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Crédit : Axel Morin
6 octobre 2017

Eddy de Pretto, kid à suivre

par Clémence Meunier

Quatre titres, un EP, et une sacrée découverte : aujourd’hui sort Kid, le premier (ou presque) maxi d’Eddy de Pretto, singulier chanteur aux textes réalistes et intimes. Il y raconte la fête, le sexe et ses racines, sans pudeur mais avec pas mal de poésie, accompagnant pour le moment deux de ses morceaux (« Fête de trop » et « Kid ») de clips où il s’affiche, sans fard et face caméra, clamant avec une diction impeccable ses états d’âme de jeune Parisien. Des paroles dans lesquelles beaucoup de jeunes garçons et filles de sa génération peuvent se retrouver. Bluffés, on a décidé de rencontrer le fin et charismatique blondinet.

Commençons par un petit mystère… C’est où Beaulieue ?

C’est Créteil ! C’est là où j’ai grandi. Ça fait 6-7 ans que j’en suis parti pour venir vivre à Paris, j’ai écrit ce texte de « Beaulieue » à ce moment-là. On dit souvent que la banlieue c’est dégueu. Cette chanson, c’est un peu mon hommage à ce « beau-lieu ». Le texte peut être un peu critique certes, mais j’en retiens que du bon, « je garde toutes tes briques ». C’est un peu comme tout, jamais quelqu’un n’est génial à 100%, tu le prends avec ses défauts et ses qualités. Là c’est pareil, avec le lieu où j’ai grandi pendant 20 ans, et qui a fait de moi la personne que je suis – extraordinaire donc (rires).

Et « Fête de trop », tu l’as écris en rentrant de soirée ?

J’apprends ma méthode en grandissant. Je me rends compte qu’un texte, une idée et un thème doivent mûrir énormément en moi, prendre assez de place, me faire assez de douleur dans le ventre, et me questionner assez pour qu’ils puissent ensuite ressortir sur le papier. Pour « La Fête de trop », je ne me souviens pas de l’état dans lequel j’étais quand je l’ai écrit, mais je ne pense pas que j’étais tout défoncé chez moi en rentrant de soirée. C’est une question que je me pose depuis longtemps, et ces paroles sont un semblant de réponse, comme une analyse de ce que je vis. Donc peu importe le moment où je l’ai écrit. Je sors toujours autant par contre ! Je pourrais retraiter la fête dans dix ans ou vingt ans, mon regard aura peut-être changé, mais je ne pense pas que j’aurais toutes les réponses à mes questions. Mes chansons sont comme un carnet d’expérience où j’écris mes sensations en tant qu’humain. J’ai beau me dire le matin que je regrette la teuf de la veille, comme dans « La Fête de Trop », mais c’est pas pour autant que je vais changer ! De la même manière, ce n’est pas en écrivant « Kid » que j’ai trouvé la réponse à la question de la virilité, que je suis maintenant capable de croiser mes jambes tout en étant OK avec moi-même. Le questionnement interne ou avec les autres est perpétuel. Mais en tout cas ça m’aide à grandir sur ces sujets-là.

La fin de « Kid » (« mais moi mais moi, j’accélérais tes rides, pour que tes propos cessent et disparaissent »), ou en gros tu souhaites la mort du père pour te libérer de ses injonctions à être un « bonhomme », est hyper violente…

C’est un combat avec ce père qu’on te dit que tu dois aimer, parce que c’est ton père, qu’il a une place un peu sacrée. Tu ne dois pas ne pas l’aimer. Mais quand t’as un père en face de toi qui ne te soutient pas dans tout ce que tu veux faire et veux être, c’est un peu difficile de vivre avec. Alors forcément tu prends le contre-pied et tu lui dis d’aller se faire foutre ! Ce n’est que de la poésie…

Je ne sais pas si ce texte va vraiment améliorer votre relation cela dit…

Je ne sais pas… Je ne sais pas si mes parents entendent vraiment mes textes. Ils les écoutent mais je ne sais pas si ils les entendent réellement.

