge. Et si Glover devenait l’homme capable de transformer Hollywood comme il a secoué la musique ? Quelques jours après l’arrivée de sa série Atlanta sur Disney+, portrait d’un agitateur qui a bien compris les rouages de l’industrie de l’entertainment moderne et qui pourrait bien en renverser les codes.

Il y a quelques semaines, la toile s’emballait après avoir appris que l’acteur-scénariste-DJ-humoriste-rappeur Donald Glover alias Childish Gambino (son alter-ego musical) avait signé avec la plateforme Amazon Prime Video un contrat mirobolant : plusieurs séries et films seraient dans les tuyaux, dont un show intitulé Hive, mettant en scène une star de la musique ressemblant beaucoup à Beyoncé. On parle aussi d’une adaptation en épisodes du long-métrage de 2005 Mr. & Mrs. Smith avec Phoebe Waller-Bridge prévu pour 2022. Le géant très controversé du e-commerce ne veut pas communiquer à propos d’une transaction que les médias américains estiment à huit chiffres. Mais on murmure que parmi ceux qui s’attelleront à l’écriture de Hive, figure un nom qui attise la curiosité : Malia Obama, la fille de Barack et Michelle.

« À eux deux, ils incarnent une Amérique progressiste, cool, fashion, qui apprécie la diversité. Avec ces personnalités, Amazon fait un pari gagnant sur l’avenir. »

Avec le clip de « This Is America » (sorti en 2018 et cumulant plus de 760 millions de vues), Childish Gambino avait secoué l’Amérique en pointant du doigt sa violence, son rapport problématique aux armes à feu et son racisme. Celui qui se définissait cette année-là dans l’émission US SNL comme une menace, confirmait là son statut d’artiste engagé, même si son aspect critique ne date pas d’hier. Dans ses premiers sketchs datant de ses études à l’Université, celui qui s’est souvent considéré comme un intrus pour avoir été élevé par des Témoins de Jéhovah fustigeait déjà la haine raciale. Tina Fey qui l’avait repéré à cette époque présentait ainsi son protégé dans le Time en 2017 : « Il incarne cette idée de sa génération qui dit que l’on peut faire ce que l’on veut, et changer ce que l’on veut, à tout moment. »

Pourrait-il changer profondément l’industrie du divertissement ? Donald Glover s’en prend à l’Amérique de Trump. Et sa collaboration avec Amazon signe un renouveau : celle de l’ère Biden. Si on compare l’union Phoebe/Donald au couple de la première version de Mr. & Mrs. Smith – soit le duo WASP par excellence – Angelina Jolie et Brad Pitt qui étaient tombés amoureux pendant le tournage, elle paraît osée et décalée. Mais Pierre Langlais, journaliste spécialiste des séries TV pour Télérama et auteur du livre Créer une série (éditions Armand Colin), évoque un choix pas si étonnant de la part de la plateforme. « Pour les sériephiles, c’est un casting ultra bankable. Les deux acteurs pèsent très lourd à Hollywood. Ils sont tous les deux archi demandés et doivent recevoir tous les jours des tonnes d’offres de gros calibre [Glover a déjà travaillé pour Disney et FX et sa fortune atteindrait les 35 millions de dollars, ndr]. Phoebe Waller-Bridge a fait Fleabag, Killing Eve, a bossé sur un James Bond mais a aussi tourné dans un Star Wars, comme Glover. Et ce dernier a joué dans deux séries cultes : Atlanta et Community. À eux deux, ils incarnent une Amérique progressiste, cool, fashion, qui apprécie la diversité. Avec ces personnalités, Amazon fait un pari gagnant sur l’avenir. »

