En direct de Death in June (Le Réservoir, Paris)

Peu de con­certs aus­si con­fi­den­tiels peu­vent se tar­guer de génér­er le même lot de ten­sions que ceux de la tournée française des bons vieux Death In June. Son annonce en sep­tem­bre fai­sait déjà frétiller le milieux cold/post-punk : des events face­book à liste privée, un prix éton­nam­ment élevé (40€) pour la date parisi­enne (selon la rumeur pour financer un ser­vice de sécu­rité en con­séquence au Petit Bain), et des rumeurs d’an­nu­la­tion qui sem­blaient quelque peu démesurées pour un groupe qui ne con­cerne vrai­ment que quelques cen­taines de per­son­nes par ville.

Qu’est-ce qui jus­ti­fi­ait donc une si sul­fureuse aura ? Début 80, Death In June est né joy­au noir de la scène post-punk anglaise, pro­posant une musique sévère et solen­nelle, et jouant dès leurs débuts avec des thé­ma­tiques total­i­taires et mil­i­taires, jusqu’à flirter avec l’im­agerie du troisième reich. Le fait que l’un de leurs anciens mem­bres, Tony Wake­ford, soit passé par le Nation­al Front (FN anglais, mais en pire) n’aide pas. Après un pas­sage par l’élec­tron­ique en 85, DIJ est alors devenu le one-man-band de son leader gay Dou­glas Pearce exilé en Aus­tralie, et enchaîne les albums de dark-folk trai­tant autant de guerre que d’Eu­rope per­due, le tout dans une ambiance médié­vale, un brin fétichiste et non dénuée d’humour.

Cette ambi­gu­i­té, sub­tile­ment entretenue par Pearce, n’au­ra pas échap­pé à des groupes antifas locaux qui ont eu vent du con­cert. Suite à une cam­pagne de pres­sion sur inter­net, le pro­gram­ma­teur du Petit Bain qui accueil­lait le groupe se retrou­va acculé (son adresse mail avait été ren­due pub­lic), au point de voir la mairie du 13ème le som­mer d’an­nuler la date (ce qui lui vau­dra égale­ment le har­cèle­ment de die-hard fans de DIJ le con­damnant pour sa lâcheté…). Réac­tions en chaîne et arti­cles dans la presse oblig­ent (même le Figaro et Ouest France s’en mêleront), d’autres dates hexag­o­nales se voient inter­dites. Après plusieurs com­mu­niqués out­rés des organ­isa­teurs et du Dou­glas lui-même, la date parisi­enne (la pre­mière de DIJ en 17 ans) est main­tenue secrète­ment, dans un lieu qui sera dévoilé par tex­to quelques heures avant le con­cert, avec “inter­dic­tion d’en par­ler publique­ment d’i­ci là”.

Pas d’op­u­lent sys­tème de sécu à l’en­trée du Réser­voir, salle du 11ème accueil­lant nor­male­ment les lives ses­sions d’Arte, et lieu de repli du con­cert de DIJ ce soir. Mal­gré le décor cos­su et quelque peu déca­dent de la salle, pas non plus d’am­biance de société secrète à l’in­térieur, et excep­té 2 ou 3 goths qui se per­me­t­tent des blagues vaseuses (“je suis sûr qu’il y en aura un d’en­tre eux qui se sera payé sa place rien que pour venir faire chi­er”), per­son­ne ne fait de référence osten­ta­toire au con­texte. Pas non plus de gros faf à recenser comme se l’imag­i­nait prob­a­ble­ment le lecteur de Ouest France, mais un pub­lic assez lamb­da. Le groupe de pre­mière par­tie, The Enchant­ed Woods, aurait d’ailleurs sa place sur la pro­gram­ma­tion de France Inter, c’est dire.

La soirée prend une tour­nure plus folk­lorique lorsque Miro Sne­j­dr, éphèbe en tenue mil­i­taire évo­quant un John Bal­ance sor­ti d’un film de Derek Jar­man, monte sur scène par­tielle­ment masqué et muni d’un accordéon pour accom­pa­g­n­er sur quelques morceaux un Dou­glas Pearce fan­faron­nant. L’homme par qui le scan­dale arrive n’est ni plus ni moins qu’un petit mous­tachu anglais qui porte lunettes noires et béret, et s’ex­clame en riant : “dire que tout ceci a fail­li ne pas arriv­er ! Il y a tant de soi-disant human­istes de nos jours…”. S’en­suit la séquence la plus Porti­er de Nuit de la soirée : Pearce repart et laisse le Miro nous grat­i­fi­er d’un réc­i­tal de piano assez pom­pi­er pen­dant 30 minutes.

Com­bi­naisons cam­ou­flage et masque-signature qu’il quit­tera tout de même après trois morceaux, Dou­glas revient avec un John Mur­phy aux airs de croque-mort aux per­cus­sions, et délivre un set d’1h30 exclu­sive­ment acous­tique. Car c’est bien de cela qu’il s’ag­it, de folk songs exé­cutées avec une grande décon­trac­tion et un cer­tain charisme, dans une ambiance de bonne fran­quette — Dou­glas incite même à faire des requests. Ritour­nelles servies par une voix ronde et pro­fonde qui rap­pelle celle d’un Michael Gira, les morceaux défi­lent rapi­de­ment, et tout le folk­lore (les sym­bol­es panz­ers, la tête de mort dorée en fond, “All Pigs Must Die”, etc) fait office de bonne blague per­verse. On s’a­muse même que des con­seillers munic­i­paux se soient affolé pour un bon­homme de 57 piges venu pouss­er la chan­son­nette en petit comité. Quant à savoir si DIJ est un groupe de nazis nos­tal­giques ou de “nation­al­istes bolchéviques” comme ils l’ont déjà clamé, cela sem­ble hors de pro­pos face à ce petit con­cert que nom­breux trou­veraient anec­do­tique (un Mar­i­lyn Man­son ou un Chris Cun­ning­ham ont util­isé Hitler de manière beau­coup plus frontale, et n’ont jamais fait l’ob­jet d’au­cun procès). En rap­pel, le duo se per­met un morceau déli­cat, “C’est un rêve”, con­nu pour son “où est Klaus Bar­bie ?” en français dans le texte, qui donne son titre à la tournée (sur une affiche aux couleurs du dra­peau homo­sex­uel, his­toire de cumuler les man­dats). Lorsque Dou­glas y rajoute les lignes “où est Kad­hafi ? où est Ben Laden ?”, on se dit finale­ment qu’il s’ag­it d’une affaire bien poli­tique­ment correcte…

Meilleur moment : le con­texte intimiste et vague­ment glam­our du Réser­voir pour une telle man­i­fes­ta­tion, finale­ment préférable au Petit Bain.

Pire moment : une par­tie du pub­lic, vis­i­ble­ment plus excitée par le fait d’être là que par le con­cert en lui-même.

Par Thomas Corlin

(Vis­ité 416 fois)