C’est un sujet très actuel, la place de la virilité, la masculinité, etc. Emma Watson par exemple en a fait un cheval de bataille, en parallèle de ses actions féministes, pour faire comprendre aux gens que oui, un homme peut avoir des sentiments, pleurer, ou aimer des activités considérées comme étant « pour les femmes ». C’est un militantisme qui t’intéresse ?

On a beaucoup dénoncé les clichés sur les femmes. La femme à la cuisine, la femme au repassage. Mais on parle beaucoup moins de l’homme au mécano, de l’homme en train de faire du bricolage constamment. Je pense que c’est intéressant, important et nécessaire que ce biais là soit interrogé aussi. Mais je ne traite pas ce sujet via un prisme politique, j’avais vraiment besoin de « régler » ça, de questionner cette virilité que mon père a voulu m’imposer depuis des années, et j’ai eu cette réponse-là. Ce semblant de réponse en tout cas. Mais je pense que c’est un sujet important bien sûr, et si ça fait réagir d’autres gens, tant mieux !

Tu te vois faire de la chanson politique ?

Non, ce n’est pas mon truc. Il y a un côté « Fête de l’Huma », j’imagine le grand scandeur des années 90, 2000, qui dit des trucs genre « L’Europe, on en veut paaaas ». Non, je ne le sens pas. Je préfère parler de mon histoire. En toute modestie hein (rires).

Tu aimes parler de toi en fait… T’es égocentrique ?

Oh, sûrement (rires). Mais c’est sûr que si je suis là c’est que j’ai des trucs à régler.

Ça fait deux fois que tu utilises le mot « régler », t’es sur le divan un peu ?

Oui, complètement, je l’assume, et j’en joue un peu aussi ! Je ne me construit pas un personnage par contre, c’est un peu comme je présentais un « grand moi » avec ce projet. Tout est amplifié, gestuellement notamment. Je n’invente rien, mais je grossis peut-être un peu le trait, avec du surligneur, pour m’évader un peu du « moi » plus intime, qui est peut-être un peu plus timide aussi. Mais je ne me voyais pas prendre un pseudo, parce que ce que j’avais envie de dire était trop personnel et intime pour y accoler un autre nom. Et puis Eddy de Pretto je trouve que ça sonne bien ! Ma mère a plutôt bien choisi !

Tu parles assez ouvertement de ta sexualité dans cet EP, ce qui est tout de même assez rare en chanson française. Il y a de moins en moins de tabous pourtant, non ?

Si, il y a énormément de tabous encore. Je pense qu’on ne s’en rend pas compte, quand on est dans une sexualité « standard », ce que les minorités peuvent ressentir par rapport à ce qu’elles sont. Ça fonctionne pour tous les types de minorités, y compris sexuelles donc. Moi j’avais juste envie de parler de ça, comme Juliette Armanet peut parler de son Alexandre qui la fait mourir d’amour… Je parle des histoires d’amour à mon échelle, à mon niveau et à mon regard. Bon pour l’instant c’est plutôt des histoires de cul dans cet EP (rires). Je ne fais pas ça en me demandant si je vais choquer la population française qui a plutôt l’habitude de regarder The Voice dans sa chaumière et n’a pas envie de se recevoir ça dans la gueule. Je raconte seulement ma réalité, et ça veut dire que je raconte les réseaux, le sexe à outrance, l’amour parfois, la fête éperdument.

Ce n’est pas une sexualité qui a l’air super épanouie et heureuse cela dit…

C’est comme la fête. A force de consommer à outrance, de jouer à un jeu, on se fatigue et on s’écroule. « Ah ok, ya une application où tu peux baiser à tout va ? Ca peut être cool, et tu peux même tomber amoureux ! Ok, je veux bien jouer le jeu ! » Et quand tu fais cette expérience et que tu n’as aucun résultat à part de la fatigue et aucun retour, oui, c’est un peu mélancolique. Tu finis par chercher dans l’amour quelque chose de plus sincère et rassurant. C’est ce que j’ai voulu raconter.