Portrait de l’Amérique

Ce contrat montre aussi que Glover a du flair : il mise sur le streaming au moment où la pandémie interroge sur le futur des cinémas ; et surtout au moment où le streaming n’a jamais été aussi puissant de modernité. La collab pourrait aussi décupler l’aura de l’acteur dans les prochaines années à venir, et imposer sa patte faite de « dramédie » (mélange de comédie et de drame) et de saillies déroutantes. Parce qu’avec lui, on ne sait jamais si on doit rire, pleurer ou être choqué. Versatile, Glover a multiplié depuis 2005 les apparitions au cinéma et à la télé, brouillant les pistes entre underground et mainstream. Il était au générique des séries Girls, Community, Atlanta et de films comme Magic Mike XXL, de Muppets, le retour, Seul sur Mars de Ridley Scott, des grosses franchises Spider-Man: Homecoming, Solo: A Star Wars Story, Le Roi lion aux côtés de Beyoncé ou encore de Guava Island avec Rihanna. Autant dire qu’il y a à boire et à manger et que certains rôles doivent être purement alimentaires.

Mais se détachent parmi ses productions Community, série comique déjantée du co-créateur de Rick & Morty Dan Harmon qui suit les aventures d’une bande d’adultes qui retournent à l’université, et surtout Atlanta. Cette série que Glover réalise, scénarise, produit et incarne depuis 2016 détonne dans le paysage télévisuel. La série dont la production des deux prochaines saisons (3 et 4) débute ce mois-ci suit deux cousins qui tentent de faire leur trou dans le milieu du rap de la fameuse ville américaine qui a vu naître la trap. Le show aborde des sujets forts comme le racisme, la drogue, l’argent, l’échec, la solitude, avec un sens de l’absurde qui la sauve du pathos… Ovni poétique et arty, audacieux sur le fond et la forme, l’objet mêle sans cesse mélancolie et humour. Elle perd aussi parfois le spectateur avec ses changements de tonalités, mais cela fait partie de son charme : tenter des choses jusqu’à provoquer de temps en temps un certain agacement. Une formule détonante qui pourrait faire recette chez Amazon Prime qui n’a pour l’instant pas trouvé de programme aussi emblématique que ceux de Netflix.

Mehdi Maizi, journaliste musical qui officie comme responsable du hip-hop chez Apple Music France note : « Avec la claque « This Is America », Atlanta, est pour moi ce que Glover a fait de mieux, son chef-d’œuvre. Il ne joue pas le rappeur dans la série, mais un type au chômage qui devient agent de son cousin qui lui est rappeur. Pourtant, on peut se demander s’il n’est pas en train de parler de lui, de sa carrière. Il s’y impose comme un très bon commentateur du rap game et des travers de l’Amérique. C’est drôle, tragique, intelligent et juste. »

Dans Atlanta, une scène de prison a été inspirée par le frère de Glover, Stephen (qui bossera avec Donald pour le deal Amazon), arrêté pour détention de drogue. De quoi parer la production d’une portée autobiographique. Mais Glover n’est pas du genre à se laisser enfermer dans une case. Mystérieux sur sa vie privée (il est marié et a trois enfants, mais on ne sait presque rien de son intimité) et impudique dans son art, il cultive les contradictions, au point de donner l’impression qu’il est peut-être en train de troller le monde entier.

©DR

Donald « trompe » ?

Ce qui rend Glover palpitant, c’est en grande partie son attitude déstabilisante. En 2013, quand il quitte la série Community dans laquelle il jouait depuis 2009, l’acteur écrit à la main une lettre sur une feuille à en-tête d’hôtel qui ressemble à un SOS. « Je n’ai pas quitté Community pour rapper, dit-il. Je ne veux pas rapper. Je voulais simplement continuer ma route de mon côté. J’ai été malade toute l’année. J’ai vu un paquet de gens mourir cette année. C’est la première fois que je me sens aussi désemparé. Mais je ne suis pas comme ça. Je n’ai pas arrêté de chercher un endroit où être avec quelqu’un. De chercher à suivre les traces de quelqu’un. Mais à un moment, il faut être seul. » Un peu plus tard, face à l’inquiétude de ses fans, il les rassurera et dira s’être senti plus léger après avoir accouché de cette missive.