Tu avais sorti un premier EP il y a deux ans, qui a mystérieusement disparu des internets. Pourquoi ?

Je n’en ai pas honte, mais je n’avais pas envie de dévier le nouveau signal que je souhaite envoyer en 2017. Quand on est plus jeune on fait d’autres choses. Je préfère repartir de zéro, c’est une question de cohérence. Peut-être que dans deux ans je dirai que cet EP Kid ne correspond plus à ce que je suis, mais bon, là pas trop le choix, je ne pourrais plus l’effacer comme ça avec toute la promo qu’on a fait autour ! L’autre était plus discret, c’était plus simple de supprimer deux-trois pages.

Est-ce que les titres de cet EP disparus ressortiront un jour ?

Certains des morceaux de ce tout premier EP auront une second vie, ils sont « en travaux ». Ces travaux devraient durer un an je pense, le temps de rebosser sur la production. On n’est pas dans l’optique « on annule tout et on recommence », à faire de moi un produit pour rentrer dans tous les codes Universal. Je ne fais pas une Lana Del Rey ! Je suis bel et bien moi, mais j’ai évolué, et je suis maintenant entouré de plein de gens qui me guident et me donnent des conseils.

Cela rajoute une pression supplémentaire d’être signé sur Universal ?

Je suis signé sur Universal certes, mais dans un sous-label indépendant, Initial. Il y a quelques temps, je discutais avec une fille qui sortait son premier EP sur une grosse major. Elle s’excusait parce que ce n’était pas elle qui avait choisi son premier titre, ni la prod, ni les paroles… Elle était une figurante, comme dans les années 90 et 2000, en mode « tu vas être jolie et tu vas chanter ». Je ne voulais pas du tout être dans cette optique-là. J’ai rencontré des gens d’Initial, un label relativement récent, qui n’a pas 70 artistes dans son catalogue – je ne suis pas le petit nouveau dont on va s’occuper après-demain. Cet EP, c’est un projet commun entre le label et moi. C’est une toute petite famille, on doit être quatre-cinq, avec un fonctionnement très indé. Je suis dans tous les mails, dans chaque discussion, que ça concerne la promo, la com’, les visuels… C’est assez agréable, et c’est ce qui m’a plu. Je ne ressens pas les gros muscles d’Olivier Nusse (le patron d’Universal, ndr.), de Vivendi ou de Bolloré. Et puis tout s’est fait petit à petit, ça fait un an que j’ai signé. Là où ça m’impressionne, c’est surtout pour la suite : est-ce que tout va bien se passer ? Est-ce qu’on va tous aimer travailler ensemble ? Est-ce que j’aurais assez de choses à dire pour un prochain EP ?

C’est vrai qu’en quatre titres, tu évoques la fête, le sexe à l’heure des appli, les questionnements liés à l’identité ou le fait de quitter sa banlieue natale pour aller s’installer à la capitale… Bref, à peu près tous les thèmes qui rythment la vie d’un jeune mec de 25 ans vivant à Paris. Qu’est-ce qu’il reste ?

Et bien… L’amour ! (rires) Ce n’est pas pour ça que mes prochaines chansons parleront d’amour évidemment ! Il y a énormément de thèmes que j’ai envie de traiter. Je ne suis pas en manque de sujet, il y a encore plein de choses qui me font des guilis au ventre, qui me nouent et me font des choses.

Crédit : Axel Morin

En tout cas ces sujets sont très personnels et intimes…

Oui bien sûr, et c’est sincère. Je les incarne parce que ce sont mes histoires, tout simplement. Je ne revendique pas ou ne suis pas le manifeste de quoique ce soit, je raconte juste ma petite vie. J’aime bien cette idée de ne pas avoir de barrière, et juste dire avec poésie – ou pas – les choses que je pense, assez brutalement, directement, sans avoir de fioriture. Ça m’a toujours touché d’entendre les gens dire les choses avec sincérité, comme un Brel qui sue comme un dingue à la caméra et qui dit « quand on n’a que l’amour » en se mettant « à poil ». C’est un artiste qui a pu faire ça des millions de fois, et ça m’a toujours excité et impressionné. J’essaye peut-être de reproduire ça.

Tu as un peu sa diction et son accent parfois…

Ah ouais ? Peut-être que j’essaye de le copier (rires). Brel est une influence indirecte pour moi, dans le sens où j’ai baigné dans ses chansons pendant toute mon enfance : ma mère n’écoutait que ça. A tel point que je détestais quand j’étais petit, car quand t’as Brel et Edith Piaf qui gueulent toute la journée chez toi, t’as juste envie de dire « ferme ta gueule maman » – en plus, quand c’est relié à ta mère c’est pas forcément « dans le vent » ! Donc oui, Brel, indirectement. Mais ce qui m’a fait aussi articuler comme ça c’est le travail du chant. Mes profs n’arrêtaient pas de me demander d’articuler plus. J’ai eu une grosse formation au chant, j’ai commencé en MJC, puis au conservatoire, et après j’ai fait une école d’art de la scène, avec du théâtre – ce qui aide aussi à la diction. Combien d’heures j’ai passé avec un stylo dans la bouche pour faire des exercices et bien articuler chaque mot ! C’est important pour moi qu’on comprenne le sens de mes textes. Aujourd’hui, je trouve qu’il y a trop d’artistes chez qui je passe à côté d’énormément de choses car je ne comprends pas les paroles. La musicalité peut être géniale, mais je ne vois pas où ils veulent en venir. C’est peut-être très antigénérationel ce que je te dis là, car j’ai l’impression qu’aujourd’hui il y a une certaine revendication identitaire dans le fait de bouffer ses mots, du type « je ne veux pas que tout le monde me comprenne parce que je ne cherche qu’à toucher une partie de mon public, ou en tout cas ceux qui appartiennent à mon groupe et aux gens avec qui je traîne ». Mais moi j’aime bien cette idée de casser les barrières, et qu’un mec de cité ou un mec de France Culture comprennent tous les deux mes mots (sans trop de langage codé ou jargon donc).

Les deux producteurs avec qui tu as travaillé, Kyu Steed & Haze, ont bossé avec PNL, MHD ou Booba. Qu’est-ce qui t’a poussé à collaborer avec eux ?

J’avais l’envie, depuis le début de ce projet, de faire « bouncer » mes titres, de les rendre rythmés et plus urbains en cherchant un groove… Ce qui est assez difficile, le français pouvant tout de même être une langue très lancinante. J’ai rencontré pas mal de producteurs pendant un an, et c’est Kyu Steed & Haze qui ont le plus répondu, d’un point de vue technique, à cette demande-là. Au départ, je ne savais pas qu’ils avaient bossé pour PNL ou Booba. PNL, ce n’est pas quelque chose que j’irai écouter tous les jours mais j’adore Booba, donc tant mieux ! Mais quoiqu’il en soit je m’intéressais plus à leur technique qu’à leur CV.

J’ai pu lire ça et là « Eddy de Pretto le rappeur »… Tu te considères rappeur ?

Non, pas du tout ! C’est le bon mot à dire en ce moment pour les journalistes, car le rap prend énormément de place. Mais je ne me considère pas comme un rappeur, pour moi je suis un « diseur de mot ». Ou conteur ! Conteur de mes propres histoires en tout cas. C’est peut-être parce que je chante vite et que je suis bavard dans mes chansons qu’on dit que je suis rappeur ? Je ne sais pas. En tout cas je ne me dis pas non plus chanteur de variété ou chanteur de chanson française. Chanteur ça suffira.

C’est un gros mot « chanson française » ?

Non, vraiment pas ! J’écoute aussi bien Juliette Armanet que PNL. J’aime beaucoup me relier à la chanson française, il y a un côté très sacré et puriste dans cette scène. Tant mieux si je peux toucher à ça.

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