Cinq ans plus tard, c’est à sa carrière musicale démarrée au début des années 2000, qu’il annonce mettre fin. « Je suis très reconnaissant d’avoir gagné ce soir, déclame Childish Gambino lors d’une conférence de presse donnée après les Grammy Awards 2018, mais je fais un autre projet en ce moment.(…) J’aime les fins. Elles sont importantes pour progresser dans ce que l’on fait. Pour être honnête, je pense que si beaucoup de choses avaient une date de péremption, on aurait beaucoup moins de problèmes dans le monde. Les fins sont quelque chose de bien parce qu’elles obligent la situation à devenir meilleure. » Sauf que l’an dernier, il sortait pendant le confinement un album surprise intitulé 3.15.20 commenté par quelques lignes encore bien allumées : « J’ai rencontré un oracle recommandé par un ami, elle m’a purifié et m’a dit trois choses : quelqu’un allait mourir, j’avais une bonne étoile avec moi, reste proche de Dieu. »

Depuis qu’il a explosé, l’homme, qui n’aime pas les réseaux sociaux (leur préférant l’anonymat des forums), donne des interviews au compte-goutte et multiplie les messages cryptiques. Glover est capable d’écrire un script de 73 pages pour accompagner son album Because the Internet (2013), un disque enregistré dans un manoir où étaient interdits chaussures et réseaux sociaux. Il peut aussi imaginer une série de live, Pharos (depuis 2016), conçus comme des expériences cosmiques où le téléphone est banni. Il faut aussi prendre en compte les changements d’avis du bonhomme qui a abandonné son travail sur une série d’animation Deadpool pour la chaîne FXX, début 2018, pour « différends créatifs » avec ses employeurs. Plus punk que rappeur Donald ?

« Quand je le rencontrais sur le tournage de Community, c’était un type cool, sympa avec un rire candide mais un peu effacé. Je me demande si c’est bien lui que j’ai rencontré. J’ai parlé à la chenille avant le papillon. »

Pierre Langlais, qui avait rencontré et pris en photo Glover sur le tournage de Community en 2011, explique : « C’est un type complètement insaisissable, une sorte de saltimbanque. On ne sait pas s’il ment ou s’il est honnête, s’il est cool ou se fout de ta gueule. Il a quand même balancé l’an dernier : « les saisons 3 et 4 d’Atlanta vont faire partie des meilleurs choses que la télévision a pu offrir. Seuls Les Soprano vont pouvoir rivaliser avec nous. » A-t-il pris un melon sidéral ou surjoue-t-il le rôle du mec mégalo ? Il a un côté schizophrène. C’est une rock star qui construit sa légende avec une attitude qui rappelle celle de Kanye West ou de Joaquin Phoenix quand il annonçait il y a dix ans arrêter sa carrière au cinéma pour se mettre au rap dans un canular ; dans un autre genre musical, il m’évoque Prince. Il pourrait très bien sortir un disque intitulé « L’artiste qui se faisait appeler Childish Gambino ». Physiquement aussi, il s’est métamorphosé, en se sexualisant, apparaissant presque toujours torse nu comme dans le clip de « This Is America ». Quand je le rencontrais sur le tournage de Community et lui posais quelques questions, c’était un type cool, sympa avec un rire candide mais un peu effacé. Je me demande si c’est bien lui que j’ai rencontré. J’ai parlé à la chenille avant le papillon. »

Un trublion du rap game

Mathieu Pinaud, directeur de la promo chez Pias, parle aussi d’une transformation bluffante, qui est peut-être la plus belle performance de l’acteur et laisse présager le meilleur pour la suite de sa carrière. Alors que Mathieu travaillait sur la communication autour de son premier album Camp (2011) pour Cooperative Music, il a échangé avec lui et assisté à son premier concert parisien à la Maroquinerie en 2012. Il a alors senti le potentiel de ce « jeune garçon de 28/29 ans, très naturel, souriant et assez drôle, avec un ego très raisonnable pour un gars qui avait déjà beaucoup de succès via Community. On sentait déjà bien l’entertainer né qu’il était. Il avait du charisme et du talent. Camp était un album un peu à part dans le catalogue Glassnote, son label de l’époque, qui était plutôt tourné vers l’indie (Phoenix, Mumford and Sons…). C’était un disque de rap mais ses arrangements et orchestrations lorgnaient vers l’univers du rock et de la pop. Après, il faut voir ce qu’il y avait en face quand ce disque est sorti : A$AP Rocky, le disque de Jay Z et Kanye, Drake et Kendrick Lamar. La concurrence était rude. Imposer ce jeune acteur comme un artiste musical n’était pas une mince affaire… Pas mal de médias français sont passés à côté à l’époque. »

« La musique a plus de profondeur quand elle a de nombreuses influences, comme il la conçoit. »

Il a fallu pas mal de travail, de tentatives et de réinventions pour que Glover s’impose dans le paysage pop. Pour Mehdi Maizi, « c’est un artiste libre et imprévisible qui s’est émancipé du rap pour en redéfinir ses contours. Il fait partie de cette génération qui a montré qu’il n’y a plus de panoplie type du rappeur, que ce soit dans le look, l’attitude ou la musique. Je le vois d’ailleurs plus comme un chef d’orchestre qu’un rappeur. Ça n’a jamais été un rappeur extraordinaire. Il ne fait pas des couplets hallucinants dignes contrairement à un Kendrick Lamar. Au départ, on pouvait le voir comme un type qui jouait au rappeur, un bébé Kanye West. Il ressemblait à un rappeur venu d’Internet, un geek fan de rap qui avait bien digéré les codes du milieu. On se demandait si ce n’était pas un peu vide. Il a même trouvé son nom en utilisant un générateur de nom du Wu-Tang Clan, ce qui ressemble à une blague. C’est après qu’il est devenu intéressant avec la sortie de Because the Internet (2013) et surtout de l’album Awaken, My Love! (2016). Il s’est affranchi, s’est mis à chanter, à puiser dans différents styles musicaux comme le funk ou le r’n’b. »

Éclectique, Glover a été influencé par LCD Soundsystem, Funkadelic, Ghostface Killah, Outkast, Migos. Il a aussi fait un détour dans la musique électronique sous les noms de MCD et de McDJ et remixé Sufjan Stevens. Son ouverture d’esprit lui a permis de travailler avec quelques-uns des noms les plus palpitants de la scène rap/r’n’b comme Chance The Rapper ou Thundercat… Et on sent déjà son influence sur d’autres artistes comme Vince Staples qui cite Childish Gambino en inspiration.

Pour Yeek, auteur-compositeur r’n’b de Los Angeles qui fait partie de l’entourage de Glover et gravite aussi autour de Steve Lacy et Kevin Abstract, il nous confie : « J’apprécie le monde que Childish Gambino crée autour de lui avec le cinéma et son travail de scénariste. Je pense que les visuels et la musique vont de pair. L’expérience est modifiée lorsque la musique est isolée et vice et versa. Sur le plan sonore, Donald est très expérimental et intrépide. Et je pense que la musique a plus de profondeur quand elle a de nombreuses influences, comme il la conçoit. »

Donald Glover incarne désormais pleinement les obsessions de sa génération. Sa façon d’aborder tous les genres musicaux et les terrains d’expression, ainsi que l’importance qu’il accorde à l’image sont symptomatiques de l’époque dans laquelle on vit. S’il n’explose pas en plein vol, il pourrait bien réconcilier définitivement les mélomanes et les cinéphiles, et marquer de son empreinte un autre monde que celui du rap, celui maintenant d’Hollywood.

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